Emmanuel Macron, l’homme qui était prêt à sacrifier les intérêts français sur l’autel de l’Europe sans rien exiger en retour de nos partenaires ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chef de l'Etat Emmanuel Macron lors du sommet "Choose France", le 13 mai 2024.
Le chef de l'Etat Emmanuel Macron lors du sommet "Choose France", le 13 mai 2024.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Et la France dans tout ça ?

Dans une interview accordée à Bloomberg, le président a déclaré qu'il ne serait pas contre la prise de contrôle d'une grande banque française par un concurrent de l'Union européenne afin de stimuler une intégration financière plus profonde de l'Union.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Atlantico : Emmanuel Macron s'est donc récemment déclaré, à l'occasion de l'interview accordée à Bloomberg, en faveur de la prise de contrôle d'une grande banque française par une banque rivale étrangère, dans l'espoir de faciliter l'intégration financière au sein de l'Union. Dans quelle mesure peut-on penser qu'il sacrifie les intérêts de la France au profit de ceux de l'Union européenne ? Faut-il s'en inquiéter ?

Don Diego de la Vega : Comprenons bien que les banques françaises, depuis des années, achètent des établissements financiers un peu partout en Europe centrale et dans l'Est, notamment en Roumanie, en Pologne ou en République tchèque. Dès lors que l'on a souhaité internationaliser le secteur financier et un certain nombre de nos propres établissements, dès lors que l'on a commencé à multiplier les acquisitions à l'étranger et dès lors que nos banques ont commencé à se déployer partout où elles l'ont pu, il est devenu normal que des sociétés étrangères puissent détenir des compagnies financières françaises. Ce qu'elles font par ailleurs, quoique en demeurant minoritaires. C'est d'autant moins choquant que le président de la République, ainsi que d'autres anciens banquiers, appellent de leurs vœux les fusions et acquisitions transfrontalières en Europe. Si la Société Générale, le Crédit Agricole et la BNP veulent pouvoir continuer les acquisitions sur certains dossiers italiens, allemands, espagnols, il faudra mécaniquement accepter que cela puisse être éventuellement réciproque. Et ça me choque d'autant moins que vu le niveau d'entrisme, de consanguinité des élites financières françaises, pour ne pas dire parisiennes, un petit bol d'oxygène venu d'ailleurs serait tout à fait positif. On est quand même dans un monde bancaire français qui n'a pas évolué depuis le XIXᵉ siècle.

Du reste, rappelons par ailleurs que ce ne sont pas les établissements financiers font la politique de la France. Est-ce qu'ils développent l'intérêt général français ? Est-ce qu'ils développent les intérêts de la France partout dans le monde ? Je ne suis pas certain. Ce sont d'abord des groupes capitalistes. Le capitalisme, c'est comme le prolétariat, ça n'a pas de patrie. Et donc, à moins qu'on nationalise ces établissements (ce qui serait un petit peu compliqué vu qu'ils sont de toute façon déjà assez fortement bureaucratiques), ça me semble compliqué de les obliger à propager une vision française des choses. Autrement dit, une banque n'est pas gérée très différemment à Paris, à Francfort ou à Milan. Je ne vois pas ce qui permettrait de dire qu'il faudrait absolument que le top management de ces sociétés reste français ad vitam æternam. 

Bien sûr, certains établissements ont leurs propres spécificités. Le cas du Crédit Agricole, dont l'histoire l'ancre dans les territoires et les régions, vient tout de suite en tête. C'est un groupe qu'il serait difficile d'acheter pour ces mêmes raisons. La Société Générale, en revanche, apparaît d'autant plus simple à acquérir qu'il s'agit d'un acteur de taille intermédiaire qui ne va pas très bien et qui a encore des activités et des marchés assez internationalisés. Il fait office de maillon faible du secteur financier français, ce qui pourrait faciliter une tentative de rachat par des acteurs étrangers... mais force est de constater que ceux-ci ne se bousculent pas au portillon ! Ils ont pourtant largement les moyens de se payer une banque française, s'ils le souhaitent, au vu des capitaux dont ils disposent. Ce n'est guère étonnant : cela fait 15 ans au moins que nos banques ne délivrent pas de résultats mirobolants. Pourquoi les GAFAM ne rachètent-ils pas de banques françaises ? Pöur JP Morgan ne le fait-il pas non plus ? Ils disposent largement des moyens nécessaires, régulièrement dépenses en rachat d'actions ou dans d'autres programmes divers, mais ne le font pas. Ce n'est simplement pas rentable. Dès lors, Emmanuel Macron peut bien dire ce qu'il souhaite, cela ne change rien : en vérité, Bercy mettrait le holà très vite et les acquéreurs devraient de toute façon respecter la réglementation française. Difficile, dès lors, de procéder à la moindre réorganisation salariale.  Une banque française, ça n'intéresse pas forcément un investisseur étranger qui aurait envie de restructurer et de rendre les choses plus rentables. C'est compliqué le milieu financier français : c'est perclus de gens très bien payés avec un CDI et c'est très surveillé par Bercy !

