Energies renouvelables thermiques : celles sur lesquelles nous avons intérêt à miser… et les autres (Partie 4)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le bois constitue pour moitié nos ENR thermiques (environ 50%).
Le bois constitue pour moitié nos ENR thermiques (environ 50%).
©PASCAL LACHENAUD / AFP

Energie

Cette série de 4 articles vise à proposer un grand récapitulatif de la situation de la France vis-à-vis de l’énergie qu’elle consomme.

Clovis  Didry

Clovis Didry

Clovis Didry est enseignant de SVT et vulgarisateur scientifique - diplômé en aménagement du territoire et transition écologique de l'université Paul Sabatier.

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Dernier épisode du grand récap’ de la situation énergétique de la France. Après avoir fait une présentation générale de la notion d’énergie en France, zoomé sur les énergies fossiles et l’électricité (je vous conseille de les lire avant d’attaquer cette partie), passons maintenant aux énergies renouvelables.

Cet article parlera des énergies renouvelables (ENR) dont l’utilisation principale n’est pas la production d’électricité. L’éolien et le photovoltaïque ne seront pas davantage développés ici, les principaux éléments sur ces 2 sources de production électrique sont présentés dans la partie 3 de cette série.

Puisque nous allons beaucoup parler de production de chaleur (thermique), les données seront souvent en énergie primaire c’est-à-dire qu’on comptera directement les kWh extraits de l’environnement et pas l’énergie effectivement utilisée. Toutefois, ici, ce n’est pas gênant car il sera essentiellement question de sources de chaleur, or cette chaleur est utilisée directement pour… chauffer. De facto la limite entre énergie primaire et finale est ici plus floue. Quoiqu’il en soit, les figures mentionneront de quelle énergie, primaire ou finale, il sera question.

La production d’ENR thermique est en hausse et est globalement souveraine

Le tableau ci-dessus me permet de souligner un point, actuellement la France est quasiment autosuffisante en ENR thermiques puisque le bilan net importations – exportations est de 15.8TWh / 268.9 consommés soit une autonomie de 94%. C’est avec l’électricité la seule catégorie d’énergie où nous atteignons ce niveau.

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1700 TWh d’énergie finale consommée en France chaque année, mais de quelles sources les tirons-nous ? (Partie 1)

Source : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022

En se penchant sur l’énergie finale, comme durant l’essentiel de cette série, la hausse régulière de la production thermique renouvelable (hormis l’accident covid) est visible surtout si je zoome sur les graduations de l’axe des ordonnées.

Données : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022
Graphique : Clovis DIDRY

Cette consommation est notamment le fait du résidentiel pour le chauffage, un peu les transports (je vous explique pourquoi après), le reste est assez anecdotique.

Données : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022
Graphique : Clovis DIDRY

La voilà la raison de la prépondérance du résidentiel : c’est essentiellement le bois qui constitue nos ENR thermiques (environ 50%). Vous voyez comme le reste est faible, rien ne dépasse encore le 50 TWh.

Données : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022
Graphique : Clovis DIDRY

En zoomant sur tout ce qui est inférieur à 50TWh nous pouvons remarquer que les pompes à chaleur prennent de plus en plus de place (vu leur rendement c’est très positif, 1kWh consommé par ces pompes produit jusqu’à 3kWh de chaleur). Les biocarburants sont aussi en augmentation comme le biogaz.

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Données : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022
Graphique : Clovis DIDRY

Note : Je ne sais pas expliquer pourquoi les pompes à chaleurs sont comptabilisées en ENR thermiques alors qu’elles fonctionnent à l’électricité. Surement une convention statistique.  

Biocarburants : de la déforestation importée ?

Il existe 2 types de biocarburants : l’éthanol, produit à partir de plantes « sucrées » (maïs, betterave, canne à sucre etc) et le biodiesel produit à partir de plantes à huile, d’oléagineux (palmier, colza, tournesol etc). Le biodiesel est essentiellement produit à propos d’huile de palme c’est l’essentiel de ce pour quoi elle est utilisée en Europe, bien avant l’industrie agroalimentaire. 

Source : leparisien.fr

Ce biodiesel est contenu à hauteur de maximum 7% dans toutes les pompes du pays (d’où l’indicatif B7 sur les pistolets jaunes). Bel exemple de conflit d’usage des surfaces agricoles entre la production de nourriture et les besoins énergétiques.

Au global ces biocarburants ne représentent pas grand-chose de notre consommation énergétique finale, 36TWh sur presque 1700 c’est donc environ 2% du total.

