Emmanuel Macron en Allemagne : deux nations malades et des désaccords indépassables<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président français Emmanuel Macron est photographié lors d'une cérémonie à l'ambassade de France à Berlin, le 27 mai 2024.
Le président français Emmanuel Macron est photographié lors d'une cérémonie à l'ambassade de France à Berlin, le 27 mai 2024.
©Ludovic MARIN / AFP

Visite d'Etat

Il faut remonter 24 ans en arrière pour retrouver trace d’une visite d’État d’un président français en Allemagne. A l’époque, Jacques Chirac avait rencontré Johannes Rau avant le Conseil de Nice en décembre 2000 qui actera les élargissements de l’Union européenne à l’Est.

Pierre Clairé

Pierre Clairé

Pierre Clairé est analyste du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques diplômé du Collège d’Europe

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Le président allemand jouant un rôle essentiellement protocolaire, cette visite est symbolique et non politique au contraire du conseil des ministres mardi avec Olaf Scholz. Alors que les deux nations sont profondément malades, les désaccords n’ont jamais été aussi nombreux et surtout n’ont jamais été aussi assumés.

Un point commun : des pays sous tension

Au sein des deux nations, la droite populiste et souverainiste est en pleine progression.  A ce titre, les élections européennes du 9 juin confirmeront cet état de fait. Nul besoin de revenir sur la montée fulgurante du Rassemblement National en France, qui ne semble pas pouvoir être inquiété par Valérie Hayer, alors que la défiance envers Emmanuel Macron n’a jamais été aussi forte. Mais la situation en Allemagne n’est pas forcément plus rose, avec une AfD créditée de plus de 15% des intentions de vote outre-Rhin, ce qui constitue un évènement en Allemagne. Ainsi, cette visite aura été l’occasion pour les deux présidents de rappeler l’importance de rejeter l’autoritarisme et de réaliser une union des démocraties pour combattre l’extrême droite. Il s’agit en effet d’une visite célébrant le 75ème anniversaire de la constitution allemande, adoptée le 26 mai 1949. 

Pour l’Allemagne d’Olaf Scholz, la situation est même plus pressante. Des élections régionales à haut risque se tiendront en ex-Allemagne de l’Est durant l’été et les prochaines élections fédérales sont prévues pour l’année 2025. L’AfD pourrait réaliser les meilleurs scores de son histoire alors que le parti a été il y a quelques jours exclus du groupe Identité et Démocratie en raison de propos sulfureux et de liens supposés avec des groupes néo-nazis. Emmanuel Macron entend profiter de l’urgence de la situation en Allemagne pour tenter de recoller les morceaux et d’afficher un front commun avec les sociaux-démocrates, à l’heure où les divisions ne manquent pas en Europe et pourraient affaiblir les pouvoirs en place. Seulement, si en France, nous parlons d’un couple franco-allemand qui a besoin d’une thérapie de couple, en Allemagne, ces derniers parlent d’un moteur franco-allemand enrayé qui doit fonctionner plus lentement au point qu’Emmanuel Macron semble le seul à vouloir sauver quelque chose d’inexistant.

