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Djihadistes français en Syrie : combien de nouveaux Mohamed Merah en puissance ?
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Cinquième colonne

Abdelkader Merah, frère de Mohamed, doit être entendu par les juges d'instruction à Paris ce lundi. Dans le même temps, les rebelles syriens ont été rejoints par des djihadistes étrangers dans leur lutte contre Bachar el-Assad. Parmi eux, des Français. Un risque pour notre pays ?

Wassim Nasr

Wassim Nasr

Wassim Nasr est journaliste et veilleur analyste. Il est diplômé à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS).

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Atlantico : Les jeunes Français musulmans seraient de plus en plus nombreux à grossir les rangs de l'insurrection en Syrie. Jacques Bérès, cofondateur de Médecins sans frontières, a témoigné en avoir soignés à Alep. Ils sont venus faire le Djihad dans le but de faire tomber Bachar el-Assad. Quelle est la situation sur place ?

Wassim Nasr : De plus en plus nombreux, je ne dirais pas cela. Mais il faut savoir que ce phénomène n’est pas nouveaux, des Français – qu’ils soient d’origine arabe ou pas - ont rejoint les différents mouvements djihadistes de part le monde, et cela depuis les années 1980. A cette époque les djihadistes avaient le soutien matériel, moral et financier des capitales occidentales et des pétromonarchies arabes pour combattre le communisme.

Aujourd’hui, on retrouve une configuration similaire, sauf que l’ennemi n’est plus le communisme mais le régime syrien. On parle de quelques combattants français à Alep, certains d’origine arabe, d’autres non. En mars dernier, les autorités libanaises ont arrêté un groupe d’une dizaine de Français qui essayaient de passer la frontière libano-syrienne. Cette information est passée quasi inaperçue, à un moment où l’affaire Merah captait toute l’attention des médias.

Début septembre, le journaliste Robert Fisk - du journal britannique The Independent - a interviewé un djihadiste franco-algérien originaire de Marseille dans une prison à Damas. Mais le dernier témoignage est celui du docteur Jacques Bérès qui rentre tout juste d’Alep. Il m’a décrit deux jeunes frères français - il en a soigné un de ses propres mains : « deux illuminés dont un n’a pas hésité à faire l’éloge de Mohamed Merah, avec une voix douce, des traits fins, mais capable de vous égorger avec le sourire tout en vous convaincant que c’est pour votre bien ».

Parmi ces jeunes djihadistes, certains peuvent-ils revenir en France pour commettre des attentats, à la Mohamed Merah ?

Je ne pense pas qu’on verra une multiplication des Merah à cause du conflit syrien. Son cas est proche de celui de David Headley, informateur de la DEA (Drug Enforcement Agency) américaine, à la tête du groupe responsable des attentats de Mumbai (2008). C’est ce genre de personnage qui représente le vrai danger, plutôt que les djihadistes qui rentrent de Syrie avec habits traditionnels et barbes. Cela dans la mesure où l’endoctrinement se fait à Paris, comme à Londres et comme dans toutes les villes occidentales plutôt qu’en territoire syrien.

Cette situation est-elle propre à la France ou s'étend-elle à d'autres pays européens ?

Plusieurs journalistes ont rencontré des djihadistes venant des pays européens. Mais cela ne veut pas dire que les appels au Djihad vont se généraliser à toutes les mosquées européennes et que les prédicateurs vont embrigader des centaines de jeunes musulmans occidentaux.

Il ne faut pas oublier que la majorité de ces djihadistes sont d’origine syrienne ou des Syriens naturalisés dans leurs pays d’accueil. J’ai eu dernièrement l’occasion de voir des images de plusieurs d’entre eux : un Suédois poussé vers le Djihad par son épouse ; un entrepreneur autrichien qui a déménagé sa famille en Turquie avant de rejoindre le combat ; un Hollandais coupeur de tête protégeant des civils avec son imposante silhouette ; etc. Ces hommes se battent par conviction sous la bannière de Jabhat el-Nousra (en Syrie, ndlr) à Alep.

