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Emmanuel Macron, le grand débat national et le piège du chaînon démocratique manquant des institutions françaises
©REGIS DUVIGNAU / POOL / AFP

Election intermédiaire

Voilà pourquoi il n'y a pas d’élections intermédiaires susceptibles de menacer la stabilité du pouvoir présidentiel durant un quinquennat.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Dans un contexte de forte défiance des Français à l'égard d'Emmanuel Macron, auquel les membres du gouvernement répondent par la légitimité du président de la République issue des urnes de 2017, ne peut-on pas voir une problématique institutionnelle française, empêchant toute sanction en cours de mandat, comme le sont les élections de mi-mandat aux Etats-Unis, par exemple ? 

Christophe Boutin :  Si, mais on rappellera que c’est voulu. Il faut en effet pour comprendre la question ne pas oublier de remettre en perspective la situation actuelle, qui est née en fait de l’instauration du quinquennat en 2000 et de ce que l’on a appelé ensuite « l’inversion du calendrier ».


Jusqu’à la première élection présidentielle pour un mandat de cinq années, soit en 2002, lorsque Jacques Chirac terrassa Le Pen avec plus de 82% des suffrages exprimés, le décalage de la durée des mandats du Président de la République, de sept ans, et des députés, de cinq ans, conduisait en effet à des remises en causes potentielles de la politique menée par l’exécutif – une politique qui pouvait d’ailleurs être plus facilement présentée alors comme étant celle du Gouvernement, qui « détermine et conduit la politique de la Nation » selon le mythique article 20, et ce sous l’autorité d’un Premier ministre qui le « dirige » (art. 21).

 On rappellera que si l’élection des députés joue un tel rôle potentiel de remise en cause de la politique suivie, c’est parce que cette chambre est la seule à pouvoir voter une motion de censure qui conduit automatiquement à la démission du Gouvernement (art.49). De telles remises en causes furent au début discrètes, comme le furent sous De Gaulle ces élections de 1967 et leur surprenant renversement de tendance entre les deux tours, celles de 1973 ensuite sous Pompidou, qui obligèrent les gaullistes aux alliances, celles de 1978 enfin sous Giscard, quand une gauche désunie passa à côté du pouvoir.


Pour éviter ces à-coups, et contrairement à Giscard en 1974, Mitterrand choisit de dissoudre la chambre après son élection de 1981. Il y gagne un répit de trois ans mais, aux élections de 1986, la droite obtient la majorité. Jacques Chirac comme François Mitterrand acceptent alors de mettre en place une « cohabitation » qu’effectivement le texte de la constitution n’interdisait pas, mais que son esprit rendait bien délicate : si, comme le disait récemment un homme politique, « on n’imagine pas le Général de Gaulle mis en examen », on l’imagine tout aussi mal installé dans une cohabitation.

 Après quatorze années de présidence mitterrandienne, et alors que le septennat chiraquien lasse déjà, notamment l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, revient alors l’idée d’un quinquennat auquel avait pensé Georges Pompidou. Il s’agissait à la fois, dans l’esprit de ses promoteurs, d’être plus « moderne », en jouant sur le « temps court », en même temps que « plus démocratique », en permettant de changer plus fréquemment le titulaire de la charge suprême. Mais en 2002, lorsque l’on met pour la première en fois en œuvre une élection quinquennale, on va aussi « inverser le calendrier », en faisant précéder les élections législatives prévues à la même date, suite de la dissolution ratée voulue par Dominique de Villepin en 1997, par l’élection présidentielle.


C’est à partir de là que tout change : certes, il s’agit de deux élections différentes et, certes, on peut imaginer que le parti du Président nouvellement élu n’ait pas de majorité aux élections législatives suivantes, et que l’hôte de l’Élysée soit conduit à une cohabitation. Mais l’effet d’entraînement de la présidentielle joue en fait de manière prégnante, et les Français ont à cœur de donner au nouvel élu une majorité qui lui permet de mener à bien sa politique. Le meilleur exemple en est les élections de 2017, quand nombre d’inconnus sont élus, à cause de la vague de « dégagisme », bien sur, mais aussi et surtout parce qu’ils sont estampillés LaREM, un parti qui n’existait pas la veille et qui n’est que le parti de l’homme qui lui a donné jusqu’à ses initiales, Emmanuel Macron .