Avant de se poser la question, "est-ce qu'il serait intéressant ou nonde s'opposer à la mainmise d'un étranger sur une banque française ?" il faudrait d'abord s'interroger sur la réalité de la demande potentielle. Est-ce qu'il y a un seul établissement au monde étranger prêt à composer avec les problèmes du Crédit Agricole, de la BNP ou de la Société Générale ? Non. La réalité c'est que la plupart de nos fleurons financiers ne sont pas vraiment attractifs ou achetables et tout cela relève bien davantage de la communication de la part d'Emmanuel Macron. Le but du jeu étant d'annoncer que la porte est ouverte de façon, en réalité, à essayer d'obtenir que dans le dans la recomposition nécessaire et le recentrage des établissements (qui sont trop nombreux en Europe) se fera à l'avantage de la France. 

Philippe d'Iribarne : Je ne suis pas sûr qu'Emmanuel Macron soit soucieux des intérêts français. On a l'impression pour lui que même l'idée de nation, c'est quelque chose d'un peu archaïque, dépassé, et qu'il faut aller plus loin. J'ai entendu, un discours qui m'a paru incroyable à Strasbourg, dans lequel il y avait une espèce d'attaque contre la nation. Pour lui, la nation, c'est la guerre, c'est le fascisme, etc. Aussi, quand il avait dit qu'il n'y avait pas de culte française. J'ai l'impression que dans son esprit, il n'est pas là pour défendre les intérêts français. Je crois que dans son esprit, son rôle, c'est de contribuer à avoir une dissolution de la France dans l'Europe. En même temps, il est un peu contradictoire, puisqu’il parle de réindustrialisation de la France. Il me semble qu'il est assez coutumier des doubles discours. 

Est-ce qu'effectivement, présenter l'idée qu'on puisse, du côté bancaire, mais également ailleurs, sacrifier des intérêts français sur le totem de l'Union, ce n'est pas déjà en soi un problème politique ?

Don Diego de la Vega : Rappelons d'abord que l'on ne sacrifie rien. Et quand bien même ce serait le cas, ce ne serait pas sur l'autel de l'Union européenne. Si l'on veut continuer à profiter d'une interdépendance croissante, notamment du milieu financier, il faut bien qu'à un moment des étrangers puissent devenir majoritaires dans des établissements financiers, banques, assurances de notre pays. Si nous voulons continuer à investir dans l'immobilier allemand, dans la gestion de fortune luxembourgeoise ou dans l'assurance italienne, il faut aussi qu'un Italien, un Espagnol ou un Allemand puisse éventuellement avoir plus de dix, vingt, trente pourcents dans une société financière française.

Le message d'Emmanuel Macron est un message de prédation, qu'il a masqué derrière un discours de communication politique en assurant aux uns et aux autres qu'il ne fallait pas s'inquiéter, que la porte était ouverte. En vérité, il cherche simplement à utiliser cette porte ouverte pour que les groupes français puissent continuer leurs acquisitions où bon leur semble. Il n'y a pas la moindre intention de faire en sorte que la Société Générale échappe à la France, puisque cela signifierait perdre toute forme de contrôle dessus et ne plus pouvoir s'inviter à chacun de ses conseils d'administration. Le président n'est pas intéressé à l'idée d'un monde libre et capitalistique, dans lequel des fonds anglo-saxons pourraient théoriquement gérer la place de Paris. Il ne l'appelle pas de ses voeux, mais il ne peut pas non plus ouvertement le rejetter. C'est pourquoi il tient discours que l'on observe aujourd'hui et dont tout le monde, dans le secteur financier, sait ce qu'il signifie.