Source : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022

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Le solaire thermique a un gros potentiel dans les Outres-mers

Continuons le tour d’horizon des différents ENR thermiques avec le solaire thermique. Ces panneaux ne servent pas à produire de l’électricité, ce sont ces gros tuyaux qui servent à chauffer de l’eau ce qui est intéressant car l’eau chaude a le bon gout de bien se stocker contrairement à l’électricité (votre chauffe-eau ne consomme que quelques heures par jour mais vous avez de l’eau chaude tout le temps).

La production est encore plus anecdotique sauf dans DROM (départements et régions d’Outre-mer)  qui ont le bon goût de se situer sous les tropiques avec un ensoleillement intéressant à exploiter.  C’est à mon avis une filière à développer, ça peut libérer de l’électricité actuellement utilisées dans les chauffe-eaux dans des régions où l’électricité provient pour beaucoup de sources fossiles brulées dans des centrales thermiques.

Source : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022

La géothermie n’est presque pas exploitée

Cette production est sur les mêmes ordres de grandeur que le solaire thermique. Il existe une petite production d’électricité dans le site de Bouillante en Guadeloupe mais pour moins de 50MW de puissance (contre 900MW pour nos plus petits réacteurs nucléaires). Le reste sert à des réseaux de chaleurs en allant chercher de l’eau à pas trop haute température dans des aquifères dans les bassins parisiens, aquitains et rhénans.

Source : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022

La consommation de bois est au même niveau qu’il y a 30 ans.

C’est LE gros morceau lorsqu’on parle d’ENR thermique : la biomasse solide soit en résumé le bois sous différentes formes mais aussi la « liqueur noire » qui est un résidu industriel de la filière papier/carton réutilisée en interne pour la production de chaleur. Après une baisse jusqu’au milieu des années 2000 nous sommes revenus à des niveaux de consommation du début des années 90.

Source : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022

Ce bois sert essentiellement au chauffage mais aussi un peu pour l’électricité notamment dans la centrale de Gardanne dans les Bouches-du-Rhône. Depuis plusieurs années, l’idée de convertir Cordemais, près de Nantes, du charbon à la Biomasse est toujours plus ou moins dans les tuyaux.

Source : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022

Attention, si le bois est renouvelable si bien exploité, il n’est pas sans poser problème : dans les cheminées individuelles sa combustion rejette des microparticules qui sont loin d’être négligeables lorsqu’on mesure la pollution atmosphérique dans les zones où ce mode de chauffage est bien implanté. Par exemple 50% des particules fines PM2.5µm d’île de France proviennent du chauffage  au bois alors qu’il ne représente que 6% du chauffage.

Les déchets, une énergie renouvelable qui pose question

Concernant les déchets, ceux-ci sont incinérés et la chaleur produite est utilisée telle qu’elle et/ou pour faire de l’électricité des centrales à cogénération (génération à la fois de chaleurs pour le chauffage et d’électricité comme certaines centrales au gaz). Un exemple connu est la centrale d’Ivry visible de l’A4. Ces incinérateurs sont au nombre de 118 et produisent 8TWh en légère hausse depuis 10 ans.

Source : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022

Source : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022

Je reviens sur cette qualification de « renouvelable » pour les déchets incinérés. Dans la mesure où des déchets sont toujours produits oui la ressource se « renouvelle » mais elle reste une conséquence néfaste de nos activités. De plus, suivant ce qui est brulé il y a tout un tas de pollutions à gérer, notamment des gaz à effets de serre non compensés sauf s’ils proviennent de déchets verts mais aussi des particules fines issues de la combustion.

Pour prendre ces limites en compte, l’aspect « renouvelable » est compté comme ENR à 50%. C’est une convention statistique internationale (AIE, Eurostat) un peu comme pour les pompes à chaleurs qui utilisent de l’électricité à la base. Personnellement, je trouve que ça nuit à la clarté de la catégorie et ça peut amener à des méprises gênantes.

Le biogaz est en hausse exponentielle mais encore peu implanté.

Avec 11TWh de biogaz produit en 2021 les valeurs sont toujours assez faibles mais en nette augmentation sur 10 ans.

Source : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022

Ce biogaz est une énergie locale et décentralisée. Les unités de productions sont actuellement petites et réparties sur tout le territoire surtout dans sa moitié nord qui est la plus agricole. C’est important car ce sont essentiellement les déchets agricoles qui servent à la production de se biogaz dans des méthaniseurs.

