Emmanuel Macron affiche son ambition pour l’Europe. Mais au fait, quelle idée se fait-on de notre avenir commun ailleurs dans l’Union ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Angela Merkel lors d'un sommet européen. Le chef de l'Etat va présenter les axes de la présidence française de l’UE.
Emmanuel Macron et Angela Merkel lors d'un sommet européen. Le chef de l'Etat va présenter les axes de la présidence française de l’UE.
©YVES HERMAN / POOL / AFP

UE

Le président de la République doit présenter ce jeudi les 3 axes de la présidence française de l’UE et en profiter pour marteler sa vision de l’avenir des 27.

Jérôme Quéré

Jérôme Quéré

Jérôme Quéré est Délégué général du think tank Confrontations Europe. 

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Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : La France va prendre la présidence tournante du conseil de l’Union européenne. Est-ce l’occasion de faire valoir sa vision du futur de l’Europe ?

Jérôme Quéré : Tout d’abord, il faut souligner que c'est "seulement" la présidence du Conseil de l’Union européenne que prend Emmanuel Macron. C’est une institution importante mais elle ne peut pas faire les choses seules. La France ne va pas pouvoir faire ce qu’elle veut. Lors de la présidentielle, on ne met pas de nouveaux dossiers législatifs sur la table, on fait progresser ceux qui sont déjà en cours (environ 250). La France va pouvoir pousser sur certains sujets. Le salaire minimum fait par exemple débat. Il a beaucoup progressé sous la présidence Slovène. La France pourrait pousser le Fit for 55, le pacte Asile et immigration, ça ne veut pas dire que cela va aboutir.

Emmanuel Macron a désigné trois axes de sa présidence, "Relance, puissance, appartenance" lors d’un discours à l’institut Jacques Delors. Il doit détailler ces axes ce jeudi lors d’une conférence de presse. Il a parlé de consolider une Europe qui pourra faire "ses propres choix militaires, technologiques, culturels et de valeurs". On connaît la vision européenne du président de la République. Est-ce qu’il a des alliés européens ? L’Europe centrale ou d'autres pays sont-ils au diapason de sa vision ?

Jérôme Quéré : Ce triptyque, sauf la relance, faisait déjà partie de son discours de la Sorbonne. Il montre une certaine cohérence sur le sujet donc rien ne sera complètement nouveau. Il a pu faire avancer certains dossiers avec Angela Merkel. Elle est désormais partie et Olaf Scholz a pris sa place.  Ce gouvernement de coalition est beaucoup plus en phase, sur le papier, avec Emmanuel Macron. Le contrat de coalition montre des positions en faveur d’une Europe renforcée. Il est encore trop tôt pour dire sur quoi les deux gouvernements vont s’entendre mais la configuration est prometteuse. Si les deux sont d'accord ce sera un bon début pour des avancées.

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On peut estimer que sur ce plan il y a un alignement des planètes : la présidence d’Emmanuel Macron, le nouveau gouvernement allemand et la présence de Mario Draghi à la tête du gouvernement italien. Ce trio pourrait donner une impulsion et avoir une force de conviction.

Rodrigo Ballester : Il est difficile de juger ce que veut dire Emmanuel Macron sur trois mots. Sur la relance je pense que tous les pays sont d’accord. Par ailleurs, puissance et appartenance, sont des mots qui peuvent résonner de manière positive parmi les pays du groupe de Visegrad, y compris la Hongrie et la Pologne. La question est, quelle tournure va être donnée aux mots. La conception macroniste de l’avenir de l’Europe est plutôt fédérale avec un pari assumé vers plus d’intégration européenne, plus de pouvoir dévolu à Bruxelles. Celle du groupe de Visegrad n’est pas eurosceptique mais repose davantage sur les deux sources de légitimité de l’UE : les citoyens et, surtout, les états-nations au lieu des institutions européennes. Plus de pouvoir pour les  parlements nationaux, un respect et une culture de la subsidiarité, une application stricte du principe d’attribution des compétences, etc…In fine, une Europe plus pragmatique et plus centrée sur la coopération et les bénéfices économiques. Voilà la grande différence.

Mais il y a aussi beaucoup de terrains d’entente. L’Europe puissance est un sujet. L’Europe de la défense et la coopération en la matière sont loin d’être un tabou, au contraire.  La souveraineté européenne sur une politique industrielle commune peut aussi leur parler. Au contraire, cela rejoint leur approche pragmatique de l’UE : faire des choses ensemble quand cela ajoute une valeur ajoutée. Il faut rappeler que les pays d’Europe centrale sont d’excellents élèves du marché intérieur. Ils ont fait des réformes drastiques avant et après leur adhésion, ils sont compétitifs et sont en bonne santé économique avec des taux de chômage très bas, des taux de croissance élèves et soutenus et des dettes publiques sous contrôle.

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Emmanuel Macron a appelé à consolider "une Europe qui pourra faire ses propres choix, militaires, technologiques, culturels, de valeurs" face au modèle chinois, au modèle américain. Sur ces deux derniers items. Les visions sont drastiquement différentes entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe centrale.

Rodrigo Ballester : Sur la culture et les valeurs, c’est même plus qu’une différence. Pour les pays du groupe de Visegrad, la culture et les valeurs ne font pas parti des compétences de l’UE mais sont des compétences strictement nationales, c’est aux Etats d’agir en la matière et en parler au niveau européen. C’est surtout la définition des valeurs européennes qui fait débat : les Visegrad n’hésitent pas à parler des racines chrétiennes de l’Europe alors qu’à l’Ouest, on voit bien ce que vision est bien différente et les polémiques récentes sur les lignes de « communication inclusive » de la Commission, ou l’infraction contre la Hongrie sur la loi de protection des mineurs l’attestent.

