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Edouard Philippe, un Premier ministre (pas si) discrètement anticlérical ?
©IAN LANGSDON / POOL / AFP

Lieux de culte

Le Conseil d'Etat a ordonné lundi 18 mai au gouvernement de lever l'interdiction totale de réunion dans les lieux de culte. Edouard Husson revient sur la politique du gouvernement vis-à-vis des cultes et sur la laïcité.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Un verdict qui dérange? 

Le Conseil d’Etat a donc rendu, le 18 mai 2020, son verdict concernant le maintien de l’interdiction des cérémonies publiques du culte. Le dispositif en place est « disproportionné », en particulier au vu de la possibilité subsistante de se réunir à dix personnes. Le jugement rendu est un sérieux désaveu de l’attitude du gouvernement et une grande victoire pour les associations, communautés et individus qui avaient porté plainte contre le gouvernement. 

Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact du verdict. Le ton neutre sur lequel la Conférence des Evêques de France a commenté la décision cachait mal l’embarras d’avoir à sortir de relations apparemment stabilisées avec le gouvernement et avec l’Etat. Au fond, il y avait eu connivence entre Monseigneur de Moulins-Beaufort, président de la CEF et le Premier ministre: la conférence épiscopale avait en quelque sorte pris les devants, juste avant la mi-mars, pour recommander la fin des cérémonies publiques, évitant au gouvernement d’avoir le mauvais rôle. Les relations s’étaient légèrement tendues fin avril début mai, lorsque le gouvernement avait finalement refusé d’affronter les musulmans en autorisant les catholiques, pourtant mieux préparés, à reprendre le culte avant les autres. Mais on n’était pas allé au-delà des protestations. Au fond, la CEF ne veut pas mettre en cause le modus vivendi qui s’était instauré ces dernières années. 

Laïcité équilibrée et laïcité asymétrique

Il vaudrait pourtant la peine de regarder de plus près ce qu’a signifié l’attitude du gouvernement depuis le début du confinement. Lors de son discours au Collège des Bernardins, le 9 avril 2018, le président de la République avait décrit la laïcité comme une « règle d’airain », à la base du « vivre-ensemble » et qui ne souffre aucun compromis. Ce que le Président n’avait pas dit, c’est qu’il y a en France, depuis les grands affrontements du XIXè siècle, deux conceptions de la laïcité. La première, héritage des édits de tolérance de Louis XVI vis-à-vis des protestants et des Juifs, repose sur la distinction claire entre le religieux et le spirituel mais n’interdit pas la participation des confessions au débat public pourvu qu’elles respectent la neutralité de l’Etat et son autorité. La seconde, qui puise dans l’expérience de la Révolution française est d’abord anticatholique. Elle entend ramener le catholicisme à la sphère privée, effacer sa présence culturelle, historique et sociale. Les républicains ont toujours hésité entre les deux attitudes, la laïcité comme équidistance de l’Etat vis-à-vis de tous les cultes et la laïcité asymétrique, d’abord anticatholique: ces deux attitudes sont bien incarnées par les discours antinomiques, à dix ans d’intervalle, de Nicolas Sarkozy et d’Emmanuel Macron devant les catholiques. Le premier avait expliqué que, dans notre histoire, le curé avait toujours atteint plus profondément, pour le meilleur, les consciences, que l’instituteur. Le second avait invité les catholiques à participer à un débat public sur la bioéthique mais en acceptant d’emblée de reconnaître qu’ils étaient minoritaires. 

Un anticatholicisme (peu) raisonnable 

Edouard Philippe a beau venir du parti de Nicolas Sarkozy, il est beaucoup plus proche d’Emmanuel Macron. Le confinement l’a révélé fermé à toute considération spirituelle: son premier mouvement avait été d’interdire les rassemblements lors des enterrements. Et surtout capable de s’accommoder de la scandaleuse inégalité de traitement entre les musulmans et les autres croyants que la laïcité asymétrique a laissé s’installer: rien n’a été entrepris contre les individus ou les communautés qui ont brisé, durant le confinement, l’interdit de l’appel public à la prière depuis le minaret des mosquées. Rien n’a été fait, au-delà de quelques contrôles initiaux, pour faire respecter le confinement dans des quartiers où la population est majoritairement musulmane. Et ce sont les représentants du culte musulman qui ont eu gain de cause contre les catholiques pour retarder la réouverture des cultes publics. Jusqu’à ce que des laïcs engagés et des communautés marginalisées par l’establishment épiscopal parce que jugées trop traditionnelles par beaucoup de nos têtes mitrées, fassent triompher l’état de droit. 

Il y a fort à parier que, malgré l’urgence de la reprise des cérémonies publiques au moment où les catholiques, privés de messe publique à Pâques, entament la décade qui mène de l’Ascension à la Pentecôte, les pouvoirs publics ne vont pas se presser. Et nos évêques ne vont pas s’appuyer sur le verdict du Conseil d’Etat pour les mettre sous pression. Monsieur Philippe a l’air si raisonnable et pragmatique à côté de son président. Pourquoi le mettre en mauvaise posture? Et pourtant, il faudrait justement dénoncer un anticléricalisme - après Vatican II il vaut mieux parler d’anticatholicisme tant le catholicisme s’est décléricalisé -  d’autant plus pernicieux qu’il est calme et tranquille. Il se peut que Monsieur Philippe quitte l’Hôtel Matignon dans les prochaines semaines. Il est tout à fait possible, du coup, qu’il regagne en popularité auprès des électeurs de son ancien parti. Peut-être même aurait-il des gestes, alors, pour regagner les faveurs des catholiques. Tout le monde serait soulagé, à commencer par la Conférence épiscopale. Ce serait une grave erreur. 

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