DSK ou la redécouverte du poids du jugement moral<!-- --> | Atlantico.fr
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DSK et Anne Sinclair ont fait leur grand retour en France ce dimanche.
DSK et Anne Sinclair ont fait leur grand retour en France ce dimanche.
©Reuters

Sorti d'affaire ?

DSK et Anne Sinclair ont fait leur grand retour en France ce dimanche. Malgré l'abandon des charges par le procureur de New York, l'affaire Diallo laisse aux yeux des Français une tâche morale sur le parcours de Dominique Strauss-Kahn.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Après sa victoire par KO dans le combat juridique qui l’opposait à Nafissatou Diallo, DSK effectue en France un retour qui n’aura, si l’on en croit les sondages, rien de triomphal. Pourtant, l’opinion publique française s’était émue du traitement que lui infligèrent la justice et les médias américains. Troublés par l’accusation de viol, voire sceptiques, les Français ont été manifestement soulagés de voir la crédibilité de celle-ci s’effondrer. La rupture semble néanmoins consommée, et profonde, entre l’opinion et DSK. Elle apparaît au grand jour maintenant que la tempête juridico-médiatique est passée. Si les compétences DSK ne sont pas contestées, si le soupçon de viol est levé, une tache morale indélébile subsiste, qui explique la perte de son crédit dans l’opinion, ainsi que la gêne éprouvée par ses amis politiques à l’occasion de ce retour.

Car les faits sont là, connus de tous : il y a bien eu un rapport sexuel « précipité » entre DSK et Nafissatou Diallo dans la suite 2806 du Sofitel de Manhattan. Les Français ne font certes d’ordinaire pas preuve d’un puritanisme excessif à l’égard de leurs hommes politiques, dont les mœurs sont, chez nous, recouverts d’un voile pudique. Il suffit néanmoins d’examiner ses propres pensées pour percevoir que, dès lors que la transparence s’installe, il devient impossible de ne pas porter un jugement moral sur le comportement privé des personnages publics. Bien des commentaires – et des commentaires sur les commentaires (songeons, par exemple, aux réactions suscitées par les propos de BHL et de JFK) – auxquels l’affaire DSK a donné lieu étaient à l’évidence empreints de considérations morales.

Les critères du jugement moral ne sont pas nécessairement homogènes : pour certains, les plus « vieux jeu », c’est l’infidélité conjugale qui choque ; pour d’autres, c’est le défaut de maîtrise de soi, de la part d’un homme qui s’apprêtait à annoncer sa candidature à la présidentielle française et se savait attendu sur la question de son rapport aux femmes. Mais surtout, on l’a dit et répété, l’affaire DSK a servi de révélateur à une nouvelle exigence morale de la vie publique, portée par les féministes : à travers la personne de DSK, c’est le procès de la domination masculine - éminemment moral, voire moralisateur - qui fut intenté.

Ce qui dérange dans le rapport sexuel le plus célèbre depuis l’affaire du cigare de Bill Clinton, c’est la relation de pouvoir qui a rendu possible l’union éphémère d’une femme de chambre immigrée et de « l’un des hommes les plus puissants du monde ». Quand on imagine les scénarii les plus favorables à DSK, on tombe inévitablement sur l’hypothèse du simple « troussage de domestique » - comme disait l’autre -, ou bien sur celle du rapport de prostitution : dans un cas comme dans l’autre, il apparaît que la relation était indissociable d’un rapport de pouvoir dénué de toute forme de séduction. Cela ne justifie certes pas, dans l’esprit des Français à tout le moins, une condamnation pénale, mais cela suffit à susciter la gêne, voire la réprobation morale.

Il ne manquera sans doute pas d’intellectuels pour dénoncer, non sans raison, le néo-puritanisme féministe importé des Etats-Unis. Encore faut-il bien voir que ce n’est pas tant la seule morale féministe qui, à l’ère de la transparence médiatique et de la démocratie d’opinion, menace aujourd’hui la vie publique, que le moralisme tous azimuts, lequel recouvre la réalité et la complexité des véritables problèmes politiques. L’envers positif du phénomène est que les hommes et les femmes politiques sont désormais soumis, qu’il s’agisse de leur rapport à l’argent ou de leurs mœurs, à des standards moraux très élevés. Ce primat de la morale constitue aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire, l’une des données incontournables de la vie politique démocratique, en Europe comme aux Etats-Unis.

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