Ecole : à quoi et à qui servent les devoirs ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Officiellement, les devoirs écrits sont interdits en France depuis 1956.
Officiellement, les devoirs écrits sont interdits en France depuis 1956.
©Reuters

Leçon de choses

Bien qu'interdits depuis 1956, les devoirs à la maison restent un sujet de débat : certains pensent qu'ils favorisent les inégalités sociales, d'autres estiment qu'ils permettent de combler des lacunes.

Atlantico : Les devoirs écrits sont interdits en France depuis 1956, mais dans les faits cette loi n'est pas appliquée. Les spécialistes s'accordent à dire qu'une phase de travail personnel est obligatoire pour les élèves. Quelles sont les utilités des devoirs pour les enfants ? 

Pierre Duriot : Il est en fait assez difficile de répondre aux questions concernant les devoirs pour l’ensemble des enfants tant le nombre de facteurs intervenant dans l’affaire est important. En premier lieu, il y a l’appétence de l’enfant pour les apprentissages scolaires, lequel, de l’avis des mêmes « spécialistes », n’est plus un moteur forcément très puissant. Il y a également l’importance de la relation enfant/professeur dont la qualité légitime l’imposition de devoirs. Ensuite, la question de l’autorité est primordiale pour l’adulte qui « fait faire » les devoirs : il y a fort peu de chance pour qu’un papa trop « copain » ou une maman trop « poule », ou au contraire un parent désintéressé ou même violent, ait des chances de se voir reconnu par l’enfant comme susceptible de représenter une autorité ayant droit d’imposer ce type de frustration. Enfin, il faut aussi se positionner du côté de l’enfant : certains de ces jeunes élèves ont hâte de ce moment de devoir car il représente non seulement un échange de qualité avec le père ou la mère mais également, il permet à l’enfant investi de montrer ses progrès et son engagement pour lesquels il attendra que ses parents soient « fiers » de lui. Ce moment de travail personnel montre surtout que l’école n’est pas vécue comme une punition, les devoirs comme une sanction et que ce moment de travail supplémentaire correspond à une logique d’apprentissage prenant du sens pour l’enfant. C’est le travail du professeur de proposer des devoirs qui aient un sens immédiatement perceptible.

Patrick Rayou : Avant tout, le raisonnement diffère selon l’âge. On imagine mal qu’un élève de terminale puisse intégrer tout son programme pendant les heures de cours et ne pas préparer son baccalauréat chez lui. Par contre, il est loin d’être évidemment que faire travailler des élèves de cours élémentaire ait le moindre intérêt. D’autant qu’effectivement les devoirs écrits y sont interdits à la fois pour éviter le surmenage et la création d’inégalités qui peuvent s’infiltrer par le biais des devoirs.

Il est très difficile d’isoler la variable « devoirs à la maison » parmi la masse des éléments relatifs à l'influence externe sur la scolarité. On peut supposer en effet que quand le travail est délégué à d’autres personnes, cela induit des différences dans les informations reçues. Toutefois, les devoirs ont pour but de renvoyer l’enfant à son autonomie et à ses propres ressources. C’est ce que l’on appelle une externalisation du travail, qui est délocalisé en dehors du lieu traditionnel d’apprentissage.

Après la primaire, les familles populaires se trouvent désorientés face aux devoirs de leurs enfants. Les devoirs sont-ils d'autant plus utiles dans les familles populaires où les enfants ont moins accès à la culture ?

Pierre Duriot : Ce n’est pas en ces termes que cela se joue. Si un devoir est en écho avec les apprentissages vus en classe et correspond à une logique, il n’y a aucune raison que l’accès à la culture soit prépondérant, non seulement parce que tous les enfants de familles populaires ne sont pas en échec, mais en plus il n’est pas demandé aux parents de jouer au professeur. Il importe que le travail lui-même soit une culture dans la famille et pas forcément uniquement le travail scolaire. Si la famille est dépassée par l’école, ne valorise pas les apprentissages de l’enfant, lui répète à l’envie « qu’on peut s’en sortir sans l’école » (ce qui est évidemment vrai, mais n’est pas un service à rendre à l’enfant) il y a fort peu de chance pour que les devoirs aient la moindre utilité. Resservir le soir une louche de la mauvaise soupe ingérée pendant la journée de classe n’a aucune vertu : la solution est ailleurs et en partie hors de l’école. L’accès à des sources hors de l’école, la pratique d’un sport, l’ouverture aux autres, une curiosité entretenue par les sorties proposées sont des paramètres au moins aussi importants que les devoirs pour mettre un sens sur l’utilité de l’instruction.

