Éco terrorisme : l’erreur stratégique du gouvernement<!-- --> | Atlantico.fr
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Elisabeth Borne
Elisabeth Borne
©Ludovic MARIN / AFP

méga-bassine

En faisant la distinction entre militants écologistes « pacifiques » et manifestants violents, le gouvernement renonce à assumer un discours de rationalité scientifique

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Suite aux manifestations autour des méga-bassines de Sainte-Soline, Gérald Darmanin a dénoncé des « activistes » usant « de modes opératoires […] relevant de l’écoterrorisme que nous devons absolument combattre ». Selon les informations de Politico la Première ministre met « un point d’honneur à distinguer les militants écologistes des manifestants violents ». Cette précaution de la Première ministre indique-t-elle une forme de gène et d’inquiétude de la part du gouvernement ?

Christophe Boutin : 61 personnes blessées parmi les forces de l’ordre, dont 22 grièvement, par, selon Gérald Darmanin, « des tirs de mortier, des boules de pétanque et des cocktails Molotov », une cinquantaine de manifestants blessés eux aussi, nous sommes à nouveau dans une confrontation violente. 

Peut-on parler ici d’écoterrorisme ? Le terme renvoie à un mode de combat des écologistes les plus radicaux sur le territoire des USA. À partir du milieu des années soixante-dix en effet, certains militants écologistes – notamment les membres de l’Animal Liberation Front - ont admis que soient menées des opérations de sabotage contre des entreprises accusées de dégrader notre environnement. Laboratoires pharmaceutiques ou autres ont ainsi été visés par des actions violentes, avec des atteintes lourdes aux biens mais aussi des atteintes aux personnes, ce qui a conduit les services américains à placer certaines organisations sous surveillance comme organisations terroristes. En France, nous avons connu des atteintes aux biens – les faucheurs de champs d’OGM par exemple -, des introductions de force dans des locaux, des déclenchements d’incendies, autant d’éléments pénalement sanctionnés, mais les spécialistes se refusent à qualifier ce qui se passe sur notre territoire d’écoterrorisme.

Ces évènements des « bassines » doivent en fait être rattachés à une réalité très précise : la violence organisée d’une partie de l’extrême gauche - qui est d’ailleurs la seule véritable violence politique dans la France de 2022. Ce sont en effet les mêmes activistes qui tournent de sites en sites, de manifestations en manifestations, s’entraînant un jour au combat urbain pour s’installer le lendemain dans une « zone à défendre » (ZAD) située dans la campagne. Ces dernières ont souvent pour caractéristique de viser le blocage d’un projet qui a des conséquences environnementales, et le succès remporté contre la création d’un aéroport à Notre-Dame des Landes, alors que toutes les consultations étaient faites, validées juridiquement, et que l’on avait même organisé un référendum local où les populations concernées avaient manifesté leur accord, projet cependant abandonné ensuite, ne peut qu’engager ces militants à poursuivre avec ce type de méthode. 

Ainsi, si l’on ne peut sans doute à proprement parler évoquer un écoterrorisme, faire, comme la Première ministre si j’en juge par votre citation, une subtile distinction entre militants écologistes et manifestants violents serait négliger un peu vite le fait que parmi les militants écologistes qui entendent lutter pour préserver la planète d’inutiles atteintes, un certain nombre est prêt à utiliser des méthodes violentes. La question est ici de savoir s’il s’agit avec cette violence de la manifestation de colère de militants poussés à bout par un refus gouvernemental de respecter les procédures démocratiques, ou s’il s’agit au contraire de militants radicalisés bien décidés à imposer leur point de vue, y compris contre les choix démocratiques, par tous les moyens. 

