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Empêcher les entreprises rentables de licencier : une mauvaise solution à une question mal posée
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Mauvaise direction

François Hollande a annoncé lundi qu'une loi sur les licenciements dans les entreprises "rentables" serait inscrite dans le calendrier parlementaire.

Gilles Saint-Paul  et Gérard Thoris

Gilles Saint-Paul et Gérard Thoris

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

 

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (SociétalRevue française des finances publiques…).


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Atlantico : François Hollande s'est engagé ce lundi sur une loi visant à lutter contre les licenciements dans les entreprises "rentables", un des engagements du candidat socialiste à l'élection présidentielle. Ne s'agit-il pas d'un remède pire que le mal ?

Gilles Saint-Paul Bien entendu toute entrave au licenciement réduit les incitations a l'embauche: les entreprises prennent en compte, au moment de l'embauche, les coûts futurs associés au licenciement éventuel du salarié. Mais en même temps ces entraves préservent des emplois dans les entreprises qui désireraient se séparer de leurs employés. Le résultat est une hausse de la durée du chômage et une économie moins performante. La durée du chômage augmente à cause du fait que les entreprises embauchent moins, ce qui réduit la proportion de chômeurs qui trouvent un emploi chaque mois.

L'économie est moins performante car des emplois peu rentables, donc peu productifs, sont préservés, alors que ces ressources pourraient être libérées au profit d'entreprises plus productives. Mais en ce qui concerne le niveau du chômage, les choses ne sont pas si simples puisque d'un côté moins de gens trouvent du travail mais de l'autre il y en a également moins qui perdent leur emploi. Les sorties du chômage diminuent mais les entrées dans le chômage diminuent aussi. Pour résumer, de telles mesures ne sont certainement pas bonnes pour le fonctionnement du marché du travail ni pour la productivité globale de l'économie. Mais il n'est pas évident qu'elles augmentent le taux de chômage mesuré.

Gérard Thoris: Sauf erreur, le candidat François Hollande n’a jamais inscrit dans son programme l’interdiction des licenciements dans « les entreprises rentables ». Cette expression ne se trouve ni dans le programme du PS ni dans l’ouvrage programmatique du candidat. A l’époque, il n’était question que de renchérir « les licenciements boursiers ». Objectivement, il est bien difficile de trouver un indicateur objectif pour assurer qu’un licenciement a été effectué sur la pression des actionnaires au travers du marché financier. Peut-être est-ce pour cette raison que l’idée paraît aujourd’hui abandonnée.

Par contre, à première vue, il est facile de constater que, à la date d’annonce d’un plan de sauvegarde de l’emploi, l’entreprise fait des bénéfices. C’est à Florange que le ministre du redressement productif en a fait le constat public. Jusqu’à plus ample informé, ce que l’on sait de ce projet de loi tient en une phrase prononcée par Arnaud Montebourg : "Vous avez aujourd'hui des grands groupes, qui décident de fermer un certain nombre de sites qui sont rentables et viables (...). Nous disons : s'il y a un repreneur qui se présente, nous procédons à une transmission forcée par voie de justice". Eh bien, bon courage pour transformer cette formule de tribun en actes juridiques !

Comment expliquer que des entreprises dites "rentables" licencient ? Les entreprises agissent-elles parfois en amont (en se basant sur des études de marchés, des prévisions...) en se séparant de quelques salariés lorsqu'elles sont encore rentables plutôt que d'attendre que les difficultés ne surviennent et être contraints de licencier en masse ? Une partie du problème actuel ne réside-t-il pas dans les critères de rentabilité imposés aux entreprises et dans la tendance au court terme qui en découle souvent ?

Gilles Saint-Paul Une entreprise peut être "rentable" et licencier tout simplement parce que les emplois qu'elle détruit, eux, ne sont pas "rentables", c'est à dire qu'ils coûtent plus qu'ils ne rapportent. Si par exemple les emplois menacés se trouvent au sein de la même division, la comptabilité de celle-ci ferait apparaître des pertes et les licenciements apparaîtraient comme justifiés au regard de la loi qui est proposée pour autant que l'on traite cette division en tant qu'entreprise indépendante. Ce n'est que parce que celle-ci est agrégée au sein d'un ensemble plus large qui lui ne fait pas apparaître de pertes comptables que le licenciement paraît injustifié.

