Des “dizaines de Merah et de Kelkal en France”... : comment ramener à la raison un individu sur le point de sombrer dans le jihad ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Quelques centaines de salafistes prônent la violence et sont surveillés par les renseignements.
Quelques centaines de salafistes prônent la violence et sont surveillés par les renseignements.
©Reuters

Au bord du gouffre

Le porte-parole de Mokthar Belmokthar a prévenu la France que la prise d'otages d'In Amenas n'était que le début et que nous devions nous attendre à "avoir des dizaines de Mohamed Merah et de Khaled Kelkal". D’après les spécialistes, il existerait entre 5 000 et 8 000 salafistes en France. Comment peut-on en amont prévenir qu'ils ne sombrent dans le fondamentalisme ?

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar est directeur d'études à l'EHESS et chercheur au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (Cadis, EHESS-CNRS). Il a publié de nombreux ouvrages dont La Radicalisation (Maison des sciences de l'homme, 2014), Avoir vingt ans au pays des ayatollahs, avec Amir Nikpey (Robert Laffont, 2009), Quand Al-Qaïda parle : témoignages derrière les barreaux (Grasset, 2006), et L'Islam dans les prisons (Balland, 2004).

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Atlantico : D’après les spécialistes, il existerait entre 5 000 et 8 000 salafistes en France. Quelques centaines d’entre eux prônent la violence et son surveillés par les renseignements. Comment identifie-t-on sur le terrain et à leur contact au quotidien des individus sur le point de sombrer dans le jihad ?

Farhad Khosrokhavar: Par le passé, les intégristes étaient faciles à identifier par leur accoutrement et leur attitude ( barbe longue, discours politique ouvertement fondamentaliste). Aujourd'hui, ils sont beaucoup plus discrets et introvertis. Il ne font pas pousser leur barbe et ne font pas preuve de prosélytisme dans l'espace public. Ils sont dans le retrait ce qui les rend beaucoup plus difficiles à identifier même pour leurs proches. Ils dissimulent à leur famille et leur entourage. Les nouveaux jihadistes sont presque invisibles. C'est une difficulté lié au succès des services de renseignements.

Toutefois, il y aussi un groupe de gens psychologiquement fragiles. Dans ce cas de figure, l'entourage peut très bien percevoir leur basculement dans l'idéologie extrémiste. Une vigilance accrue de l'entourage, des services sociaux ou des psychologue peut contribuer à révéler leurs cas, attirer l'attention des autorités et faire en sorte qu'ils soient pris en charge psychologiquement par les gens compétents. Le problème c'est que les psychologues ou les psychiatres ne sont pas toujours sensibilisés à ce type de problèmes. Pour eux, il y a seulement deux catégories de patients : les "gens normaux" et ceux qui doivent être cliniquement suivis. Ceux qui sont susceptibles de commettre des actes terroristes n'appartiennent pas à une catégorie sur laquelle les médecins se focalisent traditionnellement.

Comment inverser la machine avant qu'il ne soit trop tard ? Les parents ou les proches peuvent-ils jouer un rôle ?

Un individu ne peut pas jouer, seul, un rôle important dans la dé-radicalisation d'un autre individu, même un proche. Celui-ci doit être pris en charge par toute la famille et souvent opérer un travail de toute une vie. D'autres pays européens, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, mettent en œuvre des plans de dé-radicalisation. Ils impliquent les autorités communautaires et municipales pour essayer de résoudre les problèmes quotidiens des jeunes repérés comme potentiellement dangereux. Les Britanniques n'hésitent pas à impliquer les imams locaux, la municipalité et la famille pour réhabiliter les jeunes islamistes qui sortent de prison et pourraient basculer dans le terrorisme.Il essaient de construire des groupes tampons autour de ces jeunes pour les aider à s'intégrer et à trouver du travail.

En France, ce type de démarche est plus compliqué. Les autorités hésitent encore à entrer officiellement en contact avec les "communautés"et les imams locaux par peur d'être taxées de communautarisme. Il faudrait trouver des solutions intermédiaires de cette nature. C'est dans les programmes de dé-radicalisation, qui ont été mis en œuvre dans beaucoup de pays, qu'il faut chercher des solutions. Malheureusement, en France, on se méfie de ces programmes là au nom d'une idéologique laïque et républicaine. Il faut revenir là-dessus et voir qu'il n'y a aucune contradiction entre la laïcité et le fait de créer des programmes qui impliquent des groupes sociaux-culturels.

Qu'est-ce qui attire certains jeunes dans la spirale intégriste ?

D'abord il faut le contextualiser historiquement. Dans les années 70 et même 80, certains jeunes adhéraient à des groupes d'extrême gauche comme Action directe en France ou les Brigades rouges en Italie. Ils avaient une possibilité d'expression de leur radicalité au sein de groupes politiques. Ces groupes n'existent plus et la dimension anti-impérialiste et contestataire de l'islam fascine, notamment dans les quartiers populaires. L'islam comme religion des opprimés attire toujours beaucoup de monde comme je le vois en prison ou dans les banlieues. Il y a aussi un autre groupe de jeunes convertis qui s'insurgent  contre ce qu'on pourrait appeler "le féminisme occidental": l'égalité homme/ femme. Ils se sentent victimes d'une "castration symbolique." On est donc dans une configuration nouvelle où l'épuisement des idéologies universalistes laisse place à un islam radicalisé.

Dans son dernier livre, Banlieue de la République, Gilles Kepel alerte quant à la montée de l’islam en banlieue. Vous-même, vous avez montré que la prison était un creuset de l’islamisme radical. L’environnement joue-t-il un rôle majeur dans le basculement de certains individus dans une idéologie extrême ? Comment soustraire ces  derniers à leur environnement ?

L'environnement, notamment le fait que le taux de chômage dans les banlieue soit largement supérieur au taux de chômage dans le reste de la société, joue un rôle. Il n' y a pas de solutions miracles... Mais je crois qu'il faudra mobiliser les communautés musulmanes pour vaincre ce fléau, quitte à franchir la ligne jaune républicaine. Pour contrecarrer l'islamisme radical, il faudra faire émerger un islam reconnu et organisé par des autorités publiques.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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