C’est ici toute la question, qui dépasse très largement le seul cas des militants écologistes, de la radicalisation, une radicalisation qui conduit à ne plus avoir de langage commun parfois même avec ceux qui sont pourtant les plus proches de vos idées. Le militantisme d’extrême gauche qui s’est exprimé autour des « bassines » ne fait de la lutte pour la protection de l’environnement qu’un paravent pour d’autres luttes, ou, au mieux, ne la considère que comme un élément parmi d’autres, perdu dans un « déconstructivisme intersectionnel » qui confine à l’irrationnel. Voir par exemple un Yannick Jadot, militant de la cause environnementale depuis des années, rabroué par une jeune pimbêche pour avoir osé l’appeler « mademoiselle » peut, peut-être, amuser certains : après tout, il a sans doute donné les verges pour se faite battre. Mais cela en dit surtout long sur l’absence de langage commun entre les intervenants, comme sur un sectarisme qui ne peut qu’obérer les débats démocratiques, et c’est ce qui reste inquiétant.

Arnaud Benedetti : Le gauchisme dont une partie de l'écologie politique constitue l'une des branches opère par intimidation "morale" à laquelle toute la classe politique ou presque se soumet. Madame Borne qui appartient à la gauche techno-libérale a la " mauvaise conscience " des progressistes qui à proportion qu'ils observent le recul de leur naïveté idéologique sous la pression des événements donne des gages symboliques et sémantiques aux fondamentalistes du " progressisme ". L'écologie a été captée par une gauche post-sociale et évidemment post-nationale qui a donné sa forme à un courant politique qui depuis 30 ans court derrière sa capacité à incarner un parti de gouvernement. A chaque fois, cette gouvernementalité se heurte à un choc de radicalisation qui en vient à ruiner les efforts de responsabilisation . Yannick Jadot est la dernière victime de ce processus et la sorte de "lynchage " militant dont il a été l'objet lors des manifestations de Sainte-Soline en constitue l'illustration. Jusqu'à maintenant, le pôle pragmatique de l'écologie politique avait réussi néanmoins à assurer un minimum de leadership, moyennant des compositions avec l'aile gauchiste. Le succès de Sandrine Rousseau consiste à avoir inverser le rapport de forces, conformément à ce phénomène qui voit toute la gauche s'extrêmiser, à l'exception de quelques sociaux-démocrates qui s'efforcent de conserver " la vieille maison". Madame Rousseau au sein des Verts fait triompher une ligne qui n'est rien d'autre que celle d'un néo-gauchisme culturel, woke, profondément sectaire qui constitue la part de marché majoritaire dorénavant d'une écologie dont l'efficience électorale consiste à se replier sur un segment maximaliste. Madame Borne évidemment ne s'adresse pas à cette tranche là mais à ceux dont elle imagine , associatifs, jeunes, nés-ruraux , bobos des centres urbains qu'ils sont détachables de la radicalité verte, laquelle est pourtant inscrite depuis ses origines dans le mouvement écologiste . 

2- En termes de stratégie politique, le gouvernement ne ferait-il pas mieux de leur tenir tête sur le fond des arguments aux anti-bassines ?

Christophe Boutin : C’est ici un tout autre problème, la manière dont le gouvernement entend utiliser une indéniable réalité, celle de la crise environnementale, pour privilégier une réponse qui permette de faire perdurer un système obsolète. Du remplacement de la voiture à moteur à essence par celle à moteur électrique, au développement de l’éolien, ou donc des bassines, la logique est la même : la croissance doit continuer, et l’on se saurait toucher à ce sacro-saint paradigme.

L’idée des « bassines » est simple : garder dans de gigantesques réservoirs une part des eaux pluviales de l’hiver pour ensuite permettre l’été aux agriculteurs d’irriguer par pompage. Or, sur le sujet, il y a débat. Le bureau des recherches géologique et minières, le BRGM, a tenté une modélisation des effets des « bassines » qui montre que, en dehors de l’artificialisation des sols qu’elles entraînent, cela pourrait bénéficier à certaines des zones humides de la région, qui subissent de plein fouet les conséquences des sécheresses estivales. Par ailleurs, lorsque l’État a accepté de mettre en place ce système à la fin 2018, on envisagea un protocole qui conduirait les agriculteurs utilisateurs des bassines à changer certaines de leurs pratiques : ils devaient ainsi réduire de moitié l’utilisation des pesticides, planter des haies, et les prélèvements d’eau supposaient des compteurs automatiques. Nous sommes donc loin ici des pratiques qui prévalent quand des agriculteurs puisent sans aucun contrôle, et sans aucune retenue, dans les nappes phréatiques pour arroser des plantations qui, même en situation normale, c’est-à-dire en dehors de sécheresses exceptionnelles, peinent à subsister en France – au premier rang desquelles le maïs, destiné essentiellement à la nourriture animale. 

