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Du Chili au Liban en passant par l’Espagne, une révolte mondiale monte contre les abus de la fiscalité
©ANWAR AMRO / AFP

Revendications

Certains pays comme le Liban ou le Chili connaissent actuellement d'importants mouvements sociaux liés aux dérives de la fiscalité. Jean-Paul Betbeze décrypte ce phénomène.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico.fr : Quelles sont les revendications communes aux différents mouvements sociaux qui, des manifestations au Chili ou au Liban, bousculent certains pays ? 

Jean-Paul Betbeze : Ce qui est de commun dans ces revendications violentes, c’est le refus de hausses d’impôts indirects, qui frappent en réalité directement tout le monde, surtout les ménages aux revenus modestes. Le ticket de métro plus cher bouleverse Santiago puis le Chili tout entier depuis une semaine. Depuis une semaine aussi, une taxe de 0,18 euro par message WhatsApp enflamme Beyrouth, puis les grandes villes du Liban. Il y a plus d’un an, une hausse 6 centimes pour un litre d’essence en France avait fait naître les « gilets jaunes ». Depuis la hausse de l’essence a été supprimée en France, mais « l’esprit gilet jaunes » demeure et l’idée qu’elle obéissait au principe pollueur-payeur n’est plus avancée. La lutte contre la pollution attendra… « la décroissance » ! La hausse de WhatsApp aussi a été abandonnée au Liban, pour réduire le déficit budgétaire, mais les échauffourées demeurent. Enfin, le Chili serait « en guerre » selon son Président, Sebastian Piñera, alors qu’il allait économiquement plutôt bien.

Partout, des étincelles mettent ainsi le feu aux poudres, inquiétant, surprenant, révélant… mais quoi ? Elles se produisent en effet dans des pays avec des situations et des niveaux de développement très différents.

Les manifestants sont-ils animés par des questions politiques, ou sont-ils des consommateurs inquiets ? 

Il n’y a rien de politiquement commun dans ces différents cas. Au Chili, c’est plutôt une révolte d’impatience. Le pays pouvait en effet passer pour un modèle de tranquillité et de réussite, avec une croissance de l’ordre de 1,9%, une inflation de 2,1%, un taux de chômage de 7,2%, un déficit public de 3,1% et un endettement public de l’ordre de 26% du PIB. La flat tax vient de baisser, passant de 40% du revenu des ménages en 2016 à 35% actuellement, tandis que l’impôt des sociétés est en hausse régulière de 18,5% en 2012 à 27%. La société est très inégalitaire, autant que le Mexique, mais sans les extrémités et la violence mexicaines. Sa politique fiscale paraissait bien orientée, même si les lacunes des services publics, notamment de santé et d’éducation sont considérables.

Au Liban, la situation est bien plus tragique. C’est une révolte devant le risque d’une misère généralisée qui s’exprime. Le pays risque en effet d’aller vers le défaut de paiement et son gouvernement, sous pression populaire, pourrait changer d’ici peu. Son déficit budgétaire est de 11% du PIB, sa dette de 87 milliards de dollars fin juillet 2019, soit 1,5 fois son PIB. C’est un des ratios les plus élevés du monde, avec 54 milliards de dette publique interne et 33 de dette externe, la plus instable – qui peut partir. L’Union des syndicats de boulangers se réunit le 7 octobre, car le prix de la tonne de farine a augmenté de 20 dollars. Pourquoi ? Parce que la quantité de billets verts est limitée sur le marché local pour régler les importations, sachant que la production locale de blé, subventionnée, est insuffisante. Indicateur incontestable, les livraisons de ciment ont diminué de 30,6% entre les sept premiers mois de l’année 2018 et les sept premiers de 2019. Les signes de dégradation économique et financière sont partout, dans ce pays de plus de 6 millions d’habitants (officiels), avec sans doute plus d’un million de réfugiés. Son PIB de 57 milliards de dollars, avec une croissance inférieure à 1%, son déficit commercial de 10 milliards de dollars pour les sept premiers mois de 2019 (2 milliards d’exportations, 12 d’importations), son déficit du compte courant de 27% du PIB décrivent un pays tributaire d’un financement externe qui, aujourd’hui, s’arrête. 

En France, les gilets jaunes expriment plutôt une fracture géographique : les éloignements aux métropoles déterminaient des trajectoires de vie, des « destinées ».

Comment expliquer historiquement l'avènement de ce type de mouvements sociaux ? 

Moins de croissance, moins d’inflation, plus de politique que jamais : un avenir plat pour l’emploi et les revenus, donc un refus des impôts indirects, les plus perceptibles et sentis comme les plus inégalitaires, le tout dans un contexte politique agité, sans doute pour une bonne part par Donald Trump et ses émules. Les incertitudes sur le devenir, avec la révolution technologique en cours, plus la montée des tensions économiques et financières pèsent partout sur la croissance mondiale et se difractent selon les situations de chaque pays. On peut avancer la gravité de la crise financière au Liban et l’importance des inégalités au Liban et au Chili (avec le souvenir des rigueurs Pinochet et post Pinochet). On peut ajouter ici des tensions spécifiques, d’autres en Espagne, Italie… mais on aura le même résultat : un monde qui voit sa croissance actuelle et surtout future limitée, est une marmite qui bout, avec toutes ces étincelles qui l’entourent.

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