Derrière les OQTF, le maquis des allocations dont la France contrôle si mal la destination<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Intérieur est déjà sous le feu des critiques avant même le projet de loi Immigration.
Le ministre de l'Intérieur est déjà sous le feu des critiques avant même le projet de loi Immigration.
©Ludovic MARIN / AFP

Fraude

La sénatrice Nathalie Goulet est en pointe sur le sujet et a pu constater à quel point il était difficile de faire bouger le gouvernement et l’administration en la matière.

Nathalie Goulet

Nathalie Goulet

Nathalie Goulet est sénatrice de l'Orne depuis 2007. Elle a publié « L’Abécédaire du financement du terrorisme » aux éditions du Cherche Midi en 2022.
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Atlantico : Gérald Darmanin a annoncé vouloir s’attaquer aux personnes sous OQTF touchant toujours des prestations sociales. A quel point est-ce une réalité ?

Nathalie Goulet : Il y a 120 000 personnes sous OQTF en France. Elles font partie d’un sous-ensemble de personnes étrangères en France  que j’ai identifiées il y a 4 ans dans mon rapport à Edouard Philippe comme touchant toujours des prestations devenues indues. C’est la raison pour laquelle il faut que les organismes sociaux soient connectés directement à AGDREF  fichier des étrangers en France )pour qu’avant de leur donner un numéro, même un numéro d’attente, de sécurité sociale, on vérifie que les gens sont en situation régulière. Manifestement, ce n’est toujours pas fait. Voilà plusieurs PLFSS que je dépose un amendement en ce sens. Une disposition du code de la sécurité sociale fait allusion pour ne pas dire illusion , mais la preuve est faite que la vérification n’est pas faite. Être en situation irrégulière n'entraîne pas une désactivation de la carte vitale ou une révision des droits à prestation C’est une source des fraudes et de dépenses pour notre système de santé facile à évaluer ne serait-ce que pour les personnes frappées d’OQTF... affaire à suivre.

J’ai déposé un amendement conforme aux annonces du ministre Darmanin, nous verrons s'il est voté.

Qu’est-ce qui explique que ce lien et ces contrôles ne soient pas faits ?

C’est un manque de volonté politique et une lourdeur administrative. Techniquement ce n’est pas très difficile. Il faudrait que les caisses soient tenues de les faire, qu’il y ait des sanctions et un suivi précis. En France en 2022 on est capable de coupler la durée du titre séjour dans le pays avec les droits à prestations. On doit mettre en place une désactivation automatique à l’expiration des droits au maintien sur le territoire et donc à la fin du séjour régulier. Les personnes en situation irrégulières passeraient sous le régime de l’AME. Cette proposition s’applique évidement aux étudiants dont la carte vitale n’est pas désactivée à la fin de leur séjour, comme Erasmus par exemple. Aux français qui vivent à l’étranger et qui dépendent de la caisse des français de l’étranger, et pas du régime général.

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La lourdeur administrative est-elle particulièrement problématique ?

Oui. Cela fait des années qu’on demande la réforme du RNCPS (répertoire national de la protection sociale) : les rapports se succèdent et on n’arrive pas à rendre ce répertoire plus efficace. 

Que pensez-vous des propositions de Gérald Darmanin dans le cadre de sa nouvelle loi ?

Donner des titres de travail pour les secteurs en tension, ce n’est pas forcément une mauvaise idée. C’est une façon de régulariser. Mais il y a tout le reste. Il faut revoir tout le système. On procède par rustine alors que c’est un sujet sensible et important. Les questions d’immigration auraient dû être prises en considération bien plus tôt. Cela aurait peut-être évité d’avoir 89 députés du Rassemblement national.

Sur la question de la fraude fiscale et de la fraude sociale, on voit bien des évolutions, au moins dans la reconnaissance de l’existence de la fraude, on est sorti du déni. 

A quoi attribuez-vous cette prise de conscience sur des sujets que vous portez depuis un certain nombre d’années ?

La situation financière de l’Etat est calamiteuse. La situation sociale est extrêmement difficile. La société est très fracturée et il ne faut pas que les immigrés soient le bouc-émissaire de cette situation dramatique de la France. Pour cette loi, je fais confiance à Gérald Darmanin et Olivier Dussopt, ce sont des ministres sérieux. Mais la situation est véritablement compliquée.

Pourquoi vos amendements n’ont pas été retenus jusqu’à présent ? 

