Deux ans à Matignon : ni guerre ni paix, l’étonnante relation entre Manuel Valls et François Hollande <!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande et Manuel Valls entretiennent une relation particulière.
François Hollande et Manuel Valls entretiennent une relation particulière.
©Reuters

Les lois de l’attraction désastre

Le Président et son Premier ministre jouent un drôle de jeu depuis quelques temps. Ils semblent liés et se soutenir à bien des égards, mais ne manquent pas non plus de souligner leurs différends par médias interposés. Ou comment faire valoir sa personnalité et ses propres objectifs quand on est dans le même bateau.

Frédéric  Métézeau

Frédéric Métézeau

Frédéric Métézeau est journaliste depuis 15 ans. Il a été journaliste pour France Bleu Nord, basé à Lille, et a présenté les informations sur France Inter avant devenir chef du service politique sur France Culture. Depuis août 2015, il est chef du service politique de France Inter.

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Atlantico : Manuel Valls semble maintenir une entente paradoxale avec François Hollande. D'un côté, il ne cesse de renouveler l'expression de sa loyauté au Président, notamment lorsqu'il déclare dans le JDD que "François Hollande est la voix de l'intérêt général" et affirme qu'il n'existe pas d'alternative à sa candidature à gauche. D'un autre côté, il se montre bien plus offensif que le chef de l'Etat sur les questions de l'islam et de la laïcité. Comment expliquer ce paradoxe, et que révèle-t-il du rapport entre les deux têtes de l'exécutif ?

Frédéric Métézeau : Il y effectivement deux têtes au sein de l'exécutif, mais gardons à l'esprit que l'une domine l'autre. A partir du moment où il y a un Président et un Premier ministre, ce dernier s'émancipe dans un cadre donné. Il n'ira jamais jusqu'à la rupture, pas non plus jusqu'à l'opposition frontale qui y mènerait. Je pense que chacun a sa sensibilité et, à deux, ils jouent sur deux registres à gauche. D'une part, on a un François Hollande d'un naturel, d'un caractère (et même d'un physique) plus rond, plus rassembleur, ce qui est aussi sa fonction. De l'autre côté, Manuel Valls est en première ligne, et doit faire face à diverses difficultés quotidiennes. Il me semble donc que l'un comme l'autre sont dans leurs rôles. En outre, il demeure impossible de demander à Manuel Valls de coller à François Hollande en matière de sensibilité ; d'être ton sur ton, dans la mesure où il a été son opposant lors du premier tour de la primaire à gauche.

Je ne suis pas persuadé qu'il y ait beaucoup plus de différences entre Manuel Valls et François Hollande que cela ne pouvait être le cas entre Pierre Mauroy et François Mitterrand… C'est également le cas de Michel Rocard et l'ancien Président socialiste. Il y a, à mon sens, de nombreux exemples : ils appartiennent tous deux, effectivement, à la même famille de pensée. Pour autant, ils sont chacun dans leur registre, non sans espérer – en réalité – ratisser le plus large possible.

Dans une interview accordée au quotidien allemand Bild mercredi 6 avril, François Hollande déclarait : "Ce n'est pas en enlevant la nationalité qu'on lutte contre le terrorisme." De la même façon, en 2014, il faisait une déclaration contre son Premier ministre : "On peut réussir sa vie sans être Président." Quel calcul fait François Hollande, dans cette lutte apparente avec Manuel Valls ?

Je pense qu'il est important de séparer ces deux déclarations. En 2014, François Hollande a fait cette déclaration alors qu'il remettait l'Ordre National du Mérite à Manuel Valls. Il évoque alors Georges Clemenceau, l'un des grands modèles républicains et de gauche du Premier ministre. Or, il s'avère effectivement que Georges Clemenceau n'a jamais été Président de la République… Il y a quelque chose de très simple à y voir : quand François Hollande cherche à faire passer des messages, quand il souhaite faire les choses fermement, il les fait passer à travers une dague. Le message, en l'occurrence, était sans équivoque. Il s'agissait de rappeler qui, d'entre eux deux, était le "patron". François Hollande a voulu rappeler à Manuel Valls qui était le Président de la République. A cette époque, le Premier ministre était plus haut dans les sondages, apportait un souffle de nouveauté au quinquennat… et François Hollande a tout de suite remis les choses à la place qu'il estimait qu'elles devaient avoir. Cela étant, n'oublions pas qu'il s'agit là de quelque chose d'assez classique. François Mitterrand avait fait de même, par exemple, tant sous l'ère de la cohabitation que sous celle de Michel Rocard. Le Président présidait déjà.

Sur la déchéance de nationalité, il me semble essentiel d'apporter plus de nuances. D'abord, souvenons-nous que François Hollande n'a jamais prétendu de cette mesure qu'elle permettrait de lutter contre le terrorisme… Il y voyait plutôt une manière de punir, de façon définitive et forte, les gens reconnus coupables de terroristes. Il s'agissait d'un marqueur. L'autre point de nuance qu'il convient d'apporter, à mes yeux, c'est qu'il m'est difficile de dire qui de François Hollande ou Manuel Valls a nourri cette idée en premier. Par conséquent, il est compliqué de dire qu'il s'agit à coup sûr d'une déclaration allant à l'encontre du Premier ministre, qui s'est lui-même interrogé sur le sujet de la déchéance de nationalité.

A quel point le destin de ces deux hommes est-il lié ? Manuel Valls a-t-il perdu toute possibilité de se défausser des mauvais résultats du quinquennat ? Inversement, François Hollande est-il parvenu à "carboniser " son Premier ministre, comme cela a si souvent été fait sous la Ve république ? 

Manuel Valls vit en ce moment ce que l'on appelle "l'enfer de Matignon". C'est un enfer "sondagier" où la cote de popularité baisse, baisse et baisse encore. Il est, certes, encore plus haut que le Président de la République, mais celui-ci le tire vers le bas. En outre, le destin d'un Premier ministre est nécessairement lié à celui de son Président, s'il ne s'en émancipe pas, en dehors des Premiers ministres de cohabitation. Or, un Premier ministre ne peut pas tout à fait s'émanciper de son Président : même Michel Rocard qui était très différent de François Mitterrand, et que François Mitterrand a malmené, n'a pas pu se décrocher complètement. Jacques Chirac, avec sa démission en 1976, est le seul à avoir su s'arracher à Valéry Giscard d'Estaing, mais institutionnellement les deux postes sont liés. D'où cette nécessité de se différencier sur le plan médiatique et dans leurs prises de paroles. C'est pour cela que Manuel Valls emploie sans cesse des propos que François Hollande n'emploierait pas (sur l'apartheid social, sur le salafisme, etc). C'est le seul moyen dont il dispose pour faire entendre une petite musique susceptible de lui servir à l'avenir. Ainsi il pourra dire qu'il a "toujours dit que", etc. Manuel Valls veut s'épargner les difficultés que rencontre François Fillon.

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