Et l’on voit bien ici l’argument de certains environnementalistes face à ce choix, loin d’être infondé, consistant à dénoncer un système qui favorise l’agro-industrie sans permettre le changement de paradigme dont notre agriculture aurait besoin pour que nos sociétés puissent répondre aux défis environnementaux de demain.

Le débat est donc très ouvert sur le sujet : peut-on espérer que les « bassines » conduisent à une meilleure protection de l’environnement, ou ne s’agit-il ici que d’éléments bien limités, de modifications cosmétiques, servant à cacher à la fuite en avant dans une agro-industrie qui a contribué à ravager la qualité de nos sols comme jamais ? Et qui dit débat dit nécessité de transparence, sur ce qui sera effectivement mis en place, sur les limites prévues, sur les contrôles qui seront faits et, éventuellement, sur les sanctions qui seront mises en œuvre contre les agriculteurs qui ne respecteraient pas les protocoles. 

Or les débats environnementaux autour de tels projets, le gouvernement est très clairement en train de les réduire comme peau de chagrin. Qu’il saisisse de la modification de l’enquête publique pour un certain nombre de dossiers, de la limitation des actions en justice possibles, de la mise en place de « permis unique » remplaçant plusieurs procédures, ou de la « dématérialisation » de ces dernières, on est systématiquement, au motif bien sûr de « l’urgence environnementale », dans une logique de simplification des procédures pour les opérateurs, et donc de moins-disant en termes de consultations et de recours pour les citoyens. Or si l’on comprend bien l’impératif qu’il y a de respecter les choix démocratiques faits de manière légitime par les élus, les suppressions de ces garanties prévues par les textes antérieurs, suppressions auxquelles auront travaillé avec une belle constance les divers gouvernements d’Emmanuel Macron, finissent par poser un vrai problème.

Arnaud Benedetti : N'oublions jamais les racines du macronisme . Venant de la gauche , celui-ci avait fait de l'écologie l'une de ses grandes causes, notamment avec l'entrée de Hulot au gouvernement et l'élection de François de Rugy au perchoir de l'Assemblée nationale. Ce moule initiale continue de peser , tout au moins quant à la forme , sur une majorité, quand bien même celle-ci serait néanmoins peu réceptive aux exigences des Verts. Le macronisme a tout du greenwashing politique; mais en même temps ce greenwashing l'oblige : d'où la fermeture de Fessenheim dont Madame Borne fut l'opératrice , d'où Notre-dame-des-Landes , d'où aujourd'hui cette impression de défense en demi-teintes des bassines, même si à ce stade le gouvernement n'a pas cédé. Les propos de la première ministre ont ceci de signifiant qu'ils visent sans doute à donner des gages à gauche , puisque la locataire de Matignon se revendique de cette sensibilité... À terme le positionnement revendiqué de Madame Borne pourrait poser problème, surtout dans l'hypothèse de la recherche d'un accord avec les républicains... Pour autant jusqu'à maintenant le Ministre  en charge de l'environnement, Christophe Bechu , ainsi que celui de l'agriculture, Monsieur Fesneau tiennent une ligne de défense des bassines , à tout le moins pour ce qui concerne Sainte-Soline . 

3- Quel est le risque de long terme à ne jamais répondre sur le fond des enjeux ? Et à ne rester que dans l’opposition sur la forme et dans la réponse par le maintien de l’ordre ?

Christophe Boutin : Rappelons d’abord que l’opposition « sur la forme » à la violence de l’extrême gauche, comme à toute violence, est indispensable dans un État de droit. Le gouvernement a toute légitimité pour maintenir l’ordre, par la force s’il le faut, lorsqu’il s’agit d’appliquer une décision prise de manière démocratique, et nul ne peut s’en indigner. Notamment, il n’est plus supportable que nos forces de l’ordre, où que ce soit, fassent comme c’est de plus en plus souvent le cas l’objet d’attaques d’une extrême violence, uniquement destinées à blesser gravement sans que de lourdes sanctions ne frappent les auteurs de ces violences. Mais pour autant, il ne faut pas non plus réduire une opposition de fond à des manifestations de violence sporadiques, permettant ainsi de la caricaturer pour éviter d’avoir à répondre aux questions qui peuvent être posées. 

