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Economie : grande panne d’idées à droite (alors qu’il y aurait pourtant de quoi proposer "du nouveau")
©DOMINIQUE FAGET / AFP

LR dans le rétroviseur

Christian Jacob a dévoilé cette semaine le nouvel organigramme des Républicains. La droite dispose-t-elle encore d'un "logiciel" économique cohérent ? Quelles idées économiques pourraient aider la droite à construire une alternative crédible et solide ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico.fr : Christian Jacob a présenté son équipe pour la direction de LR. Une des questions principales qui se pose est celle de la ligne économique de cette équipe, qui reste pour le moins floue. La droite a-t-elle encore un "logiciel" économique cohérent ? 

Mathieu Mucherie : Les idées ne sont pas les seules raisons de l'échec de la droite actuellement mais elles importent. De même, au sein de ces idées, il n'y a pas que les idées économiques mais elles importent aussi. Au niveau économique, l'impression que l'on a dans la droite classique, c'est que si elle revient au pouvoir, elle ne ferait pas grand-chose de différent de ce que faisaient les gouvernements précédents depuis deux ans. Elle abaisserait vaguement les charges sociales et compenserait cela par de la CSG ou la TVA. C'est la politique constante de tous les gouvernements depuis 1991.
On a également l'impression qu'on ne bousculerait pas la BCE et qu'il n'y aurait aucun "secouage de cocotier" de l'ordre existant. Il semble que rien ne changerait sur le plan fiscal, budgétaire ou monétaire. A la rigueur, la droite pratiquerait peut-être plus de sortie du capital d'entreprises semi-publiques, elle ferait certaines choses de manière légèrement différente. Ce qui est désespérant pour l'électeur de centre-droit ou de droite classique, c'est que finalement lorsqu'on voit les propos des uns et des autres, il n'y a pas de réelle différence et c'est quelque chose de très démobilisateur. Il n'y a pas de génération d'idées. Avec les têtes pensantes actuelles, que ce soit Pécresse, Larcher ou d'autres, il n'y a aucune différence avec ce qui est fait ces dernières années.

Évidemment, c'est une préoccupation pour qui s'intéresse majoritairement à l'économie et il ne semble pas que cela soit l'alpha et l'oméga de la politique française. Mais c'est important et ça n'est pas très engageant. Avec François Fillon, il y avait cette idée de secouer un peu plus le cocotier sur le côté fiscalo-budgétaire avec ce projet de suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, idée considérée comme peu réaliste au vu des précédentes promesses semblables. Mais au moins il y a avait cette idée de bouger les choses.

La question se pose de ce qu'il faut faire. Faut-il revenir à des programmes assez radicaux comme Fillon, au risque de ne pas être crédible, ou faut-il se diriger vers l'équivalent d'une copie de Sciences-Po, à savoir ce que propose la République En Marche ? L'idée doit être de générer de nouvelles idées.

Sébastien Laye : Depuis longtemps - à l'exception de l'épisode Fillon qui a tenté un renouveau thatchérien, peu susceptible de prendre prise en France au delà des milieux économiques, mais allié à un conservatisme puissant et populaire- le logiciel économique de la droite est celui de la technocratie française énarchique: une vague acceptation de l'ordre des choses de la mondialisation et une pratique de la réforme par cliquets, progressive, qui explique notre retard sur les autres pays qui sont souvent passés par de véritable révolution économique. Cette pensée très timorée (qu'on a retrouvé dans le juppéisme) n'était pas très différente de la pensée économique de la seconde gauche, d'où la jonction opérée par Macron entre ces deux mondes: réformisme social libéral bon teint et progressisme libertaire. La Droite a depuis longtemps perdu les racines de sa pensée économique, qui puisaient aux trois droites (orléaniste, bonapartiste et conservatrice), au profit d'un consensus technocratique aligné sur les préconisations du FMI et de Bruxelles. L'esprit gaullien d'un Jacques Rueff a été jeté aux orties depuis deux décennies au moins. A ce sujet, l'alternance étant une donnée démocratique, la Droite est encore plus responsable que la Gauche de l'échec de notre pays, en refusant de s'assumer comme Droite au niveau de la pensée économique.

Pourquoi les personnalités droites sont-elles aujourd'hui, ou semblent-elle dépassées par les questions économiques ? 

