Émeutes, tensions sociales et communautaires : le logement, grand loupé des politiques publiques françaises ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Élisabeth Borne a présenté le 27 octobre des mesures sociales pour lutter contre les émeutes en banlieues.
Élisabeth Borne a présenté le 27 octobre des mesures sociales pour lutter contre les émeutes en banlieues.
©Bertrand GUAY / AFP

Pas à la hauteur

Le volet logement du plan gouvernemental anti-émeutes concerne principalement le recyclage limité d’une politique ancienne.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : Le gouvernement a présenté en fin de semaine dernière son plan en deux volets, régalien d’une part, social, d’autre part, pour éviter le retour des émeutes comme celles que nous avons connues en juin dernier. Même s’il est évident que les questions sécuritaires appellent en premier lieu des réponses sécuritaires, que vous inspire le volet prévu sur le logement puisque les problématiques de logement sont au cœur du malaise social voire identitaire des quartiers dits difficiles ?

Charles Reviens : Les émeutes et violences urbaines qui ont fait suite au décès de Nahel Merzouk fin juin-début juillet 2023 ont conduit à l’incendie de 12 000 véhicules et à la dégradation de 2 500 bâtiments, dont 168 écoles et 105 mairies. Selon les données fournies à la semaine dernière par Elisabeth Borne sur la base des données des 3 500 interpellations réalisées à l’occasion, « les trois quarts des auteurs sont nés en France; un tiers n’a pas de diplômes ; les jeunes issus de familles monoparentales sont fortement surreprésentés (...) ; un quart à peine des auteurs avait plus de 25 ans; un sur cinq était encore lycéen ».

Il est donc évident que l’enjeu logement ne peut être qu’accessoire pour tirer les leçons d’événements tout sauf anodins et surtout éviter leur renouvellement. Outre un volet régalien et répressif évident (volet évoqué par Elisabeth Borne le 26 octobre), on aurait pu dans le champ social prendre en compte les difficultés particulières posées par les familles monoparentales au vu de la situation familiale des jeunes auteurs, qui ont par exemple conduite certains exécutifs conservateurs (comme le gouvernement hongrois) à déployer une politique familiale volontariste passant par la promotion de la nuptialité et la réduction du nombre des divorces justement pour minimiser le nombre de familles monoparentales.

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Ce n’est pas dans cette direction que s’est avancée Elisabeth Borne lors de la présentation du volet non régalien de la réponse gouvernementale aux émeutes lors de ses propos et annonces du 27 octobre. Les annonces ont été faites à l’occasion d’un comité interministériel des villes (CIV), instance créée en 1988 et qui renvoie donc à la politique de la ville, politique publique initiée il y à quarante ans voire cinquante ans. Les seules réponses évoquées par Elisabeth Borne en matière de logement concerne la mixité sociale, en même temps « une chance » et « nécessaire ». Concrètement, il est demandé aux préfets de ne plus attribuer de logements sociaux ou de créer des places d’hébergement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville pour enrayer des phénomènes de concentration de la pauvreté.

Le volet logement du plan gouvernemental anti-émeutes concerne donc principalement le recyclage limité d’une politique ancienne correspondant à un objectif politique de « en même temps » entre le régalien et le social.

Il est souvent répété que la France a beaucoup investi dans la politique de la ville et dans la construction et la rénovation des logements sociaux. En faisons-nous trop, pas assez ou… de manière mal ciblée ?

La France dispose d’un des principaux parcs européens de logements sociaux, toujours en croissance, et d’une politique de la ville ancienne et disposant de moyens financiers publics importants. Ces politiques ont une dimension principalement sociale et bâtimentaire notamment depuis le programme national de rénovation urbaine (PNRU) initié par Jean-Louis Borloo il y a juste vingt ans, mais ont également parfois inclus des volet de développement économique avec les zones franches urbaines initiées en 1996.

Le secteur du logement social et encore plus la politique de la ville est un sujet fondamentalement polémique et clivant en France. Ses opposants considèrent que c’est un échec patent si l’on met en regard les moyens qui lui sont dédiés et l’évolution de la situation notamment sécuritaire dans les quartiers. Il y a en outre depuis dix ans la thématique de la « France périphérique » popularisée par Christophe Guilluy qui considère qui considère que le milieu périurbain et rural où se concentre désormais l’essentiel de la France populaire ne profite pas des avantages des agglomérations dans leur ensemble, y compris les « quartiers » qui bénéficient à la fois des emplois métropolitains et des subsides publics de la politique de la ville.

Au contraire, les défenseurs de la politique de la ville, souvent accessoirement les bénéficiaires des subsides publics associés, répondent face à ces critiques que cette politique a d’une certaine façon permis d’éviter une dégradation plus grave encore de la situation générale et sécuritaire.

Les objectifs de mixité sociale et ethniques affichés par les gouvernements successifs vous paraissent-ils réalistes ?

L’approche évoquée par Elisabeth Borne consiste à faire en sorte que l’Etat ne place pas de publics fragiles dans les quartiers considérés comme économiquement ou socialement défavorisés. Mais cela suppose d’une part que ces quartiers ne soient pas eux-mêmes dans une dynamique de paupérisation et d’autre part que des personnes non fragiles aient envie de venir y habiter, ce qui n’est globalement jamais le cas. Il y a manifestement un écart majeur entre les moyens à la main de l’Etat et les objectifs affichés.

Par ailleurs, il y a un lien puissant entre les enjeux de mixité sociale et ethnique et les conséquences de vagues migratoires importantes et constantes. S’il y a une arrivée permanente de nouveaux arrivants pauvres par de mulitples canaux, il n’y a strictement aucune chance de parvenir à une stabilisation voire à une amélioration de la situation sociale du territoire d’arrivée de ces populations.

Qui, à l’étranger, fait mieux que nous et pourrait nous inspirer ?

La France a créé jusqu’aux années 1980 des territoires fortemnet spécialisés socialement suivant en lien avec des considératons électorales (« ceinture rouge ») et donc le pays doit vivre avec les conséquences de cette situation. D’autres pays ont échappé à cette spécialisation : on peut penser à l’Autriche et à Vienne qui en dépit d’un très haut niveau de logement social a échappé aux stigmatisations territoriales, ou dans un autre genre à Singapour qui a organisé dans le cadre d’un régime plus autoritaire des quotas ethniques de répartition de la population par quartier. Mais chaque pays a son anthropologie et il y a des limites au plaquage d’un système sur un autre.

Il y a en tout cas avec la Suède un pays modèle qui semble être tombé de son piédestal avec une situation sécuritaire qui s’est considérablement dégradés en deux décennies.

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