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Emmanuel Macron en Corse : l’équation sans solution
©Flickr / Le Jhe

Le Cap Corse

Alors qu'il doit se rendre jeudi en Corse, Emmanuel Macron a réaffirmé mardi 2 avril dans un entretien à Corse Matin sa volonté d'inscrire la Corse dans la Constitution, et a évoqué le "projet de texte débattu entre les représentants de la Collectivité de Corse et des maires et la ministre Jacqueline Gourault".

Jean-Michel Verne

Jean-Michel Verne

Jean-Michel Verne collabore à Paris-Match, La Tribune de Genève et a récemment publié Main basse sur Marseille… et la Corse (Nouveau Monde éditions).

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Jean-Philippe Derosier

Jean-Philippe Derosier

Constitutionnaliste | Professeur de Droit public à l'Université de Lille 

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Atlantico : Concrètement que changerait véritablement un tel texte ?

Jean-Philippe Derosier : Je ne sais pas si le texte dont vous me parlez fait partie de la révision constitutionnelle elle-même. Cette révision constitutionnelle est un peu un serpent de mer. La discussion à son sujet s'est interrompue au mois de juillet pour cause d'affaire Benalla, et n'a cessé d'être renvoyée à une date ultérieure depuis. Ce texte-là tend à introduire un nouvel article dans la Constitution : l'article 72-5, qui mentionnerait expressément la Corse, reconnaissant ainsi son existence.

Afin de préciser le propos, rappelons que la Corse bénéficie déjà aujourd'hui d'un statut particulier. Elle n'est pas une région au sens du droit commun, mais au contraire une collectivité territoriale à statut particulier comme le reconnait l'article 72, alinéa 1er de la Constitution. En revanche, la Constitution ne mentionne pas nommément les collectivités territoriales de la République à l'exception de celles qui sont situées outre-mer – Réunion, Guadeloupe, Martinique, Guyane etc. Elle ne mentionne même pas Paris comme capitale de la France. C'est d'ailleurs un peu une des originalités de la Constitution française par rapport à ses homologues étrangères.

Reconnaitre ainsi la Corse dans la Constitution c'est évidemment symbolique d'abord. Juridique ensuite – cela montre bien l'attachement juridique de la Corse à la République, ce qui quelque part peut signifier que la Corse ne pourra pas devenir indépendante sans révision de la Constitution. Enfin, cela lui donne éventuellement, en fonction de ce qui sera prévu par la Constitution, une autonomie accrue vis-à-vis des autres collectivités territoriales, dont elle bénéficie déjà, étant une autre collectivité à statut particulier, mais qui sera cette fois-ci constitutionnellement garantie, avec la protection juridique qui en découle. De sorte que le législateur ne pourra pas modifier ce statut sans devoir recourir à une modification constitutionnelle.

Le point de désaccord important porte sur la question de la langue. Emmanuel Macron a reconnu l'importance du bilinguisme, quand les autonomistes de Simeoni ont été élus pour faire passer la co-officialité de la langue corse. Sur quoi se joue cette distinction ?

Jean-Philippe Derosier :L'article 2 de la Constitution prévoit que la langue de la République est le français. Si on faisait du corse une langue officielle, cela voudrait dire par exemple que les administrations corses seraient en mesure de s'exprimer en corse et dans le devoir de comprendre le corse. Un usager du service public, d'une administration, pourrait s'adresser uniquement en corse à cette administration, et cette dernière serait tenue ensuite de le comprendre. Cela pose évidemment d'importants problèmes : le préfet, le recteur de Corse n'est pas nécessairement corsophone quand il arrive sur l'île. Cela peut engendrer un certain nombre de difficultés, ne serait-ce que formelle et linguistique.

Et la reconnaissance d'une seconde langue officielle au sein de la République soulèverait en plus des interrogations par rapport à d'autres reconnaissances dans d'autres territoires de la République où on s'exprime dans d'autres langues, comme la Bretagne avec le breton, le Pays Basque ou les territoires d'outre-mer.

Quid du bilinguisme dès lors ?

Jean-Philippe Derosier :Le bilinguisme est plus d'ordre culturel. Il garantit la possibilité d'apprendre la langue corse, voire l'encourage. Ce serait par exemple l'obligation pour les élèves d'apprendre le corse. Mais il n'y a pas d'officialisation de cette langue comme langue institutionnelle. 

Comment les annonces d'Emmanuel Macron sont-elles perçues par le pouvoir corse ?