Ces différents enjeux sont en fait des choix politiques, et la réponse ne saurait être que politique. Dans une démocratie, elle passe donc par des débats, des élections, des votes, des choix faits par des élus légitimes, et aucune minorité agissante radicalisée ne peut considérer qu’elle a par essence raison et donc vocation à imposer par la force son point de vue. Mais inversement, lorsqu’il s’agit d’utiliser des événements et de les manipuler pour permettre de continuer dans une sorte d’éternelle fuite en avant, sans jamais accepter le débat pour savoir s’il ne conviendrait pas de remettre en cause le paradigme qui a conduit très largement aux problèmes que l’on rencontre, on peut se demander ce qu’il en est de la démocratie. 

C’est l’anomie démocratique qui caractérise de nos jours notre Ve République, comme nombre de démocraties occidentales, conduisant à ce que les représentants soient élus par une minorité de citoyens - voir une infime minorité quand certains sont élus par 10 % du corps électoral de leur circonscription. De tels éléments ne peuvent que déstabiliser notre vie politique et posent un problème de fond car ils traduisent un fossé entre élites et citoyens, ou pour prendre une autre formule entre bloc populaire et bloc élitaire, que l’on ne parvient plus à combler par la représentation. 

C’est pourquoi, comme vous le comprenez, pour pouvoir répondre sur le fond aux enjeux que vous évoquez, qui touchent à de grands projets structurants, et à des choix qui impactent notre quotidien sur des décennies, c’est sans doute la question du fonctionnement de notre système démocratique qu’il faut se poser, autant et sinon plus que celle de la manière dont seront gérées les mise en place des « bassines ». 

Arnaud Benedetti : La réponse sur l'ordre est cependant nécessaire même si elle est insuffisante. Le pari de l'exécutif est de délegitimer les mobilisations contre les bassines et au-delà les formations politiques de la Nupes qui appellent aux manifestations en spéculant sur les segments de l'opinion , majoritaires, qui privilégient l'ordre et le besoin d'autorité. Ainsi s'explique la dénonciation par le ministre de l'intérieur, qui est dans son rôle au demeurant, de ce qu'il appelle "l'écoterrorisme". La violence dans des mobilisations qui se veulent pacifiques , ADN en principe des écologistes, est une contradiction qui met les verts à l'épreuve d'une sorte d'incohérence et d'aspérité dont on imagine encore une fois qu'elle est forcément répulsive pour une grande partie des français. Mais il est vrai que cette stratégie peut s'avérer insuffisante. La préoccupation environnementale est un enjeu certes mais la question de la souveraineté tout autant, et de ce point de vue la souveraineté alimentaire est une composante non négligeable de la souveraineté dans son ensemble. Le monde agricole , nonobstant quelques minoritaires comme la confédération paysanne , soutient les initiateurs des bassines qui ne sont pas tous , loin de là, des "gros agriculteurs ", tant par ailleurs cette notion est à relativiser. On a vu durant la crise sanitaire que le chaînon alimentaire, alors que nombre de chaînons cédaient , a tenu bon. Ce que les Français ont constaté au quotidien. Cet aspect est à prendre en compte et force est de constater qu'il est à ce stade peu mis en avant par le gouvernement. Sur le fond, l'exécutif entend pour le moment plus dénoncer l'activisme immature de quelques militants violents ou très jeunes comme ceux s'en prenant avec un rare crétinisme aux œuvres d'art dans les musées que de donner le sentiment de défendre le modèle d'une agriculture productiviste qu'une partie de son électorat parfois pourrait rejeter . Sur ce dossier comme sur d'autres , l'exécutif godille , avec en mémoire que dans un pays si nerveux la moindre étincelle peut avoir un effet abrasif imprévisible. Il n'est jamais bon de gouverner la peur au ventre ... 

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