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Droite populaire... gauche populaire... mais de quel peuple parle-t-on ?
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Vox populi

Membre du mouvement la "Droite populaire", le député Lionnel Luca a dénoncé cette semaine "l'élimination" des députés appartenant à ce collectif des instances du groupe UMP à l'Assemblée nationale. A l'opposé, la "gauche populaire" lancée par plusieurs intellectuels reproche à une certaine gauche de délaisser les classes populaires. Interview croisée de Thierry Mariani (membre de la Droite populaire) et Gaël Brustier (Gauche populaire).

Gaël Brustier et Thierry Mariani

Gaël Brustier et Thierry Mariani

Gaël Brustier est chercheur en sciences humaines (sociologie, science politique, histoire).

Avec son camarade Jean-Philippe Huelin, il s’emploie à saisir et à décrire les transformations politiques actuelles. Tous deux développent depuis plusieurs années des outils conceptuels (gramsciens) qui leur permettent d’analyser le phénomène de droitisation, aujourd’hui majeur en Europe et en France. Ils sont les auteurs de Recherche le peuple désespérément (Bourrin, 2010) et viennent de publier Voyage au bout de la droite (Mille et une nuits, 2011).

Thierry Mariani a créé en 2010, avec notamment les parlementaires Christian Vanneste et Lionnel Luca, le collectif de la Droite Populaire Il a été ministre chargé des transports dans le dernier gouvernement de Nicolas Sarkozy.

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Atlantico : Après la « droite populaire », des intellectuels de gauche ont lancé en début d’année la « gauche populaire ». Quelles sont les principales différences et points de convergence entre ces deux mouvements ?

Gaël Brustier (Gauche populaire)La droite populaire est à Patrick Buisson ce qu'une fanfare bavaroise est au festival de Bayreuth. Ce groupe est mu par des stratégies de court terme, à des fins de sauvetage électoral, plus que par la volonté de redéfinir l'imaginaire collectif du pays : en effet, la droite populaire est née au sein du groupe UMP parmi quelques dizaines de députés qui étaient alors confrontés à des situations difficiles de concurrence avec le Front national. Il existe donc une différence de nature entre les deux groupes. La gauche populaire est plutôt composée de chercheurs, d'intellectuels, d'anciens cadres de partis politiques de gauche qui ont une lecture de la société qui les poussent à penser le combat culturel comme une priorité, avec comme ambition la reconquête de l'électorat populaire. Le terme "populaire" est passé à droite. Une série de livres, notamment Le sens du peuplede Laurent Bouvet, diagnostiquent l'éloignement de la gauche officielle des classes populaires. Notre travail n'est pas d'entériner les paniques morales du pays, mais d'y apporter des réponses. Notre objectif est donc de ramener les classes populaires à gauche en forgeant un imaginaire alternatif à celui de la droite. Nos valeurs sont les mêmes que celle de la gauche traditionnelle : celle de la République, le socialisme démocratique français. Nous sommes donc dans la grande tradition intellectuelle de Jean Jaurès ou Lucien Herr.

Thierry Mariani (Droite populaire) : Il y a eu un véritable enthousiasme pendant l’élection de 2007, tant du côté de Nicolas Sarkozy que de celui de Ségolène Royal. Mais l’élection de 2012 n’a pas été une élection populaire. La victoire de François Hollande est une victoire par défaut. La gauche doit donc se trouver un deuxième souffle, ce qui peut expliquer la constitution de la "gauche populaire". De plus, le discours de François Hollande s’adresse essentiellement à une clientèle électorale particulière - les fonctionnaires, les enseignants, etc. - mais pas au peuple dans son intégralité. Les commerçants, les artisans ou les agriculteurs étaient complètement oubliés de ses discours de campagne. Nos valeurs ? Un certain attachement au mérite, à la valeur travail, à dire que l’on a plus besoin d’effort que d’assistanat. Mais aussi avoir une politique qui n’a pas peur de faire preuve de fermeté.

