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Engagé de force dans la Wehrmacht, le village et ses "malgré-nous"
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Bonnes feuilles

Jeune Français de 18 ans, Joseph Isler a été enrôlé de force dans la Wehrmacht pendant deux ans, comme de nombreux Lorrains et Alsaciens. Dans "Malgré-Nous" (La Martinière), il livre son témoignage sur l'une des pages les plus sombres de l'histoire. (2/2)

J’aime la vie qui revient en moi et se reconstruit. Malheureusement, au village, il reste plusieurs familles qui attendent toujours le retour d’un des leurs, un de ces garçons enrôlés de force. Maman me raconte aussi le cas de Jean, d’un village voisin, enrôlé dans les services administratifs de l’armée allemande à Vienne. Vers la fin de la guerre, il revient pour une permission. Il décide alors de ne pas retourner à Vienne, déjà très menacée, et part se cacher. Au moment de l’arrivée des Américains, il est aperçu dans sa cachette et fuit son village. Sa famille l’attend toujours, sa soeur s’est mariée fi n juin et tous ont regretté son absence. Mais il tient sa famille au courant depuis son exil : il reviendra plus tard, car il se méfie encore.

Marie, elle, me raconte l’histoire d’un ami alsacien qui ne parle pas un mot de français. Enrôlé à dix-huit ans début 1943 pour le front russe, il est resté dans une tranchée pendant des mois en attendant que les Russes arrivent. Quand il est blessé fin 1943, il se retrouve dans un hôpital allemand. Puis il est envoyé combattre ses concitoyens en France à Cherbourg. Ne pas comprendre la langue de ses compatriotes est pour lui terrible à vivre. Ayant reçu plusieurs blessures, il est finalement rapatrié en octobre 1944. Lui aussi déserte et se cache dans la grange qui jouxte sa maison, devenue un quartier général allemand.

Beaucoup de ses copains dans le même cas ont été fusillés par les Américains, considérés comme Allemands puisqu’ils ne pouvaient pas leur parler en français. Lui reste prudemment caché encore plusieurs mois. À la de l’été 1945, il peut enfin sortir de sa cachette. Agriculteur, ayant toujours vécu en Alsace, ayant toujours parlé l’allemand tout en se sentant français de coeur, il a conservé toute sa vie la douleur de cette dualité.

En juillet, nous recevons la visite d’un cousin, Victorien. Il nous raconte avec émotion comment il s’est mutilé en se brûlant et s’est caché ensuite, durant toute la guerre. Il nous confie que si c’était à refaire il ne le referait pas, tant la peur et l’angoisse pendant ces deux ans ont été atroces à vivre.

Au fur et à mesure de la guerre qui s’éloigne, nous apprenons ce qui s’est passé dans les communes environnantes. Dans un village à une dizaine de kilomètres, il y eut un gros mouvement d’insoumission qui entraîna de fortes représailles, et les villageois vécurent sous haute surveillance pendant toute la durée de la guerre. Nous apprenons aussi qu’à quinze kilomètres se trouvait un camp de prisonniers russes. Certains sont parvenus à s’échapper et ont demandé de l’aide aux villageois. Ceux qui les ont aidés furent fusillés ou déportés dans un camp.

Chez nous à Holling, la population était dans l’ensemble opposée à Hitler, particulièrement les hommes mûrs, qui étaient très francophiles et résolument contre les nazis qu’il a fallu parfois en enfermer certains pour les empêcher de manifester leur colère et d’être arrêtés. Il y eut tout de même deux collaborateurs, dont l’un a été fusillé à la fi n de la guerre.

Aujourd’hui, nous savons que beaucoup de jeunes Malgré-Nous sont morts dans les camps russes. Combattants sur le front de l’Est et faits prisonniers par l’armée Rouge, ils furent envoyés dans des camps soviétiques, en particulier celui de Tambov. Travailleurs de force dans des conditions épouvantables, sous-alimentés, ils y moururent par milliers. Un mémorial a été plus tard érigé en hommage à ces dix- sept mille morts internés alsaciens et lorrains. Si Vichy méprisa leur sort, le général de Gaulle n’intervint pas assez ensuite auprès de Staline.

Ceux qui survécurent et revinrent des camps subirent l’humiliation d’être assimilés aux nazis et considérés comme des traîtres. On pense que tous ne sont pas rentrés, qu’il resterait encore des prisonniers de guerre dans ces camps russes. Toutes ces nouvelles m’émeuvent profondément. Au village nous attendons que les absents nous reviennent tous, tout en cherchant à reconstruire et à revivre. Nous avons vécu des histoires très différentes, mais toujours douloureuses. Je passe mon temps à me dire que j’ai de la chance d’en avoir réchappé, d’être bien vivant.

Heureusement mon tempérament joyeux me sauve de la mélancolie et de pensées trop noires, et le travail de la ferme m’oblige à suivre le rythme du soleil, de la pluie, des moissons, des saisons, à réagir en somme. Je fêterai mes dix- neuf ans le 3 août 1945 dans ce rapport heureux à la terre, qui sauve du malheur causé par la guerre.

C’est bientôt la fête de Marie, le 15 août. Nos deux villages de Holling et de Rémelfang ont organisé une grande fête et un pèlerinage pour fêter la paix et la réconciliation. Les habitants érigent une grande statue de Marie sur la colline de Rémelfang, pour remercier Marie de les avoir protégés des gros bombardements, dans les grottes des champignonnières. Cette fête aura lieu tous les ans, on y rassemblera les chrétiens allemands et français pour sceller la réconciliation.

Extraits de "Malgré moi, enrôlé de force dans la Werhmacht" de Joseph et Simone Isler publié aux Editions La Martinière (2014). Pour acheter ce livre, cliquez ici

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