Patrick Rayou : La question se pose surtout en termes de réussite scolaire. Si on prend pour une fatalité le fait qu’ils apprennent moins bien en classe et qu’ils ont plus besoin de dépenser de l’énergie après, alors oui les devoirs sont plus importants. Et cela se retrouve dans les études, les bons élèves – quelles que soient leurs origines sociales - passent moins de temps à faire les devoirs et font plus facilement ce que demandent les enseignants. Les élèves en difficultés sont eux encore plus en difficulté puisqu’au lieu de « fixer » les connaissances, ils recommencent souvent à zéro.

Vient donc ensuite la question de qui accompagne l’élève dans ses devoirs, or on sait qu’il s’agit le plus souvent de quelqu’un qui ne sait pas nécessairement à quoi sert l’exercice et quel est le projet de l’enseignant. On sait aussi que les devoirs ne sont pas individualisés, ou sans doute très rarement, et rend ainsi tout cela très absurde. Je ne vois donc pas en quoi les enfants en difficultés seraient plus à même de mieux comprendre, seuls ou pas, chez eux, ce qu’ils n’ont pas compris en classe avec le professeur.

Les foyers plus populaires ne pouvant pas toujours aider les enfants à faire leurs devoirs, les devoirs ne peuvent-ils pas au contraire accentuer les inégalités ? 

Pierre Duriot : Ce ne sont pas forcément les milieux populaires qui ne peuvent pas aider les enfants à faire les devoirs, ce sont aussi les parents qui n’ont pas le temps ou pour qui le temps passé avec l’enfant est trop rare pour qu’il soit consacré aux devoirs. Il n’est pas nécessaire de savoir ce que l’enfant sait pour lui faire faire ses devoirs. Il est par contre nécessaire de l’encourager et de le valoriser dans cette tâche. J’ai l’exemple d’une grand-mère analphabète faisant faire ses devoirs à son petit fils, pleine d’admiration pour ce petit apprenant ce dont elle avait été elle-même privée. Et cela marchait, parce que l’enfant et l’aïeule se reconnaissaient mutuellement de la « valeur » dans cette relation. La question des devoirs n’est pas prépondérante dans le creusement des inégalités. L’écart se fait entre les familles qui sont « arrivées » grâce à l’instruction et qui pensent que le savoir permettra à leur enfant de les égaler, voire de les dépasser et ceux à qui l’école n’a pas permis de s’en sortir et qui ne pensent pas qu’à leur suite leur enfant  tirera quelque chose de l’école. On a, là encore, souvent l’exemple : « Il est comme moi, il est nul en classe. Il fera comme moi, il s’en sortira autrement ». Et puis, on peut avoir aussi un cas fréquent qu’il ne faut pas oublier : les parents de ces familles populaires qui pensent que l’école permettra à leur enfant ce qu’elle ne leur a pas permis à eux, que leurs enfants feront mieux qu’eux. Ceci dit, plus on avance dans la scolarité, plus le milieu d’origine intervient, les statistiques sont hélas formelles sur la provenance sociale des enfants scolarisés aux plus hauts niveaux. En ce sens l’école a perdu une partie de sa capacité à remplir son rôle d’ascenseur social, mais une partie seulement. D’autres facteurs interviennent, économiques et sociologiques, extérieurs à l’école, publique comme privée d’ailleurs.

