Des "pleurnicheurs"... le gouvernement sous-estime-t-il la fronde des patrons ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Bruno Le Roux s'est emporté ce vendredi 11 octobre contre la fronde des patrons qui ont brandi un "carton jaune" à l'encontre du gouvernement et de sa politique.
Bruno Le Roux s'est emporté ce vendredi 11 octobre contre la fronde des patrons qui ont brandi un "carton jaune" à l'encontre du gouvernement et de sa politique.
©Reuters

Jérémiades

Bruno Le Roux, le président du groupe PS à l'Assemblée nationale, s'est indigné vendredi sur Europe 1, demandant au patronat d' "arrêter de pleurnicher". Des propos qui font suite aux cartons jaunes brandis symboliquement à l'encontre de François Hollande mardi à Lyon par des patrons réunis par le Medef et la CGPME.

Atlantico : Bruno Le Roux s'est emporté ce vendredi 11 octobre contre les patrons qui ont brandi un "carton jaune" à l'encontre du gouvernement et de sa politique. Il a ainsi déclaré qu'il fallait "arrêter de pleurnicher" et de camper dans "une posture rétrograde". A travers ces propos, Bruno Le Roux semble donner l'impression que cette plainte relève du caprice aux yeux du gouvernement. L'Elysée et Matignon sont-ils en train de sous-estimer la colère des patrons ?

Jean- David Chamboredon: Au football, on met un carton jaune à un joueur qui commet trop de fautes... Ce dont le député Le Roux semble ne pas se rendre compte c'est le nombre d'erreurs commises par le gouvernement - corrigées ensuite ou pas - qui donne une impression d'incohérence et d'improvisation... et rend l'action du gouvernement - et donc le contexte dans lequel évolue le chef d'entreprise - totalement imprévisible... La remise en cause du statut des auto-entrepreneurs par la loi Pinel, la loi Hamon contraignant dangereusement les cessions d'entreprises, l'augmentation des cotisations retraites non compensée (à ce jour), l'impôt mort-né sur l'EBE, les atermoiements sur le travail le dimanche ou le soir... sont autant d'exemples qui font que les chefs d'entreprise, qui étaient plein d'espoir après les Assises de l'Entrepreneuriat en Avril dernier, ne comprennent plus grand chose. Le carton jaune des chefs d'entreprises veut simplement dire : stop aux contradictions !
Par ailleurs, je rencontre de nombreux entrepreneurs sceptiques, frustrés voire atterrés. J'en entends souvent râler mais pleurnicher aucun !

Hervé Joly : Chaque partie est dans son rôle dans cette affaire. Les organisations patronales, dans une certaine surenchère entre les deux organisations à la fois concurrentes et partenaires que sont le MEDEF et la CGPME, surjouent leur mécontentement à l’égard de la politique gouvernementale, parce qu’ils sentent, après le renoncement à l’imposition des excédents bruts d’exploitation (EBE), qu’il y a une opportunité d’obtenir d’autres concessions de la part d’un pouvoir exécutif affaibli. De son côté, la majorité, comme elle le ferait avec tout mouvement d’opposition à sa politique, tend à en minimiser la légitimité.

Les organisations patronales sont fondées, dans leur fonction de défense des intérêts des entreprises, à réclamer d’aller le plus loin possible dans la réduction des charges financières ou l’allégement des réglementations diverses qui affectent leur compétitivité, même si tous les secteurs économiques ne sont pas confrontés de la même manière à la concurrence internationale. Le gouvernement est fondé à défendre ce qu’il considère comme l’intérêt général dont ces charges ou ces réglementations peuvent relever, qu’il s’agisse de prestations sociales bénéficiant à la collectivité ou de réglementations visant à protéger les salariés. Les entreprises produisent les richesses du pays ; d’une manière ou d’une autre, toute imposition ou taxation est prélevée sur les marges que leur activité dégage, que ce soit directement dans leurs comptes ou par l’intermédiaire des ménages, qui sont leurs salariés, leurs clients ou leurs actionnaires. Les charges qui pèsent sur les entreprises correspondent largement à des prestations qui les exonèrent de responsabilités sociales qui pouvaient autrefois, à l’époque du paternalisme, relever de leur responsabilité (assurances maladie, chômage, retraite ; aides au logement ; éducation et formation professionnelle, etc.).

Tout le monde peut souhaiter que ces prestations soient gérées le mieux possible par des administrations efficaces, que les abus et détournements soient sanctionnés, mais les incantations à la réduction des dépenses publiques se heurtent souvent à la difficulté de savoir où trancher, droite comme gauche se montrant bien floues lorsqu’il s’agit de préciser quelles lignes budgétaires pourraient être concernées. Par ailleurs, au-delà des emportements feints de Bruno Le Roux, cette dureté renforcée du discours patronal tombe à pic pour les socialistes à l’approche des échéances électorales ; elle leur permet d’échapper à la critique de leurs partenaires/adversaires de "la gauche de gauche" selon laquelle ils mèneraient une politique de droite, à la solde des intérêts patronaux.