Philippe d'Iribarne : Je pense qu'il considère que son rôle, ce n'est pas de défendre la France par rapport à l'Europe, c'est de développer, d'aller vers quelque chose de plus fédéral et qu'on ne fait pas d'omelette sans casser d’œufs. C'est au détriment de la spécificité française, peut-être, dans ce cas. C'est un problème qui dépasse Macron, qui a toujours été un problème français dans l'Union. Alors que, selon nos partenaires, les Anglais en particulier, quand ils étaient à l'intérieur de l'Europe, étaient vraiment d'une logique donnant-donnant. Alors que la vision française, c'était, si on donne l'exemple de sacrifier notre intérêt national sur l'autel de la grande Europe, on va donner l'exemple et les autres vont faire pareil. Les Français sont très déçus quand les gens disent que si les Français ont donné, c'était leur affaire. Cette vision de dire qu'on est généreux et qu'on attend une fidélité en retour, ça, c'est très français.

Au-delà du seul secteur bancaire, au-delà du seul secteur financier, est-ce que ça n'envoie pas un signal particulier à l'échelle globale de la société ? 

Don Diego de la Vega : Je pense que le message d'attractivité est un mauvais message, en cela qu'il est anecdotique. Il pousse les uns et les autres à se focaliser sur le potentiel investissement que Microsoft (ou tout autre entreprise, en vérité) pourrait décider de faire à Dunkerque ou à Valencienne, par exemple. Comprenons-nous bien : ces investissements, dont il ne s'agit pas de dire qu'ils n'ont pas leur utilité ou qu'ils n'existent pas, ne changent pas la donne à l'échelle globale. Ils relèvent, on l'a dit, du domaine de l'anecdote. Les gens ne comprennent pas que dans un pays où le PIB est de deux mille cinq cents milliards d'euros, ce n'est pas une usine à Dunkerque et une autre à Valenciennes qui change l'équation. 

Si on voulait vraiment arriver au stade de la macro-économie, il faudrait parler de l'euro trop cher. Il faudrait parler des taux d'intérêt trop hauts. Il faudrait parler des compétences, du fait qu'on ne forme que 40 000 ingénieurs en France chaque année. Nous parlerions aussi de capital humain et de capital tout court, de choses essentielles en somme. Et au lieu de ça, on se focalise aujourd'hui sur de la communication politique. 

Malheureusement, l'attractivité est utilisée par Emmanuel Macron pour faire peur ou pour se rassurer, pour faire ce qu'il sait faire, c'est-à-dire de la communication. "La France est toujours là, la France est attractive. Tel ou tel patron de Silicon Valley a mis son centre de recherche chez nous. Vous voyez bien, on est dans la course", dit-il en somme. Alors que pendant ce temps-là, malheureusement, sur une échelle plus agrégée, plus macro, on voit bien que c'est tout l'inverse qui se passe. Ça fait 25 mois qu'on est en récession industrielle partout en OCDE et notamment en France où l'on perd pied, littéralement. L'attractivité est un angle d'attaque communicationnel. Bien sûr, c'est un peu l'arbre qui cache la forêt. Ce qu'il faut appeler de nos vœux, ce n'est pas une France attractive pour les investisseurs étrangers (elle ne l'est de toute façon pas pour des raisons de centralité plus que pour des raisons de politique économique à proprement parler) mais bien une France attractive pour nos propres entrepreneurs. C'est de celà dont nous avons besoin aujourd'hui pour dépasser les mesures impressionnistes et permettre la réindustrialisation du pays. Mais pour le moment, tout ce qui intéresse Emmanuel Macron, c'est l'attractivité pour les investisseurs étrangers. Hélas.

Ce double discours qui peut être entretenu parfois avec, par moments, une volonté très nette, de protéger une certaine souveraineté française en critiquant les normes de Bruxelles, n’est-il pas paradoxal ? 

Philippe d'Iribarne : Macron est plutôt libérale. Je pense que dans la situation très bureaucratique de Bruxelles, donc contre l’empilement des normes bruxelloises. Parce que finalement, l'idée qu'une banque française soit rachetée par une autre, là, on est en plein libéralisme. On n'est pas du tout dans l'aspect bureaucratique et réglementaire de Bruxelles. Là, ça ne me parait pas contradictoire dans son esprit d'être pour l'Europe, pour une Europe libérale où on achète, etc. et contre une Europe bureaucratique. 

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