A quoi fait référence le terme “populaire” de votre mouvement : qu’est-ce que ce “peuple” désormais brandi en étendard ?


Gaël Brustier (Gauche populaire) : Quand nous parlons du "peuple", nous visons le peuple dans son ensemble. Nous ne considérons pas que la vie politique est un marché composé de différents segments. Il y a un "commun" en France qui transcende toutes les appartenances quelles qu'elles soient. Le peuple comprend donc les ouvriers et les employés, qui représentent la majorité sociologique du pays mais qui sont massivement moins engagés à gauche qu'il y a quelques années. Il faut s'adresser à la totalité du pays pour avoir une majorité sociologique stable.

Thierry Mariani  (droite populaire) : La droite populaire s’adresse à la “France qui se lève tôt”, à cette France qui travaille dur et qui a l’impression d’être assaillie par les charges sociales. Elle parle aussi à cette France qui est attachée au drapeau, qui se sent humiliée, par exemple, quand elle voit le comportement de l’équipe de France de football. C’est sans conteste un peuple qui n’a pas la même idée de la France qu’une partie de la gauche.

Le "P" de populaire est déjà présent dans "UMP" (Union pour un mouvement populaire). Pourquoi avoir éprouvé le besoin de le reprendre ?

Thierry Mariani (Droite populaire) : Nous avons repris le "P" de populaire, mais nous y avons surtout ajouté le mot « droite » qui était un semi gros mot et qui le reste encore aujourd’hui. Je note d’ailleurs un paradoxe lié aux résultats des législatives : l’électorat de droite n’a jamais été aussi à droite et les élus de droite n’ont jamais été autant au centre. En fait, les électeurs de droite se sont sentis quelque peu floués : ils avaient élu Nicolas Sarkozy sur son discours de 2007 et ils ne l’ont pas toujours retrouvé dans les actes durant la présidence. Des membres de la majorité ont souvent joué aux « vierges effarouchée », notamment à l’occasion du discours de Grenoble. Aujourd’hui encore, les polémiques sur l’autocritique de la stratégie de campagne suivie par Nicolas Sarkozy sont totalement déplacées. Je fais partie de ceux qui pensent que si nous n’avions pas suivi la ligne Buisson, nous n’aurions peut-être même pas été au second tour. Malgré la défaite, le faible écart obtenu entre Nicolas Sarkozy et François Hollande montre qu’il s’agit d’un des meilleurs résultats en Europe pour un gouvernement sortant. Nous avons donc lancé ce courant pour dire qu’il y avait une droite à l’UMP, une droite proche du peuple, une droite de bon sens !

Compte tenu de son succès auprès des classes populaires, le vrai parti « populaire » n’est-il pas le Front national ?

Thierry Mariani (Droite populaire) : Le Front national a aujourd’hui une vraie base populaire, on ne peut pas le nier.  Néanmoins, en s’adressant au peuple, il propose, surtout en matière économique, des solutions totalement irréalisables. Si le programme du Front national était appliqué, on se retrouverait dans la même situation que la Grèce. Mais le succès du FN s’explique sans doute par une déception vis-à-vis des partis politiques classiques, UMP et PS notamment. Il y a eu un manque d’enthousiasme pour le PS qui s’adresse particulièrement à certaines catégories de la population. D’autre part, il y a eu une déception de la droite, qui a un bilan qui n’était pas mauvais mais qui n’a pas pu résister à la crise. 

