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Tous les deux jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint.
Tous les deux jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint.
©DR

Bonnes feuilles

Le livre est un essai "total" sur la violence de la passion et celle de la domination dans le couple. Tout y est : les chiffres, les comparaisons européennes, les explications psychologiques, sociologiques, démographiques, culturelles. Extraits de "Je suis à toi, tu es à moi. Violence et passion conjugales" de Maryse Jaspard aux éditions Payot 1/2

Maryse Jaspard

Maryse Jaspard

Sociologue et démographe féministe

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« Paroles et paroles » chantait Dalida de sa voix rauque et tremblante : « Encore des mots, toujours des mots, toujours les mêmes/Paroles et paroles et paroles que tu sèmes au vent… », il parle, il parle cet homme qui me fait souffrir et que j’aime tant, c’est en substance le contenu de cette chanson d’amour perdu, désillusion du verbe, des mots. À l’encontre de l'idée reçue selon laquelle les femmes parleraient plus facilement que les hommes, l’excès de verbalisation caractérise les conjoints violents, quel que soit le récit recueilli.

En réalité, les femmes s’épanchent davantage avec des tierces personnes, dans le cadre d’un couple en situation de violence conjugale la parole est plutôt masculine ; la parole féminine est muselée, soit elle exprime sa faiblesse dans la plainte, soit elle cède, le plus simple est de se taire, d’attendre que le flot de paroles se tarisse. « À toute question il voulait que je réponde par oui ou par non même lorsque cela était impossible. Mais souvent lorsque je disais oui ou non à quelque chose, il insistait jusqu’à ce que je change d’avis, pour des choses bêtes, comme un plat au restaurant » (Léa). Jenny ne dit pas autre chose : « Dès qu’on parlait d’un sujet, j’avais toujours tort, il argumentait pendant des heures pour me prouver qu’on ne dit pas “j’aime les gens”. » Encore et toujours il argumente pour rattraper celle qui s’est échappée, non sans peine, de sa prison dorée.

L’éloquence assure la persuasion, élément important de la domination, mais la persécution n’est pas loin de la persuasion. Lucas est passé maître en matière de sempiternels reproches : « Je passe à côté de tant de choses que tu devrais me donner sans mauvaises excuses, sans choisir à mon détriment l’autre, les autres, juste par manque de courage, par douleur, peut-être par bêtise. » Bien que plus développée dans les milieux intellectuels, cette aptitude à la démonstration orale se retrouve dans tous les milieux sociaux. « Il me prend toujours la tête pendant des heures. » Version plus ancienne et plus populaire, il y a aussi les taiseux : « Il faisait partie de ces hommes, pas de discussion possible », regrette Josiane trente ans plus tard. L’absence de communication de la part des hommes est un reproche qu’expriment souvent les femmes ; le manque de verbalisation est une caractéristique plutôt masculine, mais nullement une caractéristique de la violence conjugale, violence qui peut s’exercer, presque exclusivement, par une logomachie permanente et destructrice.

De l’enquête menée en Polynésie française, il ressort que le rapport sexué au langage est une spécificité de cette population. La parole est dotée d’un certain pouvoir, pouvoir que les hommes ne détiennent pas. Les récriminations féminines, au lieu d’engager la discussion, appellent les coups. À la force de la parole répond le pouvoir masculin qui se cristallise et s’exprime dans l’usage de la vigueur physique ; ce phénomène est perceptible dans l’analyse des discours d’hommes violents, qui, tous, s’instituent victimes des agressions verbales de leurs femmes.

L’éloquence, l’échange verbal a séduit et rassuré Jenny lorsqu’elle a rencontré celui qui deviendra rapidement son persécuteur. « J’étais très angoissée, j’avais besoin de trouver quelqu’un sur qui m’appuyer. Il a été attentionné, nous avons parlé des heures au téléphone avant notre premier rendez-vous – ils se sont connus sur un site de rencontre –, on parlait de tout.

Il me disait ce que je voulais entendre. […] Il m’aimait comme j’étais. » Très vite, Jenny déchantera, le prince charmant se dénaturant en prédateur-prêcheur au terme de quinze jours de cohabitation. Les mots doux se transmutent en grossières injures, « t’es qu’une merde » conclut des heures de logorrhée nocturne devant la convaincre de son ineptie. 

Extraits de "Je suis à toi, tu es à moi. Violence et passion conjugales" de Maryse Jaspard aux éditions Payot, 2015

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