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Des paroles et des actes : les paradoxes d’une "gauche de la gauche" plurielle
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Les trois mousquetaires

Cécile Duflot (Europe Écologie Les Verts) et Benoît Hamon (Parti Socialiste) Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche) ont cherché à donner à voir hier soir jeudi 4 décembre au public de l'émission "Des paroles et des actes", et donc peut-être aussi aux électeurs, la compatibilité entre les trois forces politiques représentées sur le plateau de France 2.

Sébastien Repaire

Sébastien Repaire

Sébastien Repaire est enseignant à Sciences Po. Agrégé d'histoire, il est spécialiste de l'évolution des mouvements d'écologie politique. 

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Règle verte, économie de la mer… C’est une image "reverdie" que Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche) a donné de lui-même sur le plateau de l’émission de France 2 Des paroles et des actes ce jeudi 4 décembre, aux côtés de Cécile Duflot (Europe Écologie Les Verts) et Benoît Hamon (Parti Socialiste). L’enjeu était de taille : donner à voir au public, et donc peut-être aussi aux électeurs, la compatibilité entre les trois forces politiques représentées sur le plateau. Car c’est bien d’un rapprochement qu’il était question, face à des enjeux présentés comme historiques : "Un intérêt humain est sur la table", s’est avancé Jean-Luc Mélenchon, offensif sans excès. En tout cas, depuis 1997 et la formation de la Gauche plurielle (Parti socialiste, Parti communiste, Verts), la gauche française n’avait plus connu de reconfiguration d’une telle ampleur. Il convient ici de mettre en perspective l’alliance qui est en train de s’esquisser au regard des trente dernières années — l’âge des Verts. 

Examinons en premier lieu la position des Verts dans le dispositif. Celle-ci était résumée hier soir par la place de Cécile Duflot, assise entre Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Les Verts, marginalisés au sein de l’alliance résultant des accords qu’ils avaient conclus avec le Parti Socialiste en vue des législatives de 2012, veulent visiblement saisir l’opportunité qui leur est offerte par la situation critique du pays, de se retrouver désormais au centre d’un dispositif regroupant écologistes, socialistes « frondeurs » et gauche de la gauche. 

Déjà dans la prime jeunesse du parti écologiste, au cœur des années 1980, les Verts avaient envisagé une alliance avec l’extrême gauche, en particulier avec des dissidents du Parti Socialiste Unifié (PSU) qui refusaient la participation au gouvernement de l’une des leurs, Huguette Bouchardeau, au ministère de l’Environnement — et « de la Qualité de la Vie », selon les termes de ses premières attributions. Le mot d’ordre était alors l’autogestion, principal élément fédérateur de ces mouvements disparates qui avaient décidé de répondre à "l’Appel à la convergence des forces alternatives et écologistes" lancé par la direction des Verts — à laquelle appartenait alors notamment Yves Cochet. La tentative avait cependant échoué, en raison de l’orientation "ni droite, ni gauche" prise en 1986 par le parti, au sein duquel Antoine Waechter était devenu la figure dominante.

Mais aujourd’hui la situation est sensiblement différente. Les Verts ne sont plus une force embryonnaire — l’arbre des 2,3 % d’Éva Joly à la présidentielle de 2012 ne doit pas cacher la forêt des 16 % obtenus aux européennes de 2009 — et leurs potentiels partenaires ne sont pas des groupuscules mal structurés mais des acteurs majeurs du paysage de la gauche. Autrement dit, c’est plutôt au processus de rapprochement entre le Parti Socialiste et les Verts à partir de 1993 — dans le cadre notamment des "Assises de la transformation sociale" pilotées par Jean-Christophe Cambadélis — qu’il faudrait comparer la convergence en train de s’esquisser. La comparaison aurait moins de pertinence si la gauche du Parti Socialiste était absente des discussions en cours. Or, la présence hier soir de Benoît démontre l’implication pleine et entière de cette famille politique.

Ce rapprochement, s’il devenait effectif, scinderait définitivement la gauche française en deux pôles clairement antagonistes : d’un côté, les partisans de la régulation du marché et de l’intervention de l’État dans l’économie ; de l’autre, ceux qui se sont ouvertement ralliés à l’orthodoxie libérale et à la réduction des dépenses publiques. Il est d’ailleurs remarquable que les questions de sociétés, qui font globalement consensus entre les trois forces représentées hier, n’aient pas été mises en avant — sans doute parce que, sur ce point, il n’y a guère de différence avec l’inclination générale de la politique voulue par le président Hollande, au crédit duquel Cécile Duflot a bien rappelé hier qu’elle mettait l’avancée du mariage pour tous. C’est sur le plan des questions économiques, et elles seules, que les potentiels nouveaux alliés ont décidé d’attaquer le gouvernement.

Pourtant, et c’est là un paradoxe remarquable, les trois familles politiques représentées par Jean-Luc Mélenchon, Cécile Duflot et Benoît Hamon, présentent des différences, voire des antagonismes, évidents sur les questions économiques. Tandis que Benoît Hamon a hier prôné la défense de la souveraineté économique — "ce n’est pas le nationalisme" précise-t-il — et une politique "qui ramène un peu de croissance", on connaît l’attachement des Verts à la fois au dépassement de la forme politique de l’État-nation et à la thématique de la décroissance et de l’antiproductivisme. Le rapprochement pourrait également achopper sur les questions de politique industrielle, même si les trois invités se sont efforcés de souligner les liens entre transition écologique et relance de l’activité industrielle — notamment Jean-Luc Mélenchon qui a évoqué un nécessaire changement de "modèle de civilisation". Le problème, épineux, de l’avenir d’une coalition fondée sur des cultures politiques aussi différentes a fourni aux journalistes de l’émission des questions attendues et nombreuses.

Dans les éléments mis en avant par les trois partenaires pour démontrer leur proximité politique, il est remarquable qu’émerge une forme de mémoire commune essentiellement issue de l’expérience de la Gauche plurielle : "Les 35 heures, ça c’était quelque chose", a lancé un Jean-Luc Mélenchon inhabituellement nostalgique. Et, en effet, la réduction du temps de travail était alors un point de convergence important même si le sens donné à la loi n’était pas exactement le même selon les composantes de la Gauche plurielle : l’amélioration des conditions de vie des salariés pour la gauche socialiste et communiste ; pour les Verts un pas vers une société moins productiviste et plus "conviviale" — si l’on peut emprunter ici ce terme à Ivan Illich, l’un des grands penseurs de l’écologie politique dans les années 1970. 

Ayant déjà un passé commun, reste à savoir si les trois forces politiques représentées hier construiront ensemble leur avenir politique.

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