 Vous le comprenez, on a donc volontairement choisi en France qu’il n’y ait pas d’élections intermédiaires susceptibles de menacer la stabilité du pouvoir présidentiel durant un quinquennat. Des autres élections qui peuvent survenir en effet, certaines ne se font pas au suffrage universel direct et ne sont que partielles (sénatoriales), d’autres ne concernent que des circonscriptions plus limitées (municipales, départementales et régionales), d’autres enfin ont un autre but (européennes). Aucune en tout cas ne saurait avoir la même légitimité dans une démocratie que des élections nationales faites au suffrage universel direct comme le sont présidentielle et législatives. Restent bien les référendums, mais Jacques Chirac annonça et mit en œuvre le découplage entre l’engagement du Chef de l’État sur la question posée et l’engagement de sa responsabilité politique, et les conséquences de celui de 2005 n’eurent que de très lointains rapports avec celles de celui de 1969. Au lieu de conduire au départ du Chef de l’État, elles conduisirent en effet à l’enterrement de la procédure référendaire : puisque les Français votaient mal, ils ne voteraient plus.


 La situation est donc très différente de celle des USA, où l’on a ces fameuses élections de mi-mandat, mais encore faut-il relativiser les choses et préciser que si ces dernières sont importantes c’est parce que, dans ce système dit « présidentiel » de séparation stricte des pouvoirs, un Congrès opposé au Président a la capacité de paralyser les projets de ce dernier bien plus que de mettre en oeuvre sa propre politique – ou au moins une partie de sa politique - au travers d’un gouvernement issu de sa majorité, comme on a pu le voir en France dans les périodes de cohabitation.

Comment illustrer, au travers de l'histoire de la Ve République, comment le Premier ministre d'un septennat se trouve confronté à ce besoin d'écoute de l'opinion, plus sûrement que sous le quinquennat ? 

 Premier élément, on peut penser que c’est le temps de la politique qui impose ses règles : dans un mandat en général, on a normalement, dit-on, le temps de la réforme, puis celui de la stabilisation, enfin celui de la préparation de la réélection. Or dans le temps court du quinquennat ne peuvent être associés que peu de visages à ces périodes : Raffarin et Villepin sous Chirac, Fillon sous Sarkozy, Ayrault, Valls et Cazeneuve sous Hollande – le dernier résultant de la volonté de Valls de s’affranchir de la tutelle de Hollande pour mieux préparer les élections de 2017.


Mais le septennat ne permettait finalement pas plus de têtes : Debré et Pompidou puis Pompidou et Couve de Murville sous De Gaulle, Chaban et Messmer sous Pompidou, Chirac et Barre sous Giscard, les choses s’accélérant un peu avec Mitterrand (Mauroy, Fabius et Chirac, puis Rocard, Cresson, Bérégovoy et Balladur) avant de revenir, de manière certes un peu forcée, à la normale sous Chirac (Juppé et Jospin).

 La différence en termes d’écoute nécessaire ne vient donc pas du temps passé « aux affaires », qui est finalement assez proche pour nombre de  gouvernements, que de l’approche d’élections dont dépend la survie d’un gouvernement ou la réélection d’un Président. Or puisque les « élections intermédiaires » n’existent plus dans notre quinquennat, le Premier ministre n’envisage plus que sa responsabilité politique devant le Président, et non devant le peuple.


 Enfin, le quinquennat a renforcé, symboliquement et pratiquement, le rôle du Président, effaçant d’autant celui du Premier ministre qui, même s’il écoutait le peuple, ne pourrait rien faire à part démissionner – on pourrait dire du Premier d’entre eux ce que Chevènement disait des ministres : « un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne ». Et si le Président n’a que rarement été – hors cohabitation bien sur – cet « arbitre » dont on nous vantait la neutralité, mais bien un dirigeant engagé dont le Premier ministre se contentait de mettre en œuvre la politique, c’est plus que jamais le cas de nos jours. Ce qui, d’ailleurs, pose un autre problème : si, sous la Cinquième, certains Premier ministre ont pu être sacrifiés pour détourner la colère populaire de l’Élysée, on peut se demander si une telle manœuvre pourrait encore avoir cet effet, sauf à imaginer un Président acceptant de se désavouer en laissant son nouveau Premier ministre faire une politique qui soit finalement à rebours de ses premiers choix, et à se réfugier lui dans un splendide isolement.

