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Emmanuel Macron, le Président de la “haine de la province” ? Cet effet boomerang qui menace la droite
©Reuters

Amour charnel de la patrie

Emmanuel Macron ne peut se passer des territoires ruraux dans les élections à venir. La droite de son côté compte bien lui mettre des bâtons dans les roues en jouant sur son image de technocrate parisien coupé des réalités en France. Il n'est pas dit que cette stratégie soit payante.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Emmanuel Macron recevra François Baroin, Président de l'Association des Maires de France, ce mercredi 22 novembre, notamment dans le cadre d'une opération "reconquête" des territoires ruraux, que la droite lui conteste. Selon Le Monde, Emmanuel Macron serait ainsi persuadé d'avoir gagné la guerre de communication relative à son étiquette de "président des riches". En quoi l'exploitation de cette thématique par les ténors de la droite peut elle effectivement pourrait elle porter ses fruits ? 

Chloé Morin : Les critiques exprimées depuis quelques jours cherchent évidemment à exploiter une faiblesse du Président dans l’électorat de province, et en particulier l’électorat périurbain et rural. Rappelons que, selon un sondage Elabe, 11% seulement des habitants des communes rurales ou urbaines de province jugent que l’action d’Emmanuel Macron au bout de six mois est « satisfaisante ». C’est nettement moins que le score obtenu au sein de l’agglomération parisienne (16%). Cette faiblesse existait dès l’élection d’Emmanuel Macron, puisque selon l’Ifop 58% des habitants de communes rurales ont voté Emmanuel Macron au second tour de la Présidentielle, et 65% des habitants des communes urbaines de province, contre 79% des habitants de l’agglomération parisienne. 
Cette répartition géographique du vote et du soutien à Emmanuel Macron s’ancre dans une perception, qui s’est accentuée depuis six mois - notamment à la faveur des mesures de restriction budgétaire adoptées à l’été, avec la baisse des APL ou la suppression des contrats aidés, mais aussi une réforme de l’ISF perçue comme favorable aux riches -: celle d’un Président qui défendrait avant tout les « gagnants », les plus diplômés, ceux qui sont pourvus d’un capital social et économique important, en oubliant les français qui ne sont pas assez « mobiles », « ouverts », tenaillés par la crainte du déclassement. 
En disant que le Président manque « d’amour » quand il parle de la France et des français, qu’il serait « le plus Parisien de tous les Présidents, hanté par une haine de la province », Laurent Wauquiez avait cherché, dans une tribune du JDD, à exploiter cette faille en opposant l’élite parisienne au reste de la France. François Baroin (maire d’une ville de province que l’on ne peut associer à la ruralité, mais auteur d’une «  histoire de France par les villes et les villages »), bien que beaucoup plus modéré, cherche lui aussi à s’engouffrer dans ce clivage afin de construire un rapport de force favorable entre l’AMF et l’Etat.
Il y a donc là la mise en scène d’un affrontement entre une France rurale « oubliée », représentée par les maires de France et les Présidents des exécutifs locaux, et une France des grandes métropoles et en particulier de Paris, défendue par le gouvernement et une technocratie présentée par froide et déconnectée. Notons que ces attaques s’appuient en partie sur une déformation de la réalité: Troyes, la ville de Baroin, ne représente pas vraiment « la France rurale », et il existe des territoires ruraux (ex: Bretagne) où Emmanuel Macron a réalisé des scores honorables. Mais à travers ces amalgames, la droite cherche à accentuer et exploiter à son profit une fracture qui s’est creusée entre le Président de la République et une partie de la France plutôt rurale et périurbaine, plutôt populaire ou de classes moyennes. Elle cherche à expliquer que le Président ne représenterait pas le « pays réel »... sujet récurrent déjà agité par la droite nationaliste au XXe siècle, qui parlait de « pays réel » contre le « pays légal ». 
J’ajoute que derrière la grogne des maires, il y a le sujet de la suppression de la taxe d’habitation. Or, cette réforme est hautement symbolique, non seulement parce que c’était une promesse primordiale pour le candidat - symbole de justice, et de gain de pouvoir d’achat -, mais aussi parce que la résolution de ce conflit engage sa méthode de gouvernement. Rappelons que lorsqu’il était candidat, Emmanuel Macron souhaitait que l’on puisse trouver des appuis au-delà de son camp, et composer avec les oppositions pour trouver la meilleure voie possible. L’AMF tente aujourd’hui de prendre ce rôle de contradicteur, voir de contrepouvoir, en portant une parole de proximité. La place que le Président et l’Etat sauront lui accorder pourra être considérée comme une traduction concrète de la pratique macronienne du pouvoir.