Sébastien Laye : Pour une raison ontologique et une raison politicienne. Ontologiquement, aucun des leaders actuels de la Droite ne vient du monde de l'entreprise ou de l'initiative privée. Regardez les candidats au poste de Président du Parti ou les putatifs présidentiables, ils ne brillent pas par un vrai parcours dans le monde du privé...D'un point de vue politique, d'aucuns ont considéré que les jeux étaient faits, que Macron allait réformer la France, que les résultats économiques et sociaux seraient au rendez vous, et que donc il fallait uniquement se positionner sur les questions régaliennes ou de société, voire dépasser Macron par sa gauche en économie. Or le miracle n'a pas eu lieu et ls Francais attendront en 2022 qu'on leur explique pourquoi la France n'a pas obtenu les résultats économiques escomptés, et quelles sont les solutions différentes de celles que préconisent Bruxelles et Macron. Il y a je crois, une grande paresse intellectuelle chez de nombreux leaders de la Droite qui est irrémédiable.

Certain ont pu faire remarquer que, pour un parti censé représenté une pensée libérale, la nomination de Guillaume Peltier comme n°2, lui qui a déjà fustigé le capitalisme financier, était troublante. La droite a-t-elle renoncé au libéralisme économique ?

Sébastien Laye : La Droite devrait être fidèle aux valeurs du libéralisme classique, tocquevillien, qui concevait la liberté dans un cadre politique- La Nation, un cadre juridique- L'Etat de Droit, et et un cadre culturel- l'Anthropologie occidentale. Elle doit renoncer à la dérive néo libérale qui a fait de l'idéologie de la mondialisation et de la société liquide (Zygmut Bauman) l'alpha et l'omega des politiques économiques progressistes. Qu'elle cesse de se regarder le nombril et scrute le reste du monde: les partis de Droite populaire de par le monde sont pro entreprises, créent un climat des affaires beaucoup plus favorables qu'en France, tout en restaurant la souveraineté économique de leurs pays et en freinant le libre échangiste: les libres échangistes et étatistes sont à Gauche désormais sur le spectre des idées politiques, et à ce titre, Macron est de Gauche comme Trudeau ou Hillary Clinton peuvent l’être.

De quelles idées économiques la droite pourrait elle s'inspirer pour construire une alternative crédible et solide ?

Mathieu Mucherie : On peut créer du nouveau avec de l'ancien. Il y a à droite un joli stock de choses anciennes qui n'ont jamais été tentées au niveau général.

Favoriser la participation

Je pense par exemple à la participation. C'est un principe très gaulliste, c'est dans le stock cognitif de la droite classique. C'est élégant et ça peut être réutilisée massivement. La participation, c'est une forme de distributisme (Chesterton, Belloc...). On a une droite classique qui n'a finalement jamais été libérale et qui n'a jamais été socialiste. L'idée est donc de tenter une autre voie : le distributisme. On s'organise pour rester dans le capitalisme mais en invitant davantage de gens à la table.

Il faut donc qu'il y ait davantage de propriétaires et que les salariés se comportent comme des salariés actionnaires et non simplement des salariés. Il y a donc moins de fruits de la croissance mais on peut en faire profiter davantage de monde. Il faut ouvrir le capital, plus que ce que l'on pratique actuellement. C'est un principe mobilisateur, qui peut apporter un gain de productivité supérieur et qui parle. C'est dans le capital cognitif, historique et économique de la droite classique. Macron nous parle de "start-up nation" mais la réalité c'est que les gains imaginés dans ce cadre-là sont concentrés sur les 1 ou 2 % de gens qui détiennent le capital. Alors qu'avec la participation, nous aurions un capital beaucoup plus populaire. 

L'idée serait qu'il n'y aurait plus d'entreprises françaises où 10% du capital n'est pas détenu par les salariés. Cela engage un changement fiscal et réglementaire profond. Cela peut faire l'objet d'un deal avec les partenaires sociaux et c'est transformatif. C'est un très beau chantier.

Prêter de l'attention aux dettes

Autre point appartenant à la droite classique : l'attention portée aux dettes. On a actuellement des gens du côté des Gilets jaunes qui sont surendettés, qui sont incapables de s'inscrire dans un projet économique. Lorsqu'on regarde l'ensemble des dettes en France, il ne s'agit pas de montant considérable mais en raison des taux élevés, plusieurs centaines de milliers de personnes vivent la peur au ventre. Une droite généreuse traiterait avec cet élément et travaillerait pour les remettre, les rééchelonner, les effacer de façon plus large via la Banque de France ou de manière plus large la BCE.

