Des fossiles vieux de 74 000 ans montrent la remarquable adaptabilité d’humains alors confrontés à l’impact climatique d’une explosion volcanique cataclysmique<!-- --> | Atlantico.fr
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Un archéologue étudie des crânes humains lors d'une mission archéologique en Égypte, le 17 janvier 2021 (image d'illustration)
Un archéologue étudie des crânes humains lors d'une mission archéologique en Égypte, le 17 janvier 2021 (image d'illustration)
©KHALED DESOUKI / AFP

Découverte

Le site de Shinfa-Metema 1, vieux de 74 000 ans et situé dans les basses terres du nord-ouest de l'Éthiopie, nous livre des informations cruciales quant à l'adaptabilité des être humains qui vivaient dans la région.

Jean-Paul Demoule

Jean-Paul Demoule

Professeur émérite de protohistoire européenne à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne, Jean-Paul Demoule a créé puis présidé l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Il est l'auteur de chroniques rédigées pour la revue Archéologia, à l'origine de ce livre, et a récemment codirigé Une histoire des civilisations (La Découverte/Inrap).

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Atlantico : Une étude portant sur des fouilles entamées en 2002 par une équipe de paléoanthropologues en Éthiopie à découvert des ossements d'animaux fossilisés, considérés comme des indicateurs probants de la présence passée de populations anciennes à cet endroit. Alors, qu'apporte cette étude récemment publiée dans Nature ? Que révèle-t-elle sur ces anciens habitants de l'époque ?

Jean-Paul Demoule : En réalité, trois éléments sont abordés dans cet article et si l’on veut être publié dans Nature, on a tendance à insister sur l'aspect spectaculaire des découvertes. Trois sujets sont ainsi évoqués : la célèbre éruption du volcan Toba, les premières pointes de flèches de l'histoire mondiale, et l'adaptation des êtres humains ainsi que leur possible migration le long des cours d'eau pour quitter l'Afrique.

Il est important de rappeler que les Homo sapiens, semblables à vous et moi, sont apparus il y a environ 300 000 ans. Entre 100 000 et 150 000 ans, les premiers sapiens ont commencé à quitter l'Afrique, une région jusqu'alors exclusivement peuplée par cette espèce. Remontant encore plus loin dans le temps, les Homo erectus, ainsi nommés en raison de leur bipédie totale et de leur posture droite, ont également quitté l'Afrique pour évoluer.

En Europe, les Homo erectus ont évolué pour devenir les Néandertaliens, tandis qu'en Asie, d'autres groupes, tels que les hommes de Dénisova, ont émergé. Ceux qui sont restés en Afrique sont devenus les Homo sapiens.

Cela se situe il y a environ 300 000 ans. Ainsi, certains de ces Homo sapiens ont progressivement quitté l'Afrique pour atteindre l'Europe, l'Asie, et même l'Amérique, approximativement 25 000 ans avant notre ère. Ceci constitue le premier point.

Le deuxième point concerne l'éruption massive du volcan Toba, survenue il y a environ 74 000 ans à Sumatra. Il s'agit probablement de l'une des plus grandes éruptions volcaniques des derniers millions d'années, dont les cendres ont été retrouvées dans de nombreuses régions. Les débats persistent quant à savoir si cet événement a provoqué un hiver volcanique de plusieurs années, entraînant la disparition d'une grande partie de la population humaine. La question de l'ampleur de cette catastrophe reste donc ouverte. Néanmoins, étant donné la présence généralisée de cendres de Toba, il est certain que cet événement a eu un impact considérable.

Cette éruption a conduit à la découverte de pointes taillées par des Homo sapiens, semblables à nous, interprétées comme des pointes de flèches. Cette découverte est d'une importance capitale, car jusqu'à présent, on pensait que l'utilisation d'arcs et de flèches remontait au Mésolithique, il y a environ 8 à 10 000 ans, à la fin de la dernière période glaciaire en Europe. Il existe néanmoins un débat sur la question de savoir si cette pratique n'existait pas déjà auparavant, remontant éventuellement à 20 000 ans, pendant la période dite solutréenne. Identifier une pointe comme étant destinée à la fabrication de flèches nécessite des examens minutieux au microscope pour déterminer son origine et ses caractéristiques de fabrication. Par conséquent, des débats persistent concernant ces pointes très anciennes.

En somme, bien que l'on ne puisse pas affirmer avec certitude que l'utilisation de pointes de flèches remonte à 20 000 ans, cette nouvelle découverte suggère qu’elles seraient bien antérieures à cette période, et remontant à 74 000 ans. Ces Homo sapiens étaient déjà très semblables à nous, bien qu'ils aient émergé il y a 300 000 ans, même si leur évolution se poursuivait lentement.

Cette remarquable adaptabilité des êtres humains face aux changements climatiques et aux événements tels que l'éruption du Toba est à souligner. À cette époque, l'Europe était plongée dans une ère glaciaire, tandis que l'Afrique traversait une période de sécheresse intense, parfois appelée le Big Dry  ("grand sec"), qui équivaut climatiquement aux glaciations en Europe. Cette période glaciaire, résultant des cycles de Milankovitch, a perduré de 115 000 ans jusqu'à il y a environ 10 000 ans. Les Homo sapiens ont su s'adapter à ce climat aride en Afrique et ont résisté à l'éruption du Toba, bien que les effets précis de cette éruption sur eux ne soient pas entièrement connus, il est clair que les Homo sapiens étaient une espèce extrêmement adaptable, capable de vivre dans des environnements très variés, et ont même contribué à la sixième extinction massive des espèces. Cette adaptabilité constitue une preuve supplémentaire de l'extraordinaire capacité d'adaptation de notre espèce, à l'exception notable des bactéries, parmi la plupart des formes de vie sur Terre.

Pensez-vous que c’est une découverte révolutionnaire ? 

Non, ce n'est pas totalement révolutionnaire. Il y a deux éléments à comprendre. Premièrement, nous sommes confrontés à une période extrêmement sèche en Afrique, où l'adaptation est possible presque partout. Deuxièmement, l'impact du Toba reste largement débattu ; certains affirment qu'il a agi comme un véritable goulot d'étranglement pour l'humanité, tandis que d'autres contestent cette théorie. Ce débat demeure ouvert, mais il est indéniable que les humains de cette époque étaient incroyablement adaptables.

Pour ma part, ce qui a le plus attiré mon attention, c'est l'aspect des pointes de flèches. Bien qu'il soit difficile d'arriver à une conclusion définitive, les chercheurs eux-mêmes admettent que ces pointes pourraient également avoir été utilisées par des enfants pour la pêche, plutôt que pour la chasse. Ce serait lié à la concentration des humains le long des cours d’eau dans le cadre de cette période de grande sécheresse. 

La question de l'arc reste sujette à débat. En effet, il existe trois principales méthodes pour lancer une arme : l'arc, le lancer à la main, ou l'utilisation d'un propulseur, ce dernier étant largement documenté dans l'Europe préhistorique et ayant été utilisé pendant longtemps par les aborigènes australiens. Sachant cela, il est difficile de déterminer exactement comment ces petites pointes étaient utilisées. Les chercheurs émettent l'hypothèse qu'étant donné le contexte très sec et la possible disparition des gros animaux, ces pointes étaient peut-être utilisées pour la pêche.

Dans ce cas, il n'était pas nécessaire de viser à longue distance. À partir de là, l'idée émerge que les déplacements potentiels des sapiens sortant d'Afrique, étant donné la localisation en Afrique du Nord-Est, auraient pu se faire le long des cours d'eau. Ce raisonnement est en partie induit par l'éruption volcanique.

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