Gaël Brustier (Gauche populaire) : Le Front national parvient à subvertir le besoin "commun", celui de “nation” ou de “vivre ensemble” par un discours transformant la quête de frontières des classes populaires en des termes identitaires. Ils tiennent un discours de priorité nationale et xénophobe parce qu'il n'y a pas d'imaginaire de gauche républicain suffisamment fort pour y faire face. Ils s'engouffrent par les brèches ouvertes par la gauche elle-même lorsqu'elle défend le multiculturalisme et une vision identitaire de la société en ramenant le citoyen à des identités qui relèvent largement du fantasme. Le Front national mène donc une politique du bouc-émissaire visant à fracturer la France en plusieurs catégories. De son côté, la droite favorise depuis quelques années un discours identitaire assez fort. Mais Jean-François Copé ou François Fillon sont favorables au libre échange ou à l'intégration européenne là où le Front national pousse la logique sarkozyste jusqu'au bout en évoquant des frontières étanches. Cette logique séduit davantage les classes populaires. En vérité, le fond du problème est l'imaginaire collectif du pays qui domine la France depuis trente ans : l'occidentalisme, c'est à dire la peur du déclin de l'Occident. La France est mue par la peur de son propre déclin. La gauche doit imaginer une alternative à cette idéologie : cela nécessite un gros travail culturel.

N’êtes-vous pas plus populiste que populaire ?

Thierry Mariani (Droite populaire) : Je ne sais pas vraiment ce que signifie ce terme. C’est devenu un gros mot mais comme disait Philippe Muray : « C’est le mot favori de la gauche quand le peuple lui échappe ». Nous n’avons pas une stratégie populiste. Nous allons lancer une initiative, à l’occasion des deux ans du collectif, le 14 juillet prochain, pour montrer qu’il existe un vrai socle idéologique au sein de la droite populaire en dehors des sujets où on nous attend habituellement comme la sécurité, la justice, la police. Pour répondre à votre question, quand le peuple donne raison à la gauche c’est populaire, quand il donne raison à la droite c’est populiste.Cela fait partie de cette guerre verbale gagnée en permanence par la gauche ou plutôt perdue en permanence par la droite. La gauche a toujours réussi à imposer son vocabulaire avec les connotations qu’elle choisit. 

Gaël Brustier (Gauche populaire) : J'aime beaucoup l'expression de Laurent Bouvet lorsqu'il dit qu'il faut "dialectiser le populisme" : les milieux populaires ne doivent pas être parés de toutes les vertus, mais ils ne doivent pas non plus être pointés du doigt.  

Vous reconnaissez-vous dans le Tea Party américain, qui se pose lui aussi comme un mouvement populaire?

Thierry Mariani  (droite populaire) : Nous partageons certains principes comme le travail, le refus de l’assistanat… Mais il y a une forte connotation religieuse dans ce mouvement qui n'existe pas dans le nôtre. Nous sommes profondément attachés à la laïcité, quelle que soit notre religion. La principale différence est là.

Gaël Brustier (Gauche populaire) : Le Tea Party est une droite recomposée en réaction à la crise. Ce ne sont pas des prolétaires mais plutôt des classes moyennes inférieures composées de petits commerçants ou de la moyenne bourgeoisie. Ils considèrent que les propositions des démocrates américains sont des solutions bolcheviques et dangereuses. Il s'agit d'un mouvement contestataire, individualiste et libertarien qui s'inscrit dans une tradition américaine, avec une vision fantasmée de l’unité américaine. 

Les législatives n'ont pas été favorables à la plupart des membres de la droite populaire. N’est-ce pas la marque d’un échec de votre mouvement ?

Thierry Mariani (Droite populaire) : Pas du tout. La majorité des députés de la droite populaire était dans des circonscriptions difficiles. En outre, les scores ont été serrés et il y a souvent eu des triangulaires. C’est plus l’implantation géographique de ces députés qui fait qu’ils ont eu moins de réussite que les autres.

Vous dites que la gauche s’est en partie coupée du peuple, mais François Hollande vient de remporter la présidentielle et le PS a triomphé lors des législatives. Est-ce à dire que votre diagnostic est faux ?

Gaël Brustier (Gauche populaire) : Quand le taux d’abstention est à 44%, comme lors du second tour des législatives, la gauche l’emporte. Quand le peuple ne se déplace pas, c’est suffisant. Mais lorsqu’il se déplace, ça l’est moins…

 Propos recueillis par Aymeric Goetschy

NB : ces deux interviews ont été réalisées séparément.  

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