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Diète extrême : pourquoi vous ne devriez surtout pas vous inspirer des régimes pro-productivité des milliardaires de la Silicon Valley
©David Becker / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Régime totalitaire

Une tendance chez les milliardaires de la Sillicon Valley consiste à jeûner pour être plus efficace au travail. Les cantines sur le lieu de travail et les incitations à être plus efficace même en mangeant pourraient ne pas être bénéfiques à tout le monde.

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard est psychanalyste. Elle est l'auteur du livre Comprendre l'obésité chez Albin Michel, et de Obésité, le poids des mots, les maux du poids chez Calmann-Lévy.

Elle est membre du Think Tank ObésitéS, premier groupe de réflexion français sur la question du surpoids. 

Co-auteur du livre "La femme qui voit de l'autre côté du miroir" chez Eyrolles. 

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Atlantico: Le PDG de Twitter s'est récemment vanté d'avoir jeûné pendant 22 heures, voire toute la journée. Il ne boit parfois que de l'eau, ou mange toutes ses calories à la fin de la journée. Cette logique participe d'un mythe du "bio-hacking", c'est à dire essayer d'être le plus productif possible en ayant le moins de besoins possibles. De besoins alimentaires, en l'occurrence. Certains régimes extrêmes sont faits en dehors de tout suivi médical. Quelle logique poursuit cette tendance et quelles peuvent être les conséquences sur la santé physique et mentale ?

Catherine Grangeard : Sous le signe de l’excès… Voilà une caractéristique majeure de notre époque !

Qu’un individu se nourrisse comme il veut, comme bon lui chante, y compris si c’est délirant et s’il s’agit d’un PDG, cela reste un choix perso. S’il nous demande notre avis, on peut lui donner. Mais que cette personne veuille imposer d’une manière ou d’une autre ce qui lui parait le meilleur (pour lui) dans ce domaine de l’alimentation à d’autres, ne serait-ce pas un excès de pouvoir ?

On s’est élevé, à juste titre, contre le droit de cuissage. C’est du même ordre. Chacun est libre de se nourrir comme il l’entend, de s’hydrater selon ses envies et ses besoins. Cela relève de la liberté personnelle.

La productivité a bon dos. La mode du jeûne, ses vertus - supposées par les uns- peut-elle convenir à tout un chacun ? Rien n’est moins sûr. Se proposer comme modèle d’identification au travers de la valorisation d’un mode alimentaire très spécifique, minoritaire, tend à creuser les différences d’avec le commun des mortels, et des employés. Pour se faire bien voir, ceux qui auront des tendances à la privation seront bien avantagés. On voit comment des traits de personnalité (des travers ?) complètement extérieurs aux compétences professionnelles deviennent des critères de valorisation. C’est assez pervers.

La stigmatisation des personnes selon leur rapport à la nourriture en découle et c’est hors de propos. C’est même impressionnant de voir comment on décentre la question de performance.

Bien sûr, après un énorme repas la digestion endort et la personne est peu productive. Mais n’est-il pas temps de raison garder ?

Dans les entreprises, comme dans tous les groupes, les attentes des leaders ont des effets sur les membres du groupe. Qu’elles soient exprimées ou indirectes. Peut-être même que les demandes indirectes, sous-jacentes ont un effet plus délétère sur certaines personnes, cela dépend de nombreux facteurs qui tiennent à la fois au leader, à la personne et au type de groupes. Comme on sait aussi que toutes les conséquences psychologiques ont des effets sur le corps, on mesure la gravité de certaines logiques pour le moins farfelues.

Les entreprises de la tech emploient des personnes assez jeunes, ambitieuses, désireuses d'avoir des meilleurs résultats et d'avancer leur carrière. Pour répondre à ces désirs, certaines entreprises proposent des cantines sur place pour gagner du temps, avec des régimes "diet", une nourriture calculée. Le but: réduire l'absentéisme et augmenter l'énergie productrice. Considérer le fait de se nourrir exclusivement à travers le prisme de l'efficacité biologique ne représente-t-il pas quelque danger ? 