Deux nations malades

L’Allemagne de Scholz est malade car elle s’est construite sur trois dépendances : une dépendance vis-à-vis de la Russie, pourvoyeuse de gaz à bas coût pour développer l’industrie allemande (1) ; une dépendance vis-à-vis de la Chine pour écouler leur production industrielle à forte valeur ajoutée (2) ; et enfin une dépendance vis-à-vis des États-Unis, pour leur protection et défense (3). Ces trois dépendances sont désormais fortement remises en cause, mais au lieu de revenir sur leurs valeurs fondamentales et se rapprocher de la France, les Allemands ont décidé d’adopter une ligne de fermeté qui ne va pas dans le sens de la France ou de l’Europe. En d’autres termes, sachant leur règne en Europe remis en cause par les évènements récents, ils préfèrent entraîner la France dans leur chute que de nous de nous aider. Sur le plan énergétique, la Guerre en Ukraine a mis fin à l’énergie bon marché en Allemagne, mais ceux-ci ont continué sur la voie de l’opposition au nucléaire. Sur la question chinoise, ils s’opposent à la position française et de la Commission européenne et nous empêchent d’imposer une vision stratégique à Bruxelles, axée sur plus de défiance à l’encontre de la Chine communiste. Sur les questions de défense, les Allemands restent bornés, refusant toute coopération avec la France et l’achat de matériel hexagonal, préférant la soumission aux Américains à l’indépendance stratégique européenne. Les exemples du SCAF, l’avion du futur développé avec la France, ou du char de nouvelle génération MGCS, ralentis pour raisons politiques, montrent bien que l’Allemagne refuse toute forme de coopération avec la France sur le plan militaire. 

La France d’Emmanuel Macron est également malade car elle est dans un chaos permanent. Le pays est en désordre tant dans les comptes que dans la rue. D’une part, la France d’Emmanuel Macron présentera à l’Europe un déficit public de 5,5% du PIB, un record que même les socialistes n’ont jamais atteint. Or, au sein des institutions européennes, une mauvaise gestion économique et des finances publiques décrédibilise la voix de notre pays. D’autre part, la France d’Emmanuel Macron renvoie l’image d’un pays désuni et fracturé par une répétition des crises politiques sociales (Gilets Jaunes, mobilisations contre la réforme des retraites, émeutes dans les territoires perdus de la République et désormais Nouvelle-Calédonie). Comble du hasard, cette visite était initialement prévue l’année dernière mais avait été annulée à la dernières minute pour cause d’émeutes en France, mais la situation n’est pas forcément au beau fixe en France puisque Macron revient d’un voyage en Nouvelle-Calédonie, secouée par des émeutes.

L’image d’une Europe faible

Symboliquement, la locomotive franco-allemande n’est plus. Les autres pays européens ne veulent ni du modèle allemand transférant des pans entiers de souveraineté aux puissances étrangères, ni du modèle français chaotique et non performant sur le plan économique. En effet, le modèle allemand est contesté par les pays du Sud, notamment par l’Espagne qui est sortie du marché européen de l’électricité ou encore par l’Italie sur l’attitude à adopter face à la Russie. De même, le modèle français décrit par Emmanuel Macron dans son discours Sorbonne 2 est contesté par les pays frugaux sur les aspects de mutualisation de la dette ou encore de Marché unique des capitaux et par les pays du groupe Visegrad sur les aspects d’autonomie stratégique européenne et de défense européenne face à la Russie.

Seulement, aucun autre pays ne peut prendre le leadership de l’Union européenne. De ce fait, le Conseil européen est devenu une instance faible laissant du pouvoir à la Commission européenne. Cette situation conduit à voir Ursula von der Leyen à prendre davantage de place, n’hésitant pas à s’appuyer sur les désaccords de fond entre l’Allemagne et la France. Par exemple, cette visite n‘aboutira pas à une position commune sur les élargissements de l’Union européenne l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie ou les Balkans, qui constituent des sujets récurrents à Bruxelles. Avec une von der Leyen prépondérante, les États européens renvoient aux autres puissances internationales une image faible, comme lors de la visite de Xi Jinping à l’Elysée en présence de la présidente de la Commission européenne.

Ainsi, l’Union européenne se retrouve paralysée et restera le ventre mou de la compétition internationale en étant un acteur politique faible sur le plan international et en déclin économique avec les deux premières puissances économiques malades. Si la consommation du divorce est une mauvaise nouvelle pour l’Union européenne, elle pourrait en être une bonne pour la France. En nous dotant d’un programme de redressement, nous aurions un espace pour reprendre le leadership de l’Europe en profitant des contestations grandissantes contre une vision allemande de plus en plus en minoritaire.

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