Deux femmes devant la justice anti-terroriste pour avoir conduit une voiture en Arabie saoudite<!-- --> | Atlantico.fr
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En Arabie saoudite, les femmes ne peuvent toujours pas conduire de voiture.
En Arabie saoudite, les femmes ne peuvent toujours pas conduire de voiture.
©Reuters

Et pendant ce temps...

Deux Saoudiennes vont être jugées devant un tribunal anti-terroriste après avoir été interpellées pour avoir bravé l’interdiction de conduire une voiture.en Arabie Saoudite.

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer est maître de conférences en science politique à l'Institut d'Études Politiques de Lyon (IEP)

Il est aussi chercheur au Triangle, UMR 5206, Action, Discours, Pensée politique et économique à Lyon et chercheur associé à l'Observatoire des Radicalismes et des Conflits Religieux en Afrique (ORCRA), Centre d'Études des Religions (CER), UFR des Civilisations,Religions, Arts et Communication (CRAC), Université Gaston-Berger, Saint-Louis du Sénégal.

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Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Atlantico : En décembre 2014, une activiste pour le droit des femmes Loujain al-Hathloul ainsi qu’une journaliste Maysaa Al Amoudi, ont été interpellées pour avoir bravé l’interdiction de conduire une voiture en Arabie Saoudite. Les deux Saoudiennes doivent être jugées devant un tribunal anti-terroriste. En octobre 2013, un mouvement appelant les femmes à prendre le volant avait suscité les espoirs de détente sur le sujet. Comment les choses ont-elles évolué depuis ?

Frédéric Encel : Mal, comme à chaque fois que le régime wahhabite saoudien, l'un des plus rétrogrades et les plus répressifs au monde, est confronté à des revendications, si minimes et légitimes soient-elles. La justice aux ordres appliquant strictement une forme de sharia excessivement rigoureuse - que même les musulmans conservateurs à travers le monde rejettent -, au mieux les choses traînent, au pire la répression s'accroît, comme ces dernières années. La seule lueur d'espoir réside dans la lutte d'influence acharnée à laquelle se livrent les différents clans issus des nombreuses épouses du fondateur du régime, Ibn Seoud. Certains princes seraient plus enclins que d'autres à édulcorer un peu cette phallocratie poussée à incandescence

Haoues Seniguer : Les choses sont visiblement toujours au point mort du côté du pouvoir. En revanche, des femmes saoudiennes restent extrêmement mobilisées pour aboutir dans leurs revendications, se heurtant de plein fouet à des individus et groupes virulemment hostiles à l’évolution de la condition féminine, et se réclamant d’un islam très rigoriste.

Les femmes ont pourtant obtenu le droit de vote et la possibilité de se présenter à des élections législatives en 2011. Faut-il interpréter les récents événements comme le signe d'une radicalisation croissante ?

Frédéric Encel : Le droit de vote ? Certes, mais il n'y a pas de votes sérieux dans cette théocratie tribale et féodale ! Les seules élections sont locales et ne pèsent rien ; non seulement les candidats sont triés sur le volet et présentent tous le même profil ultra rigoriste, mais encore les prérogatives de ceux qui seront élus (des hommes exclusivement, bien entendu !) sont marginales.

Alors oui, à ce compte, on pouvait permettre aux femmes de déposer un bulletin dans des urnes, en niqab naturellement... Plutôt que de radicalisation, je parlerais donc de consternante stagnation.

Haoues Seniguer : Ce sont les paradoxes de la société saoudienne comme ailleurs dans le monde arabe. D’un côté, l’octroi de nouveaux droits, comme le droit de vote, de l’autre, l’interdiction faite aux femmes de prendre le volant ; d’un côté, des gestes témoignant d’un certain libéralisme, de l’autre des décisions frappées du sceau de l’intolérance et de la discrimination.

Comment l'Arabie saoudite peut-elle concilier ces deux images : celle d'alliée de l'Occident, notamment dans la lutte contre l'Etat islamique, et celle du fondamentalisme religieux ? Peut-on par ailleurs considérer que l'Occident est dans une posture hypocrite ?

Frédéric Encel : Vous savez, l'hypocrisie en géopolitique... Cela revient le plus souvent à suivre ses intérêts économiques bien compris, à les faire primer sur les aspects moraux. En l'espèce, l'Arabie saoudite recèle et de loin les principales réserves de brut au monde, et un brut de qualité, facile à extraire, à raffiner et à exporter, via le détroit d'Ormuz notamment. D'où l'alliance de février 1945 entre Washington et Riyad, jamais remise en cause à ce jour. D'où aussi nos relations cordiales avec ce pays exclusivement rentier. Or depuis le choc pétrolier de 1973-74, une part considérable de la manne obtenue par son régime islamiste est utilisée à l'expansion de son dogme à travers le monde, via des réseaux d'entraide sociale, des mosquées, des écoles coraniques, etc. Résultat : la multiplication des foyers islamistes, non seulement dans les banlieues d'Europe mais aussi et surtout dans le monde musulman lui-même, à commencer par le Pakistan. Pire : l'un des fruits les plus vénéneux de l'exportation tous azimuts de cette doctrine - dont je rappelle qu'elle est violemment raciste, antisémite, misogyne et archaïque, c'est aujourd'hui l'Etat islamique. Comparez les sermons et textes fondateurs du wahhabisme et ceux d'Al Qaïda et de Daesh, c'est édifiant !

Seulement voilà, il y a le pétrole... Alors, hélas, les gouvernements continueront à fermer les yeux sur les droits des femmes. Vous savez, le trublion qatari voisin, wahhabite également, s'autorise grâce à son gaz naturel à faire travailler des centaines de milliers d'Asiatiques à la manière de semi-esclaves, sachant bien qu'on ne réagira en Occident, au mieux, que mollement.

Haoues Seniguer : Toute relation interétatique ou diplomatique, par définition, est un jeu à deux partenaires, voire plus. Par conséquent, force est de relever, dans un premier temps, les ambiguïtés et contradictions internes au pouvoir monarchique autoritaire saoudien, et, dans un second temps, rappeler la situation logique impossible dans laquelle se trouvent les partenaires occidentaux : d’un côté, ceux-là promeuvent la liberté dans le monde, combattent les organisations extrémistes se réclamant de l’islam, à l’instar de l’État islamique, de l’autre, ils s’allient au royaume saoudien qui pratique à l’intérieur de ses frontières, et parfois aussi à l’extérieur, un islam exclusiviste, voire violent.

Néanmoins, jusqu'où un tel positionnement est-il tenable, au plan intérieur et au plan international ? Quelles forces pourraient pousser l'Arabie saoudite à évoluer ?

Frédéric Encel : Bonne question : c'est tenable tant que nos intérêts primordiaux ne sont pas menacés d'une part, et que le pétrole saoudien demeure incontournable d'autre part. Or, l'explosion de l'Etat islamique et de l'islamisme radical plus généralement depuis au moins le 11 septembre, commence à irriter sérieusement les Occidentaux ainsi que les Russes, les Chinois, les Indiens et plusieurs Etats arabes, tous menacés. D'où les récentes tentatives du régime saoudien d'apparaître comme lui-même victime potentielle de Daesh ! Par ailleurs, les gaz et/ou huiles de schiste nord-américains et bientôt peut-être australiens ou encore chinois rendront inéluctablement le brut saoudien moins essentiel. Alors une nouvelle ère s'ouvrira...

Haoues Seniguer : Tenable jusqu’à que ces contradictions apparaissent par trop nuisibles à ceux qui en acceptent les termes encore aujourd’hui !

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