Il faudrait bien sûr des contreparties mais c'est généreux et c'est un programme social. Pour l'instant le programme social de la droite n'est pas net et il est même vide. La droite propose des réformes structurelles mais elle n'a pas de carotte, juste le bâton.

Un autre avantage de la remise des dettes, c'est que c'est très chrétien, c'est dans le compendium de la doctrine sociale de l'Eglise. Ce pourrait être du "Bellamy social", ce qui serait très puissant auprès d'une partie de l'électorat traditionnel de la droite.

Favoriser la concurrence

Personnellement, je crois que la droite classique a un vieux fondement, celui de la contestation de l'autorité. Elle aime la concurrence, notamment entre les institutions. Dans cadre-là, quand on voit l'évolution des institutions, notamment en Europe avec une Commission qui est démonétisée, et quand on remarque que le pouvoir est désormais à la BCE, l'idée de recentrer tout ça serait intéressant.

L'un des points majeurs serait de forcer la BCE à tenir sa cible. La BCE nous a dit : "J'ai de grands pouvoirs et en échange je délivre 2% d'inflation par an", mais depuis 10 ans elle ne le fait pas. On pourrait penser à se mettre d'accord avec d'autres en Europe, y compris des gens peut-être plus radicaux pour forcer la BCE à ne pas s'écarter de son objectif qui a été défini de manière démocratique, à savoir avoir un minimum d'inflation pour avoir du grain à moudre dans les négociations salariales et du point de vue du PIB nominal, en résumé éviter la déflation.

C'est un axe plus préventif pour éviter la prochaine crise ou prochaine explosion des dettes. Cela permettrait à la droite, au sein d'une droite classique européenne, d'être le poil à gratter qui continuerait à prôner l'euro mais qui rappellerait que certains contrats comme celui de la BCE ne sont pas remplis.

Certes, c'est actuellement un simple rêve, personne n'en parle à droite. Mais on ne peut pas parler de politique économique aujourd'hui actuellement sans parler de politique monétaire vu que c'est le seul élément qui fait bouger les marchés. Les marchés ne sont que concernés par la politique monétaire et actuellement le moindre stagiaire de la BCE a plus de pouvoir que n'importe quel commissaire européen. C'est sur ce point que j'attendrais une droite libérale attachée à Benjamin Constant, à Bastiat, à Tocqueville, à tous les auteurs qui ont mis l'accent sur la concurrence institutionnelle et sur le fait que le pouvoir ne doit pas être transféré à des technocrates non-élus, fonctionnant en vase-clos et n'ayant plus de comptes à rendre à personne.

Ces idées ne sont pas nouvelles. La participation, c'est gaulliste, c'est ce qu'on appelait le distributisme en Angleterre à la fin du 19e siècle. Mais on peut aujourd'hui le réinventer et le réincarner compte-tenu du contexte hégémonique de certaines firmes technologiques et de l'impression que notre destin économique nous échappe. Remettre de la motivation dans le salarié en en faisant un actionnaire est quelque chose de puissant et qui correspond à la vision de la droite.

Le deuxième axe n'est pas nouveau non plus et le troisième axe est le B.a.-ba de l'économie politique. Milton Friedman disait qu'on peut confier du pouvoir important à des institutions mais il faut les contrôler et il faut qu'elles réussissent leurs objectifs sans quoi il faut leur enlever ce pouvoir.

Ce sont donc de vieilles idées, nobles et peu chères :  peu chères : tout cela ne coûterait pratiquement rien. Loger des dettes au bilan d'une banque centrale ne coûte pas, la participation s'autofinancerait très bien à condition de mettre tout le monde autour de la table, et secouer un peu la BCE rapporterait beaucoup.

Sébastien Laye : Relire Friedrich List et surtout Andrew Jackson est primordial pour comprendre l'articulation entre liberté et souverainisme économique. Par ailleurs, libérer les énergies d'un pays ne signifie pas renoncer à l'investissement public ou au contrôle de sa monnaie: à cet égard, les nouvelles théories monétaires comme la MMT offrent des pistes de réflexion pour un discours moins "laissez faire" sur ce sujet: on peut et doit baisser les impôts, les charges et les régulations contraignantes tout en réhabilitant l'investissement public productif et en capitalisant sur une vraie monnaie souveraine (l'Euro, qui n'est pas à remettre en cause, mais qui dont le systeme monetaire doit redevenir celui de nations souveraines avec une monnaie souveraine). A mon modeste niveau je défends ses idées avec mon mouvement citoyen, les Citoyens Cincinnatus, pour les idées économiques).

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