Patrick Rayou : Des études ont bien montré que les familles populaires ne sont pas désintéressées du tout de la réussite scolaire de leurs enfants mais que souvent, parce qu’elles n’ont pas les codes de compréhension, elles ajoutent des consignes erronées à ce que doit faire l’enfant, provoquant ainsi un cercle vicieux. Sur la lecture par exemple, beaucoup de parents pensent qu’il faut l’oraliser alors que cela ralentit la compréhension, en particulier sur les longs textes. De plus, les méthodes éducatives ont bien changé depuis le temps où ces parents qui n’ont souvent eux-mêmes pas réussi à l’école, y étaient. Si l’on veut aggraver les choses, il suffit de demander aux parents des milieux populaires d’aider leurs enfants. Ce n’est pas leur rôle et il semble incompréhensible de leur demander de réussir quelque chose que des enseignants « professionnels » ont raté.

La question est-elle plus celle des devoirs eux-mêmes, que de savoir où et par qui doivent-ils être encadrés ?

Pierre Duriot : Comme écrit précédemment, la pratique des devoirs renvoie à l’autorité. Il faut que le « précepteur » soit perçu par l’enfant comme « ayant droit », ayant une autorité reconnue par l’enfant et qui légitime le droit de faire écrire ou de faire réciter. Dans la pratique, quand le papa ou la maman fait faire les devoirs et que cela se termine en crises, comédies et paires de claques c’est que l’adulte et l’enfant sont mal positionnés l’un par rapport à l’autre. Mieux vaut ne pas insister, déléguer les devoirs et réexaminer la relation à son enfant. L’enfant peut aussi « faire trainer » les devoirs car ce faisant il « a » son père ou sa mère pour lui : là encore il y a quelque chose de trouble dans la relation. Encore une fois, il n’est pas question pour l’adulte de jouer au professeur mais de partager un moment constructif d’où l’enfant doit sortir valorisé et encouragé dans sa tâche.

Patrick Rayou : Effectivement, une question peu populaire est celle de savoir si les enfants ne devraient pas travailler plus au sein de l’école. C’est moins vrai pour les plus grands mais en primaire, les élèves devraient pour consolider les apprentissages par l’exercice au sein de l’école. C’est mieux que d’apprendre « à nouveaux frais » des apprentissages mal intégrés en classe de chez eux.

Qu'est qu'un bon devoir ?

Pierre Duriot : Vaste question ! C’est un devoir qui a du sens pour l’enfant, qui correspond ou prolonge le travail fait en classe, permet à l’enfant de s’investir personnellement, encore faut-il qu’il en ait envie. Dans cet ordre d’idée, faire l’exercice N°1 en classe, puis donner les exercices N°2 et 3 de la même veine à faire à la maison, n’a guère de sens. Il faut bien sûr que le pédagogue soit adroit, revienne le lendemain sur ces devoirs et rebondisse éventuellement dessus pour prolonger son cours. Mais il existe aussi un type d’enfant relativement répandu maintenant avec qui l’école dans son ensemble, quel que soit le professeur, ne marche pas, alors les devoirs…

Patrick Rayou : Il y a des devoirs « d’anticipation », des devoirs de « fixation des connaissances » ou encore des devoirs qui servent à « terminer le cours suivi en classe », et ils sont tous très différents. Difficile donc d’établir le profil d’un bon devoir. Certains sont notés, d’autres pas. Je pense qu’il vaut mieux parler d’exercice afin de se débarrasser de la notion morale du « devoir ». Il faut être capable selon les cas d’individualiser ou de généraliser les exercices.

Dans le meilleur des cas, faut-il adapter les devoirs aux enfants ? Est-ce concrètement possible ?

Pierre Duriot : Le meilleur des cas serait que le professeur ne donne rien et que l’enfant, spontanément, parce qu’il s’intéresse à son travail, y revienne de lui-même sous une forme personnelle. Cela existe dès la primaire, existe aussi au collège, lycée, faculté ou des étudiants brillants vont au-delà du cours avec des sources de savoirs autres que l’école : mais ne rêvons pas. En pratique, il est impossible d’adapter les devoirs à chaque enfant. La tendance du moment, relayée par les inspecteurs, est déjà à ce qu’on appelle, la « pédagogie différenciée », c'est-à-dire, fonction du niveau de chaque élève, ce qui n’est pas une mince affaire. Passer aux « devoirs différenciés » reviendrait à instaurer un genre de « coaching » personnel ce qui va relever de la gageure avec trente élèves par classe dans certains contextes socio-économiques peu porteurs.

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