Le groupe de Visegrad est aussi pragmatique sur le plan géopolitique et est près à discuter sur une Europe « puissance » et stratégiquement autonome. Ils veulent exister sur la scène internationale, avec plus de coopération des États membres, plus d’union dans certains domaines. Il ne faut pas oublier que pour certains pays d’Europe, l’Union européenne est un choix civilisationnel. Et lorsqu’on s’attaque aux pays d’Europe centrale sur des sujets de société on émousse la confiance et on empêche d’avoir un débat sincère et engagé sur les enjeux stratégiques et géopolitiques. 

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Sur la notion de "puissance" européenne, y-a-t-il des divergences ?

Jérôme Quéré : La puissance renvoie à la défense et aux affaires étrangères. Une boussole stratégique a été récemment présentée par la Commission européenne. Pour la France, cela reste en dessous des attentes mais c’est une problématique plus développée chez nous que dans d’autres pays européens. La Pologne ou la Hongrie n’ont pas forcément la même vision et si Emmanuel Macron essaie de la renforcer ils seront plus que frileux. D’autres pays le seront aussi, notamment le Danemark. Ce pays l’est souvent sur ces sujets. Il ne pose aucun problème sur des sujets liés au marché unique mais reste prudent sur le reste. Dans une moindre mesure, avec les Pays-Bas, ces pays jouent un peu le rôle qu’occupait le Royaume-Uni jusque-là. D’un domaine à l’autre, les visions diffèrent.  

Sur le numérique, le Digital market act va probablement pouvoir progresser mais le Digital service act sur la régulation des grandes plateformes va avoir beaucoup plus de difficulté à aboutir. Ce sont plutôt l’Irlande, le Luxembourg, l’Estonie qui vont s’opposer sur ce domaine là où elles sont moins opposées sur les enjeux stratégiques. L’Estonie est pourtant un bon élève de l’UE, mais elle a beaucoup développé la présence des acteurs du numérique sur son territoire.

On connaît la position du groupe de Visegrad sur un certain nombre d’enjeux. A quel point sont-ils réfractaires à plus d’intégration ? Sont-ils les seuls ?

Jérôme Quéré : Il est assez rare que les pays ne souhaitent progresser sur aucun domaine, sans pour autant parler d’un État fédéral. La nouvelle coalition allemande en parle dans son contrat de coalition et c’est une grande nouveauté. Tout le monde a des intérêts en Europe mais pas forcément les mêmes intérêts.

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On peut s’opposer sur un certain nombre de choses, mais pas sur tout. La Hongrie et la Pologne sont contre le reste de l’Union sur un certain nombre de choses, notamment liées aux contrôles de l'État de droit, mais ça ne veut pas dire qu’ils bloquent sur tous les sujets, bien au contraire. Il faut aussi noter que les dirigeants ne sont pas forcément leurs peuples. D’ailleurs dans aucun pays, la population ne souhaite à majorité sortir de l’Union. L’euroscepticisme n’est pas l’europhobie. Certains sont aussi déçus de l’Union européenne car ils voudraient justement plus d’intégration. Citer la Hongrie et la Pologne comme les mauvais élèves est trop caricatural. Il va être intéressant de voir comment Emmanuel Macron va prendre la parole vis-à-vis de ces pays-là.

Avec le plan de relance Covid, on a beaucoup parlé de l’opposition des pays dits « frugaux ». En termes d’avenir de l’Europe, sur les questions économiques, quels sont les rapports de force sur ces sujets ?

Jérôme Quéré : Le Covid a largement rebattu les cartes. La mutualisation du la dette était impensable jusqu’à présent. Pourtant, il y a eu une progression pragmatique, notamment d’Angela Merkel sur ces questions. On est loin de la situation lors de la crise de l’euro et de la crise en Grèce. A l’époque, cela revenait à investir de l’argent pour sauver les contribuables grecs. Aujourd’hui, tout le monde est concerné et il n’y a pas de fautifs. De plus, l'endettement s’est fait en commun et c’est de la nouvelle dette. Le remboursement va lui aussi se faire en commun en fonction des possibilités de chacun dans un but de relance et d’investissement. La Commission européenne a agi plutôt rapidement par rapport à d’habitude. Deux tendances s’opposent entre les pays : d’une part celle qui considère que c’était une décision unique et exceptionnelle et d’autre part celle qui espère que c’était le moment « Hamiltonien » et qu’il va désormais être possible de s’endetter en commun pour des investissements d’avenir.  Pour que cette deuxième option soit possible, il faut de nouvelles ressources propres et la mise en place de ces dernières ne fait pas consensus. C’est le cas de la taxe sur les GAFAM, de la taxe carbone, etc. Pour que les dossiers avancent c’est une question de culture politique dans le pays mais aussi plus prosaïquement de majorité politique à un instant T.

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Sur les questions de santé, il y avait une certaine frilosité générale. Le Covid a encore fait bouger les lignes. C’est souvent par les crises que l’Europe avance. Reste que les « frugaux », Suède, Finlande, Autriche, Pays-Bas sont plus réservés sur la question car ils estiment ne pas forcément voir la plus-value européenne.

A quel point l’enjeu migratoire divise l’Europe sur son avenir ?

Jérôme Quéré : L’Italie et la Grèce poussent pour une réforme du pacte Asile et immigration qu’ils voient d’un mauvais œil car ils estiment qu’il ne va pas assez loin. D’autres pays demandent le statu quo sur le sujet et certains, comme la Hongrie ou la Pologne, veulent revenir sur ce qui est déjà en place. Ici c’est l’exposition aux flux migratoires qui est responsable des positions antagonistes.

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