Jean-Michel Verne : Avec l'interview publiée ce matin dans Corse Matin, c'est la première fois qu'on a aussi clairement une position de l'Etat sur la question de la co-officialité. C'est un non très clair qui a été donné. Il faut savoir que les nationalistes se sont fait élire sur quatre propositions fondamentales. La première est la co-officialité de la langue corse. La deuxième c'est le statut de résident. La troisième c'est le statut fiscal dérogatoire. La quatrième c'est le rapprochement des prisonniers dit "politiques". Pour l'instant, Emmanuel Macron ne lâche sur rien. Pour la co-officialité, l'Etat ne changera pas de discours, car cela demanderait une révision trop poussée de la Constitution. La langue officielle reste le français. On est sur un territoire de la République française qui s'appelle la Corse, qui a un statut particulier qui lui a été conféré notamment au travers du processus de Matignon. Mais on peut remarquer qu'à aucun moment, il n'est question d'autonomie dans le discours d'Emmanuel Macron. D'ailleurs, Gilles Simeoni l'a relevé aujourd'hui dans une autre interview. C'est une forme de premier échec pour les nationalistes, ce qui ne peut que tendre les rapports entre l'Etat et le pouvoir nationaliste.

Comment expliquer que ces tensions augmentent malgré les importantes discussions entre Jacqueline Gourraut notamment et Simeoni ?

Jean-Michel Verne :On le sent bien, il y a une sorte d’équilibre de la terreur. On a vu deux attentats ces derniers jours. Il y a aussi eu des bombes inactives déposées devant des centres des finances publiques. C’est un message très clair d’avertissement : « attention, si vous continuez, on va les faire exploser ces bombes ». Les deux attentats de ces derniers jours ont été précédées de cinq autres. 

On sent derrière la main à peine gantée du FLNC qui certes a déposé les armes en 2014 mais maintenant montre qu’il est capable de les ressortir. 

Jean-Michel Verne :On voit donc très bien que ce climat de tension est réel, au-delà des ronds de jambes que Macron semble faire aux nationalistes. Il n’y a pas d’avancée, c’est un pas de deux. Et démocratiquement, cela pose problème. Les nationalistes ont été élus et sont attendues un certain nombre d’avancées... que les élus n'arrivent pas à obtenir. Ce qui tend à prouver que cela ne sert à rien de mettre des nationalistes au pouvoir. 

Pourquoi a-t-on l'impression qu'il n'y a pas de dialogue possible ?

Jean-Michel Verne :Le fait que Talamoni et surtout Simeoni ne viennent pas voir le président marque un désaccord profond pour la politique menée par l’Elysée et Matignon. Certes, il y a des concertations, mais celles-ci tiennent plus du marché de dupe pour les nationalistes. Ils ont l’impression qu’on les mène en bateau. 

Et ils n’apprécieraient pas que les concessions ne soient pas celles demandées ?

Jean-Michel Verne :C’est très bien que la langue corse soit plus présente dans les lycées. Mais eux veulent aller plus loin. On voit que les choses évoluent en Corse. On voit de plus en plus sur des postes des inscriptions en corse au lieu de les voir en français. On se demande pourquoi, alors que la langue officielle est le français. Des initiatives sont prises par les uns et les autres, c’est un mouvement. Et le problème est que l’Etat n’empêche pas ce mouvement. En corse, tout le monde n’est pas d’accord avec la co-officialité. S’ils sont majoritaires, ils ne représentent pas toute l’opinion sur l’île. Il reste la majorité silencieuse qui par son silence a laissé pour voir les nationalistes accéder au pouvoir. Le problème pour eux est qu’aujourd’hui, la quasi-totalité des dossiers sont bloqués à la collectivité territoriale de Corse. Ils sont bloqués par des problèmes de finance, mais aussi de compétence. Le pouvoir nationaliste fait l’apprentissage du pouvoir, et donc acquièrent lentement des compétences. Et ils ne les ont pas toutes. Les dossiers sont bloqués, et cela grogne. Par exemple, à Centuri, le maire n’arrive pas à régler la rénovation de son port. Les problèmes multiples s’enchaînent, il y a des blocages, et la collectivité ne joue pas son rôle. 

C’est pourquoi le pouvoir doit clarifier les choses, notamment avec l’Etat. Et cela ne peut passer que par un dialogue constructif. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Retrouvez le dernier ouvrage de Jean-Michel Verne : "Juges en Corse"

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