En licenciant, l'entreprise rationalise sa production et augmente ses profits. Ne pas le faire revient effectivement à reporter les difficultés: bien que l'entreprise ne fasse pas de pertes, en conservant ses emplois non rentables, elle finira par offrir un rendement financier moindre à ses actionnaires que ses concurrents. Imaginons par exemple une entreprise qui aurait trop embauché par le passé: même si elle ne fait pas de pertes, elle sera moins rentable que ses concurrents qui n'ont pas commis la même erreur. Les entraves au licenciement lui interdisent de redresser la barre en réduisant sa taille. A cause de son moindre rendement financier, elle a du mal à investir et finira par perdre des parts de marché au profit de ses concurrents.

Gérard Thoris : On ne  peut répondre à cette question aussi longtemps que nous n’aurons pas une idée précise de la manière dont la notion de rentabilité sera mesurée. Mais, au fond, cela importe peu. Un chef d’entreprise digne de ce nom travaille sur une vision. Cela veut dire qu’il est totalement projeté dans le futur. Le futur principal de l’entreprise, ce sont les clients et le mix prix-produits qu’ils sont prêts à payer. Pour entrer dans ce futur, il peut être nécessaire de modifier la fonction de production présente. Derrière cette formule, il y a le sourcing, les relations avec les sous-traitants et, bien entendu, l’investissement et l’emploi. Si la demande est structurellement faible, si le pouvoir d’achat se contracte, les investissements de productivité s’imposent et l’emploi doit être ajusté. La question clé est bien celle de donner toutes leurs chances aux salariés qui seront licenciés. L’arsenal juridique est déjà considérable. La dernière étape semble être d’interdire tout licenciement, c’est-à-dire de figer l’entreprise dans son périmètre et son fonctionnement d’aujourd’hui. Faut-il ajouter que le futur est ainsi sacrifié au présent.

Comme toujours, une mesure générale s’appuie sur des dérives particulières. Il est vrai que la pression du court terme existe et qu’elle n’est à l’avantage ni de l’entreprise, ni de ses salariés. Sans l’excuser, on est quand même frappé que les dirigeants politiques se comportent vis-à-vis de leurs électeurs avec le même short termism que les dirigeants économiques avec leurs actionnaires !

Au fond que révèle cette annonce de l'état réel des perspectives du marché du travail en France ? Le gouvernement craint-il de nouveaux plans de licenciements massifs ?

Gilles Saint-Paul Les prévisions conjoncturelles ne sont pas bonnes et une replongée dans la récession est à craindre, notamment si les consommateurs révisent à la baisse leurs prévisions de dépenses pour faire face à l'incertitude, en particulier en ce qui concerne l'évolution de la fiscalité. Le gouvernement espère qu'une telle loi l'aidera à traverser une mauvaise passe en attendant le retour de la croissance. Plus fondamentalement, elle montre que les accords sur la flexibilité entre partenaires sociaux sont inopérants: le gouvernement peut à tout moment, de façon discrétionnaire, modifier la loi et annuler les gains d'une des deux parties.

En l’occurrence, il n'est pas certain que le patronat eût fait les mêmes concessions lors de l'accord récent sur l'emploi s'il avait anticipé une telle loi. Mais il est désormais très difficile de revenir sur ces concessions. On se retrouve avec un marché du travail plus rigide et une protection sociale plus coûteuse.

Gérard Thoris : Michel Sapin ne cesse de répéter qu’on n’infléchit pas facilement la courbe du chômage. N’importe l’explication derrière laquelle il se réfugie. Ce qui compte, ce sont les signaux que, jour après jour, le gouvernement donne aux gens qui prennent le risque de l’entrepreneuriat. Madame Laurence Parisot doit vraiment s’interroger sur le futur de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier sur la sécurisation des parcours professionnels. Parmi les éléments de la négociation, il y avait, à l’article 24, « la sécurité juridique des relations de travail ». Elle sait maintenant que la sécurité est totale pour les salariés aussi longtemps que le dirigeant dégage un centime d’euro de « résultat ». Il ne risque même plus d’y avoir de vice de forme ! Pour le dire clairement, l’article cité était considéré comme une avancée pour les employeurs dans la mesure où il y aurait un « examen, avec le concours des pouvoirs publics, des cas dans lesquels les irrégularités de forme risquent de primer sur le fond » dans les jugements des prud’hommes. Le fond de l’affaire, désormais, c’est que tout licenciement sera litigieux. Le gouvernement peut immédiatement constituer un fonds de secours pour les entreprises dont les résultats seraient tels que les licenciements pourraient être autorisés. Elle n’aurait plus les moyens de le faire honnêtement et encore moins de verser des indemnités de compensation. On a déjà vu que l’Etat se substituait à l’entrepreneur défaillant. Cela risque d’être une des conséquences systémiques du futur projet de loi.

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