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Djihadisme : l'amour de la mort
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Bonnes Feuilles

Dans "En prison, paroles de djihadistes" (Gallimard), Guillaume Monod, pédopsychiatre explique que le rapport des djihadistes à la religion n’est pas tant théologique ou politique que mythologique, car l’État islamique incarne un mythe qui plonge ses racines aussi bien dans la géopolitique contemporaine que dans l’histoire millénaire de l’islam. Extrait 1/2.

Guillaume Monod

Guillaume Monod

Guillaume Monod est pédopsychiatre en région parisienne. Ancien contrôleur auprès du contrôleur général des lieux de privation de liberté, il continue de pratiquer en milieu carcéral pour une prise en charge des mineurs détenus et de leur famille. Il a publié "En prison, paroles de djihadistes" aux éditions Gallimard.

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« Nous aimons la mort plus que vous n’aimez la vie » est un slogan attribué à Oussama Ben Laden, bien souvent considéré comme l’essence de la pensée djihadiste. Selon une interprétation convenue, il sert de principe d’action et de réflexion aux candidats au djihad, il résume leurs croyances religieuses et permet de distinguer ceux qui sont dans leur camp et ceux qui sont leurs ennemis. Comment peut-on comprendre ce paradoxe que la propagande des recruteurs pour le djihad insiste sur la nécessité pour le vrai croyant de donner sa vie pour la cause qu’il veut servir, alors que les candidats au djihad, dans leur grande majorité, ne veulent pas partir pour mourir mais pour vivre dans le pays qu’ils croient être le paradis terrestre ? Les djihadistes que j’ai rencontrés veulent une vie calme pour certains, héroïque pour d’autres, mais, pour la quasi-totalité, une vie terrestre et humaine. 

« Aimer la mort » ne doit pas être la définition et la totalité du projet djihadiste, qui se résumerait à l’acte terroriste de tuer les autres, au besoin en se suicidant. Se contenter de cela est résoudre le problème avant même de l’avoir posé. De la même façon qu’il n’y a pas de profil type du djihadiste, il n’y a pas de rapport type à la mort. Ces rapports sont tout aussi complexes et contradictoires que les raisons de partir pour le djihad. Les raisons de l’amour de la mort font écho aux motivations des candidats au djihad, elles sont tout aussi variées et complexes, peuvent être de tonalités négatives et positives, exprimer des rancœurs et des espoirs. Celui qui aime la mort, qu’il soit candidat au suicide ou tueur de masse avide de vivre, n’est pas nécessairement un barbare inculte qui aime la mort par simple goût pervers, comme le souligne George Steiner  : « Les bibliothèques, musées, théâtres, universités et centres de recherche, qui perpétuent la vie des humanités et de la science, peuvent très bien prospérer à l’ombre des camps de concentration […] Des hommes comme Hans Frank, qui avaient la haute main sur la solution finale en Europe de l’Est, étaient des connaisseurs exigeants, et parfois même de bons interprètes de Bach et Mozart. 

On compte parmi les ronds-de-cuir de la torture ou de la chambre à gaz des admirateurs de Goethe ou des amoureux de Rilke1 . » Aimer la mort peut se comprendre dans un rapport interindividuel et signifier aussi bien aimer sa mort qu’aimer la mort des autres, aimer tuer pour une cause qu’aimer l’idée de se faire tuer pour cette même cause. L’amour de la mort peut également se comprendre dans un rapport personnel, intime, non pas pour donner la mort (la sienne ou celle de l’autre) mais pour le plaisir de s’approcher aussi près que possible de cette épreuve ultime, qui procure des sentiments divers, complexes et intenses, tels que l’épreuve de sa propre virilité, le passage d’une étape initiatique permettant de rejoindre une fraternité de combattants, découvrir au travers de l’e†roi et par la fascination qu’il procure une compréhension nouvelle du monde et de la vie. 

Comprendre le slogan de Ben Laden nécessite avant tout d’accepter l’idée que « aimer la mort » signifie tout autre chose que « prendre plaisir à tuer », que ce qui est en jeu ne se limite pas à la sourance et à la cruauté. Le rapport suicidaire à la mort n’est pas un produit de la tradition des salafs salihs, qui ne pratiquaient pas l’attentatsuicide. Farhad Khosrokhavar et Olivier Roy ont abondamment étayé le fait qu’il s’agit d’un phénomène nouveau dans le monde islamiste, apparu en Iran lors de la révolution de 1979. « La tradition musulmane, si elle reconnaît les mérites du martyr qui meurt au combat, ne valorise pas celui qui cherche la mort délibérée, car elle empiète sur la volonté divine1 . » Les hadith racontent avec force détails que les compagnons de Mahomet, tout comme les chevaliers chrétiens qui partaient dans un élan religieux et héroïque pour les croisades, allaient se battre non pas pour mourir mais malgré ce risque, ils acceptaient de se sacrifier non pas en première intention, mais en dernier recours.

Extrait de "En prison, paroles de djihadistes", de Guillaume Monod, publié aux éditions Gallimard

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