 Quel serait le moyen de répondre à ce manque de la démocratie française ? 

 Comment répondre au manque d’écoute ? « Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre » dit-on, et la réponse est sans doute là : en empêchant que celui qui ne veut rien entendre puisse continuer à faire superbement comme si de rien n’était. Certes, le mandat représentatif qui est le nôtre implique de laisser une liberté de choix à nos représentants. C’est utile pour permettre que la norme naisse non de la simple somme des opinions individuelles, mais d’une négociation, d’un débat, et qu’elle soit ainsi améliorée. Si l’on est déçu dans ses attentes, on peut toujours sanctionner ensuite son représentant lors d’une nouvelle élection, en ne le reconduisant pas.


 Mais la question est aujourd’hui bien différente. L’impression qu’ont en effet les Français est que la prétendue « sanction électorale » n’est d’aucun effet, car les changements induits n’en sont pas : si les têtes changent – les perdants disposant d’ailleurs de confortables points de chute -, la politique reste la même, notamment sur les sujets qui inquiètent le plus, les « trois I » que sont la montée de l’Insécurité, le déferlement de l’Immigration et la question de l’Identité. Depuis quarante années, estiment à tort ou à raison nos concitoyens, ces questions sont, soit traitées au travers de prismes idéologiques qui vont à rebours de leurs vœux, soit soigneusement mises sous le tapis.


Le « manque d’écoute » est donc là, et l’on mesure l’ampleur de la déception actuelle qui cause la colère dont nous voyons les effets : lors du vote de 2017, nombre de Français ont cru, en « sortant les sortants », en finir avec la pseudo-alternance et donc être cette fois écoutés. C’était pour se rendre compte ensuite qu’ils avaient en fait confié le pouvoir à un homme qui ne reprochait lui à « l’Ancien Monde » que de n’aller pas assez vite et assez fort dans des changements qui ne répondaient en rien à leurs interrogations et contribuaient un peu plus à faire voler leur monde en éclats.

 S’il a pu le faire, et s’il peut continuer à le faire, comme l’ont fait avant lui ses prédécesseurs, avec seulement parfois un peu moins de morgue visible, c’est d’abord parce que notre système électoral, le scrutin majoritaire uninominal des législatives, a amplifié sa victoire. L’introduction d’une part de proportionnelle dans ces élections viendrait limiter cela. C’est aussi parce que certains se réfugient bien facilement dans l’abstention. La question du vote obligatoire peut se poser.


 C’est ensuite parce que les titulaires du pouvoir peuvent effectivement, s’ils en sont majoritairement d’accord, refuser d’examiner certaines questions. La mise en place, soit d’un système de pétition efficace – on rappellera que la pétition a toujours été considérée dans les débats révolutionnaires comme un instrument démocratique nécessaire pour contrebalancer l’éloignement des représentants -, soit du fameux RIC, pourrait éviter ce véritable déni de démocratie.

Pour autant, il faut savoir raison garder, et éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain. Les fantasmes de la démocratie directe « presse-bouton », où chacun vote sur sa tablette le soir, pourraient vite faire ressembler nos existences à l’un de ces épisodes glaçants de l’excellente série « Black Mirror ». Quant à la « démocratie participative », elle n’est souvent que la captation du pouvoir par les pseudo-représentants d’une mythique « société civile », notamment ces associatifs subventionnés dont les rapports avec le monde réel sont souvent bien lointains. Attention donc à ne pas aggraver les choses par des réformes abusives, dont on ne sait jamais toutes les conséquences, et qui naîtraient de la confusion trop vite faite entre les indéniables dérives d’une caste et les supposés défauts d’un système politique.

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