Parmi ceux qui ne sont pas d’origine syrienne, beaucoup sont des vétérans des conflits irakien et libyen. Lioua el-Ouma (Les Brigades de l'Oumma) a été formé par Mehdi Harati, un Irlandais d’origine  libyenne vice-président du Conseil Militaire de Tripoli. Cette brigade gère un camp d’entrainement - au combat urbain et à la fabrication d’engins explosifs - dans la région d’Idlib.

Ne peut-on pas voir une certaine contradiction, entre d'un coté les gouvernements européens qui soutiennent la rébellion et de l'autre de jeunes européens qui sont endoctrinés dans la guerre sainte ?

Effectivement la contradiction existe, plusieurs de ces djihadistes - qu’ils soient européens ou pas - ont un discours radical, ils disent très clairement que leur combat n’est pas pour la démocratie mais pour l’instauration d’un Khalifa islamique ou pour l’application de la Chariaaet, dans les cas les plus extrêmes, pour chasser les Alaouites et les Chrétiens. D’autres estiment que « la guerre contre le régime infidèle de Bachar el-Assad est la première étape avant la reconquête de Jérusalem et l’anéantissement d’Israël ».

Le danger est réel, mais pas plus qu’il ne l’était avant le conflit syrien. La méfiance des chancelleries occidentales est justifiée, dans la mesure où l’exemple afghan est toujours d’actualité. Néanmoins, je tiens à préciser que la Syrie n’est pas l’Afghanistan et que la société syrienne est une société tolérante et multiconfessionnelle depuis plusieurs millénaires. Donc même si la radicalisation va de pair avec la guerre, je ne pense pas qu’un régime à l’image du régime Taliban soit viable ou même acceptable pour une majorité de Syriens.

Comment les gouvernements peuvent-ils agir pour mieux contrôler ces djihadistes en amont ?

Au niveau international, les différents gouvernements occidentaux suivent plusieurs procédures pour contrôler au mieux les filières djihadistes, que cela soit avec du renseignement humain ou technique. Dans le cas syrien, les meilleurs alliés des services français seraient les services des pays limitrophes. Donc les services libanais, turcs, jordaniens et, dans une moindre mesure, irakiens.

Au niveau de la France, cette question nous ramène à l’affaire Merah qui a marqué la lutte antiterroriste. Les juges d’instructions - qui sont des enquêteurs spécialisés - ont été d’une certaine manière mis à l’écart concernant Mohamed Merah au moment de son identification et de son « recrutement ». Sachant qu’à un certain moment il a été recruté par la Direction Centrale des Renseignements Intérieurs (DCRI) en tant que « loup blanc » ayant vocation à infiltrer les milieux djihadistes et terroristes. Les derniers documents déclassifiés démontrent aussi que Mohamed et son frère Abdelkader Merah étaient tous les deux surveillés au moins depuis 2009. D’ailleurs Abdelkader doit être entendu aujourd’hui même par un juge d’instruction à Paris.

Concernant les procédures, très peu d’instructions étaient ouvertes en matière de lutte anti-terroriste avant l’affaire Merah. Depuis, la justice et les juges sont saisis au moindre soupçon concernant un individu ou un groupe d’individus. Avec la mise en cause d’un nombre considérable de personnes, il est devenu impossible pour les services de traiter un dossier dans la durée. Sans oublier qu’en lançant des procédures on prévient les suspects qu’ils sont sous l’œil des autorités, tout en étant souvent obligé de les libérer par manque d’éléments incriminants. Donc, dans le but de « creuser » un dossier et pour éviter le lancement d’une procédure hâtive, les services se trouvent parfois obligés d’agir à la limite de la justice.

Malgré les difficultés, les services français demeurent parmi les meilleurs en Occident en matière de lutte anti-terroriste. Même si leurs efforts ne sont pas toujours médiatisés, ces hommes et ces femmes font un travail de longue haleine avec des succès journaliers largement ignorés par le public.

Propos recueillis par Charles Rassaert

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