Jean François Roubaud, patron de la CGPME, a été jusqu'à dire "Nous nous battrons dans la rue s'il le faut pour défendre notre liberté d'entreprendre". Jusqu’où peut aller cette éventuelle fronde selon vous ? Est-on dans la coercition ou dans la mobilisation ?

Hervé Joly : La CGMPE est traditionnellement dans une logique maximaliste qui fonde son identité par rapport au MEDEF, toujours soupçonné de représenter plus les grandes entreprises qui s’en sortent mieux. Avec un nouveau président du MEDEF, Pierre Gattaz, qui tient un discours offensif, la CGPME doit en rajouter pour exister. Mais les chefs d’entreprise, à la différence des agriculteurs ou des petits commerçants de la grande époque du CIDUNATI, n’ont pas la culture des manifestations de rues et encore moins du saccage des préfectures ! Brandir sagement des cartons jaunes dans un amphithéâtre de palais des congrès, dans le cadre d’une opération de communication bien organisée, représente sûrement le summum envisageable de l’expression de leur colère. Remarquons d’ailleurs que Pierre Gattaz, qui souffle en permanence le chaud et le froid à l’égard du gouvernement, s’est empressé le surlendemain, sur l’antenne de RTL, de troquer le bâton pour la carotte en annonçant que, si les pouvoirs publics lui en donnaient les moyens, il s’engageait à ce que les patrons créent un million d’emplois nets dans les cinq ans. Un engagement qui, s’il se concrétisait, ferait bien les affaires du président sortant en 2017. Les chefs d’entreprise ne créeront pas des emplois pour faire plaisir à la gauche, mais ils ne s’abstiendront pas non plus de le faire pour faire plaisir à la droite.

Jean-David Chamboredon: Je ne crois pas qu'aucune organisation patronale pense ou souhaite avoir un quelconque pouvoir de coercition - pouvoir réservé à la puissance publique... Que la CGPME souhaite mobiliser ses adhérents est, en revanche, tout à fait légitime... La plupart des chefs d'entreprises de type TPE ou PME ont à la fois assumé le coût de la Loi de Finances et de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale de 2013 et entendu les engagements à leur encontre pris par le président de la République au cours de l'année. Ils ne comprennent pas que l'augmentation des charges sociales ou des impôts se poursuivent alors que le sujet de la non-compétitivité de l'économie française fait dorénavant l'objet d'un large consensus depuis la publication du rapport Gallois et l'écho donné à ce rapport par le gouvernement. Ils attendaient une inversion nette de tendance et ils observent déçus un "bagotage défavorable" aux entreprises...

Le même M. Le Roux a appelé à "passer de la culture de la confrontation à celle du compromis", semblant ainsi faire écho aux principe de négociation très ancré dans la culture allemande. Peut-on vraiment adopter cette culture du compromis en France ?

Hervé Joly :Cela relève d’une mauvaise perception de ce qu’est la culture allemande du compromis, qui n’exclut pas la confrontation. Ce compromis n’arrive d’abord qu’au terme d’un long processus de négociations, après des oppositions souvent théâtralisées, sur la base de revendications initiales très opposées entre chaque camp. Ensuite, les pouvoirs publics ne jouent qu’un rôle effacé dans l’aboutissement de ce compromis dans le secteur privé. Les négociations sur les salaires ou les conditions de travail sont menées par les seuls partenaires sociaux, dans le cadre décentralisé des Länder qui plus est. Les Grenelle ministériels n’existent pas à Berlin. Enfin, pour les questions qui relèvent de la responsabilité de l’État fédéral, comme la politique fiscale, il n’y a pas de culture particulière du compromis. Les différents groupes d’intérêts s’expriment et interviennent plus ou moins bruyamment, mais le gouvernement et le parlement décident à la fin.

Jean-David Chamboredon: Je le souhaite adremment. Je crois que les Assises de l'entrepreneuriat qui ne se sont emparées que de quelques sujets (comme celui des plus-values de cession qui avait justifié le mouvement des Pigeons) en sont un très bon exemple démontrant que cela est possible même en France ! Espérons que les Assises de la fiscalité se dérouleront de façon similaire... L'exaspération des chefs d'entreprises vient, je le répète, des "lapins-surprises" malheureusement trop nombreux que Bercy sort de ses chapeaux. Pour qu'il y ait compromis, il faut qu'il y ait eu concertation au préalable... C'est, à ma connaissance, loin d'être le cas sur les sujet évoqués précédemment.

A quelles conditions ?

Jean- David Chamboredon:C'est assez simple. Com-pé-ti-ti-vi-té !
Améliorer la "compétitivité-coût" implique de baisser le niveau de charges, taxes et impôts pesant sur les entreprises et, sans aucun doute parce que cela ne coûterait pas cher à l'Etat, de simplifier notre code du travail qui entrave à la fois les embauches et le bon fonctionnement des entreprises.
Améliorer la "compétitivité hors-coût" veut dire faire redémarrer l'investissement "productif" qui est en panne faute de marges d'exploitation suffisantes ou de capitaux frais encouragés à s'investir, par exemple, par un bon guidage l'épargne des Français.
Ceux qui croient qu'un simple soutien de la demande pourrait suffire à relancer l'économie du pays se trompent lourdement...

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !