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Elections algériennes : manifestations et abstention record, le peuple algérien plus déterminé que jamais à en finir avec   les années Bouteflika
©RYAD KRAMDI / AFP

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Les élections présidentielles se déroulaient ce jeudi en Algérie. Plus de six Algériens sur dix ont boudé les urnes jeudi 12 décembre, une abstention record, lors de cette élection. Seuls 39,93 % des inscrits ont voté.

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren, historien, est président du Laboratoire d’analyse des ideologies contemporaines (LAIC), et a récemment publié, On a cassé la République, 150 ans d’histoire de la nation, Tallandier, Paris, 2020.

 

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Atlantico.fr : Les élections présidentielles se tenaient ce jeudi en Algérie. Des élections majoritairement rejetées par la population qui manifestent son mécontentement envers le gouvernement dans un mouvement social inédit depuis  le mois de mars dernier.

Alors que le Hirak -le mouvement de contestation- a poussé Bouteflika vers la démission en  avril dernier, les Algériens étaient aujourd'hui appelés à élire leur nouveau président. Face au durcissement des réactions du pouvoir envers les manifestants et à sa volonté constante de ne pas céder, on s'attendait à un taux d’abstention record. Qu'en a-t-il été en réalité ? Des milliers d'Algériens ont manifesté dans la rue plutôt que d'aller voter, qu'elle a été la réaction du pouvoir ?

Pierre Vermeren : D’après les chiffres officiels, si 8,5% des électeurs algériens de l’étranger (4% de l’électorat) ont voté, ils auraient été plus de 40% en Algérie. Vu les taux très faibles de participation dans les grandes villes et surtout en Kabylie, cela veut dire que le pouvoir a réussi à faire voter ses clientèles (l’Etat FLN, l’armée, les familles des mudjahiddine etc.), et au-delà, que la peur du chaos a poussé des personnes âgées, des commerçants etc. vers le vote, car ils redoutaient les effets de la politique du pire (la Syrie est dans toutes les têtes). C’est certes une victoire à la Pyrrhus pour le régime, d’autant plus que des millions d’Algériens n’ont pas de carte électorale, ce qui affaiblit la participation effective. Mais à 10 points du taux officiel de 2014 (qui était de 50%), ce sera considéré comme un bon résultat par le pouvoir, que ça plaise ou pas (dans la Syrie de Assad ou l’Egypte de Moubarak, le taux effectif de participation moyen était de 10%). L’Etat peut en outre mettre en avant qu’il a laissé des grosses manifestations hostiles se dérouler jusqu’au cœur d’Alger, devant les journalistes occidentaux qui ont reçu leur visa il y a une semaine ; quelques coups de matraques ne changent rien à l’affaire. Bref, même si ça ne résout rien, le régime doit s’estimer satisfait… et l’armée va quitter le petit écran.

Suite à cette élection qui n'a donc qu’un soutien très mitigé du peuple, quelle tournure pourrait prendre le mouvement? Pourrait-il se durcir ou le souvenir de la décennie est une "barrière" à l'usage de la violence quelle qu'elle soit ?

La personnalité qui sera élue de gré ou de force aura une toute petite marge de manœuvre politique pour ouvrir le jeu, proposer de discuter de la future constitution, des modalités de l’ouverture politique… Il serait extrêmement étonnant que les autorités ne proposent rien de sérieux au vu des circonstances exceptionnelles que traverse l’Algérie depuis février 2019 : mais seul Ali Benflis pèse un certain poids politique, et semble pouvoir s’adresser au peuple, raison pour laquelle on le disait peu susceptible d’être élu… Qu’en sera-t-il des législatives, car le parlement actuel est totalement discrédité et en bout de course. ? Il fait peu de doute que les militants du Hirak vont reprendre le chemin des manifestations, et que le pouvoir laisse faire, en maintenant une surveillance et une répression minimale  –mais très efficace néanmoins-, en attendant que le mouvement ne s’épuise… Il faudrait une sacrée force d’âme aux manifestants pour continuer ainsi. Tous les Algériens ou presque sont mécontents et tristes –voire désespérés- de la situation de leur pays, mais comme l’économie dépend presque exclusivement de la rente gazière, il est difficile de faire pression sur le gouvernement en bloquant la production : cela n’aurait aucun impact, et les hydrocarbures sont sanctuarisées, l’Algérie n’est pas la Lybie.

Quelles légitimité et possibilité d'action aura le nouveau gouvernement qui est majoritairement d'ores et déjà désavoué ? 

Le gouvernement sera doublement corseté : par une opinion qui ne lui reconnaît en majorité aucune légitimité, et par l’Etat militaire qui lui offre une marge de manœuvre très réduite. La société politique est très fragile, les cadres et les jeunes (hors administration, et encore !) veulent quitter le pays, et les grands espoirs du printemps sont douchés par cet immobilisme de l’Etat. Comment dans ces conditions dessiner le grand dessein économique sans lequel l’Algérie ne survivra pas à la fin de la rentre pétrolière ? Bouteflika a bénéficié de 800 milliards de dollars de rente qui ont été pour un tiers donné à la population pour la calmer, un tiers investi et un tiers détourné ou gaspillé. Cela ne va pas se reproduire : donc si le gouvernement ne peut pas relancer la production et l’économie de marché, c’est l’asphyxie programmée ; Mais comment sortir du piège sans donner des espoirs politiques à une population manifestement très mûre ?

Enfin dans quel scénario le pouvoir pourrait-il flancher ? 

L’Algérie des généraux est soutenue par la Russie et les Monarchies du Golfe, par l’Egypte et par la Syrie. La France, l’Union Européenne et les Etats-Unis ne disent rien, or qui ne dit mot consent. Seuls donc les Algériens peuvent faire bouger l’édifice de l’intérieur : ils ont tenté tous les moyens pacifiques à leur disposition. Mais le Hirak s’est montré impuissant à renverser l’ordre des choses. Plus rien ne sera comme avant –au moins dans les têtes-, et la culture politique et démocratique des Algériens a énormément progressé. Si le président et le premier ministre à venir ne savent pas parler au peuple, voire font des erreurs grossières, cela risque de tanguer. Mais les Algériens vont pouvoir en principe élire une nouvelle chambre, ce qui va maintenir la mobilisation politique. Et si l’espoir du changement venait du parlement ? Depuis 1991, il n’y a pas eu d’élection libre en Algérie… Localement, les choses peuvent être plus simples. Reste l’hypothèse d’un crack économique. L’économiste Mouhoud el Mouhoub donne deux ans à l’économie de rente avant une sorte de banqueroute de l’Etat. Il est certain qu’un Etat de plus de 40 millions d’habitants qui ne produit que du gaz et du pétrole n’est pas viable au XXIe siècle.

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