Source : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022

Ce biogaz est produit par décomposition anoxygénique (sans oxygène) de résidus biologiques (compost, fumier, etc etc), il est ensuite épuré pour produire du méthane injecté sur le réseau. C’est la partie bleue dans le premier graphique dont je vous offre un zoom ici. La hausse semble exponentielle. Ce méthane étant coproduit à partir du biogaz, il l’est donc sur les mêmes sites essentiellement, la carte précédente reste valable quant à la répartition.

Source : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022

Tous les scénarios prévoient une hausse de l’usage des ENR thermiques mais toutes ne verront pas leur part augmenter significativement.

En effet, les ENR thermiques étant bas carbone (ça peut parfois se discuter car faut que la ressource biologique soit exploitée convenablement, tant qu’il ne s’agit pas de bois importés par des coupes à blancs, c’est plutôt vrai en France), elles vont se développer.

Voyons différents scénarios en commençant par negawatt, j’ai surligné en jaune les lignes qui nous concernent dans cette partie. Oui j’ai mis le gaz car le scénario prévoit que les 201.3TWh de gaz soit entièrement renouvelable en 2050.

Source : negawatt – scénario 2022

Negawatt prévoit aussi que tous les carburant liquides soient renouvelables à cette date mais là on resterait en réalité dans les étiages de ce qu’on utilise déjà aujourd’hui. Le bois lui est amené à baisser dans cet usage comme dans les autres.

Source : negawatt – scénario 2022

Observez le très fort essort des pompes à chaleurs (la ligne « chaleur environnement ») également, vu les rendements comme évoqués plus haut, c’est logique.

L’ADEME, quant à elle, prévoit un fort usage de biogaz et de gaz de synthèse produit à partir d’électricité (power-to-methane) voir même de pyrogazéification qui consiste à chauffer des déchets avec peu d’O2 sans les bruler pour récupérer un résidu gazeux utilisable comme combustible.

Source : ADEME – Transitions 2050

Plus généralment, il est prévu d’augmenter l’usage de la biomasse de manière significative notamment par l’usage accru de résidus de production agricole le tout surtout pour faire du méthane ou un peu de combustion directe et de biocarburants.

Source : ADEME – Transitions 2050

Opinion personnelle : je me méfie de vouloir faire tout faire à la biomasse, les quantités ici en jeu me paraissent énormes. J’ai clairement besoin d’être convaincu que c’est réalisable.

Pour le bois, les projections sont à mon sens discutables notamment écologiquement parlant. En effet, planter du résineux est une catastrophe pour les sols et la biodiversité car ces arbres acidifient leur environnement. Les grands champs d’arbres type Lande ou Sologne ne sont pas des zones où la biodiversité est particulièrement riche. De plus, dans le contexte du réchauffement climatique, la forte inflammabilité de ces arbres rend leur plantation discutable.

Source : ADEME – Transitions 2050

Légalement, la PPE prévoit la hausse de la production de chaleur renouvelable d’ici 2023 puis 2028 en jouant sur tous les fronts. Vu les valeurs de 2020-2021, les objectifs de production de chaleur ne seront pas atteints notamment à cause de la biomasse qui ne s’est pas assez développée. 

Source : PPE – principaux indicateurs 2022

Il en est de même pour le biogaz, sa part doit augmenter nettement, surtout dans les 5 prochaines années. Cependant, la proportion de gaz ENR est dans les clous comme la proportion de biogaz injecté.

Source : PPE – principaux indicateurs 2022

Ceci dit nous avons vu que nous suivions une exponentielle sur ce sujet, donc nous y arriverons peut-être ! Mais ces doutes sur l’atteinte des objectifs montrent comme cette filière – biomasse énergie - est certes en plein essor mais pas aussi simple à développer aux niveaux attendus.

Source : SDES - Chiffres clés des énergies renouvelables - Édition 2022

Voilà je vais m’arrêter là pour cet épisode et cette série. Normalement avec ça vous devez pouvoir comprendre où nous en sommes, ce qui est prévu, ce qui est vraiment fait. Normalement vous devez aussi avoir une petite idée du réalisme de certaines propositions de certains scénarios à la lumière de ce qui est et pourrait être.

Petite conclusion personnelle : j’ai été épaté par la qualité, l’accessibilité des documents et données utilisés pour cette série. C’est incroyable d’avoir une telle richesse de ressource, c’est à s’y perdre d’ailleurs. Je pense que, qui veut, peut trouver de la matière pour se faire un avis construit (je pense à vous les politiques mais aussi aux citoyens). L’écosystème français est riche, utilisons le !

Merci à vous d’avoir lu cette série, j’espère qu’elle vous aura intéressé, qu’elle était claire et que maintenant vous y voyez plus clair. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter de bonnes fêtes et que 2023 se passe sous les meilleurs hospices.

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