Proposer un self est courant dans les entreprises. C’est présenté aux employés comme un avantage. Cela permet de gagner du temps. Pour l’entreprise, c’est aussi d’éviter que les salariés s’évadent lors de la pause déjeuner, ils restent concentrés, l’entre-soi favorisant les discussions sur le travail. Ce gain de productivité est renforcé par le choix des aliments proposés. La restauration collective peut avoir comme argument prioritaire des critères d’économie. Lorsque l’entreprise choisit le bio et le local, comme cela se fait de plus en plus, ce sont des critères de santé qui sont privilégiés. Qui dit un personnel en meilleure santé dit aussi un personnel plus efficace. Et plus heureux d’être dans cette entreprise, donc plus investi, tenant plus à son poste, donc prêt à faire des efforts plus importants, des concessions sur les horaires par exemple.

De même, se voir offrir une place de parking dans l’immeuble où l’on travaille est toujours bien perçu par l’employé. De plus en plus, des badges sophistiqués les accompagnent. Ainsi, deviennent accessibles des données comme l’heure d’arrivée, de départ, bien sûr. Mais aussi certains badges peuvent servir pour payer à la cantine. Alors, sont aussi connus les choix de plats. Et là, un contrôle peut s’infiltrer si la direction a en tête de promouvoir un certain type de comportement alimentaire.

C’est donc évident que réduire la nourriture au carburant permettant de fonctionner est un prisme complètement réducteur. Seul un certain type d’individus s’y retrouvent et l’entreprise risque finalement de perdre en compétences car la variété est une qualité dans les équipes. Uniformiser est un biais qui a des conséquences négatives sur l’entreprise. La diversité enrichit naturellement. Mais au niveau individuel, se plier à un mode de fonctionnement trop loin de sa nature est tout autant contre-productif et rend malade, d’une façon ou d’autre autre !

Certaines entreprises vont même jusqu'à organiser des concours avec des prix à la clé pour les employés qui réduiront leur poids, sous couvert de lutte contre l'obésité. Si on prend la réflexion à l'inverse, quelqu'un qui ne perd pas de poids est un moins bon employé. Ces tentatives d'influencer le comportement alimentaire au nom de la productivité peuvent-elles avoir des effets positifs sur la santé, ou sont-elles simplement coercitive et psychologiquement risquées ? 

C’est cela ! Sous couvert de lutte contre l’obésité, il y a pénétration dans une liberté individuelle essentielle qui est de se nourrir selon ses préférences. Le rapport à son propre corps tendrait à échapper à l’individu pour devenir social. C’est problématique une telle normalisation. Cette notion de prime directe ou indirecte est insultante…

La présentation socialement acceptée de lutter contre l’obésité, présentée partout comme un fléau, devient indiscutable. C’est une manipulation difficile à déconstruire. Il faut déjà avoir un recul suffisant pour établir qu’un surpoids n’est pas systématiquement le signe d’une obésité annoncée. Certes, on ne passe pas à la case obésité sans passer par celle du surpoids. Mais l’inverse est faux. Toutes les personnes en surpoids ne seront pas obèses un jour. Cette vérité doit être réaffirmée en permanence pour décomplexer les gens et faire face à une déformation de la réalité.

Ensuite, si le corps s’enrobe c’est pour des raisons d’ordre psychique tout autant que physique. Il ne s’agit pas de seulement « manger moins, (mieux) et bouger plus »… Il est établi que des causes psychologiques induisent un nombre infini de raisons sous-jacentes à la préférence d’aliments riches, gras, sucrés. Or, s’attaquer uniquement à l’assiette est non seulement réducteur mais surtout gravissime puisque la personne sera bien obligée de rechercher ailleurs ce qui est toujours indispensable tant que les causes profondes n’ont pas disparu, ou (au moins) ont diminué d’intensité. C’est effectivement très risqué, psychologiquement parlant !

Ensuite, le changement étant déjà difficile quand il est décidé, on sait que lorsqu’il est imposé de l’extérieur, il est voué à l’échec. La résistance inconsciente se met en route. Même si la coercition est soft c’est tout de même une emprise. Là encore, cela pose un sérieux problème. Un salarié doit-il être jugé sur d’autres critères que sur ses performances, sur la qualité du travail pour lequel il est embauché ?

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