Cependant, l'élection présidentielle avait pu montrer une désaffection des classes populaires à l'égard du candidat LR, notamment dans des catégories pourtant acquises à la droite comme les agriculteurs. La droite n'est elle pas confrontée ici à un paradoxe ? 

En effet, François Fillon est sans doute celui qui aura recueilli le moins de voix parmi les catégories populaires parmi tous les candidats de sa famille politique depuis très longtemps. Dès lors que Guilluy a semblé montrer que la France rurale et périurbaine comptait l’essentiel des catégories populaires, on peut douter que la droite soit, en l’état actuel de son offre politique, idéalement placée pour représenter la France populaire et la province (qui ne doivent pas être confondues).
S’agissant des agriculteurs, électorat traditionnellement acquis à la droite comme vous le soulignez, le paradoxe n’est en revanche qu’apparent, et ne semble pas lié spécifiquement aux faiblesses de la campagne de François Fillon: nous avions montré, dans une note de la fondation Jean Jaurès réalisée avec Daniel Perron, que le socle agricole sur lequel la droite a longtemps vécu s’érode avec le renouvellement des générations. 
Au delà de l’impact réel des « affaires » qui frappent sans doute encore plus l’imaginaire des classes populaires que les autres, il faut voir aussi que la droite n’a pas su renouveler son discours sur la ruralité. Le cas des agriculteurs est ici un exemple flagrant: il manque un discours unique, capable de conjurer la peur de l’obsolescence et de la disparition qui tenaille cette catégorie d’électeurs. La droite semble prisonnière entre un discours qui exalte les valeurs de la France rurale, célèbre son patrimoine et ses paysages, fait l’éloge des racines… et un discours économique trop souvent associé au modèle dominant depuis des décennies. Or, c’est précisément ce modèle économique, et l’inégale répartition de la production de richesses qu’il induit, qui est souvent radicalement contesté en dehors des métropoles.

Au regard des forces en présence, quelles sont les forces politiques les plus à même de capter le ressentiment de la France rurale ? 

Notons que tous les partis politiques ou presque ont noté la faiblesse du gouvernement actuel dans les territoires ruraux et périurbains, et cherchent donc à l’exploiter. Marine Le Pen a longtemps eu le rôle incontesté de porte-voix de la France oubliée, mais elle semble actuellement bien incapable d’imposer ses thèmes dans l’agenda politique. Les autres partis y voient donc une opportunité de lui ravir ce rôle, et notamment la droite, comme je l’ai dit. Mais le PS n’est pas en reste: Cambadélis, lors de ses adieux de Premier secrétaire, expliquait ainsi qu’il fallait que le PS se base sur les territoires (dans lesquels il a encore beaucoup d’élus) pour se reconstruire, et devienne un « parti girondin» contre le « jacobinisme » de Mélenchon, Macron, et Wauquiez. Dans la bataille que se mènent les divers prétendants à incarner l’alternance à Emmanuel Macron dans 5 ans, le sujet de la ruralité, de l’organisation territoriale de la production et de la répartition des richesses, et donc de notre modèle économique lui-même, sera sans doute un thème important. 
Il est intéressant de noter, au delà de la contradiction qui est celle de la droite, ce qui se passe en ce moment entre le FN et la droite: en semblant tendre la main à Wauquiez, Marine Le Pen souhaitait sans doute le mettre en difficulté dans un parti dont certains cadres lui reprochent déjà son ambiguïté. Mais en réalité, à mon sens, elle ne fait que s’affaiblir davantage, en indiquant à ses électeurs déjà ébranlés par sa performance lors du débat d’entre deux tours, qu’il n’est pas interdit de voter pour une droite dont elle considère manifestement qu’elle partage avec le FN un grand nombre de valeurs. Faisant cela, Marine Le Pen ne mesure manifestement pas sa faiblesse actuelle: car entre un leader qui peut remporter la Présidentielle un jour, et une Marine Le Pen qui a semblé heurter un plafond de verre infranchissable, il y a fort à parier qu’un certain nombre d’électeurs vont cette fois encore - comme en 2007, suite à l’échec de J-M. Le Pen en 2002 - préférer la copie à l’original. Cette erreur tactique donne à mon sens un avantage à la droite dans la conquête de la France des « territoires »… 
Quoi qu’il en soit, à ce jour, il manque encore une offre politique de la proximité et de l’émancipation des territoires. Les deux derniers quinquennats ont été des échecs sur ce plan. La reconstruction idéologique du PS ou de LR passe sans doute par l’intégration des thématiques de proximité.

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