Sans doute car il faut plusieurs PLFSS pour les faire passer. Mais j’espère que les yeux vont se déciller. D’autant que ce n’est pas le tout de voter les textes, il faut aussi les appliquer. On l’a bien vu avec la révision du RNCPS. Les rapports sont arrivés trois ans après le vote demandant ces rapports. Nous avons des inspections d’extrême qualité, donc il n’y a pas de raisons qu’elles ne puissent pas mettre en place les dispositifs préconisés. Il faudrait tendre vers le modèle belge. Il y a un très bon partage de données rien à voir avec le nôtre. Il serait temps que l’on s’y mette.

Le non-partage des données est-il le cœur du problème ?

Cela commence par là. Il faut que les organismes communiquent entre eux. Il est anormal qu’un fraudeur et son réseau puissant procéder à 70 reconnaissances enfants dans toute la France ,et toucher les prestations !…avant de se faire remarquer. C’est anormal que l’on puisse recevoir une pension au titre de parent isolé dans le nord et en recevoir d’autres, grâce à un autre statut, dans le sud, parce que les caisses ne communiquent pas entre elles et qu’il n’ y a pas une adresse unique pour les prestations sociales come il y a un domicile fiscal.

Sur ce pont aussi j’ai déposé, en étant soutenue par tout le groupe union centriste, deux amendements visant à établir un domicile unique pour les régimes de sécurité sociale qui devrait permettre, s'il est adopté, de réduire sensiblement la fraude à la résidence, grande plaie du système. 

Il y a énormément de négligences, mais ce n’est pas difficile à les corriger. C’est une question de volonté. Il faut mettre des moyens dans l’informatique, et cela va régler certains problèmes. Lier le NIR ou les cartes vitales aux durées de séjour des étrangers en France ce serait du bon sens. 

Y a-t-il d’autres mesures qu’il vous paraît urgent de mettre en place ?

Il faut agir sur les retraites à l’étranger. J’ai travaillé avec une société Excelsium qui a estimé que parmi les bénéficiaires à l’étranger, 20 ou 30% sont en fait morts. Il y a des preuves de vie à demander et à obtenir.

Il faut un contrôle physique sur place ,nos constats pourraient le faire sinon c’est le moment ou jamais de recourir à des société d’enquêtes privées, puisque ce gouvernement goûte tant aux cabinets privés c’est le moment de bien les utiliser

 Pour les autres prestations, me gouvernement a annoncé qu’il n’y aurait plus de versement à l’étranger, tant mieux, c’était une aberration. Comment pouvait-on accepter que les prestations conditionnées à la présence en France soient versées sur des comptes à l’étranger ? Donc il y a plein de choses à faire. 

Il faut réussir à avoir un bon contrôle de l’identité à l’entrée dans le système. Vérifier rigoureusement AGDREF et les fichiers de données, connecter les cartes vitales à la durée de séjour, y compris pour les étudiants Erasmus, etc. Dans un second temps, quand cela sera fait, on pourra imaginer implémenter la biométrie. Cela coûte cher et ça ne servira à rien si nos fichiers ne sont pas en ordre. Pour l’instant, trop de gens rentrent dans nos systèmes alors qu’ils ne sont pas destinés à y être. Tout cela est faisable techniquement et dans un délai assez court. On connaît les recettes et on ne les applique pas pour des raisons politiques. On ne veut pas donner le sentiment d’une chasse aux immigrés. Mais ce n’est pas une chasse aux immigrés, simplement une chasse aux fraudeurs. 

C’est une peur de l’amalgame qui empêche d’agir ?

Oui c’est ça. Je me bats depuis au quotidien contre l’idée reçue selon laquelle la fraude fiscale serait une indignation de gauche et la fraude sociale une indignation de droite. Ce sont des indignations de finances publiques, elles ne sont ni de droite ni de gauche. Nous ne faisons pas la chasse aux pauvres ou aux immigrés. Nous voulons récupérer l’argent du contribuable. Car l’argent de la fraude c’est celui qui ne va pas aux hôpitaux, aux écoles et ailleurs. La fraude sociale est totalement évitable parce que le problème vient de nos services qui sont dépassés par les réseaux. La fraude aux finances publiques est une indignation républicaine. Le montant de la fraude est important, mais ce n’est même pas une question d’argent, c’est une question de principe.

Avons-nous les moyens financiers et humains pour faire ces changements ?

Je pense que oui. Mais pour cela il faut se creuser les méninges. Le directeur de la caisse d’assurance maladie qui a vu qu’il y avait 7 millions de cartes vitales en trop dans ses systèmes en 2013 n’a pas réagi plus que cela. J’espère en tout cas que cette fois-ci, mes amendements seront reçus avec bienveillance. J’en ai marre d’arriver chaque année comme la cousine de province avec ses confitures sous le bras au moment du PLFSS.

Les amendements à répétition que l’on appelle des marronniers budgétaires car ils tombent comme les feuilles au moment du PLFSS ou du PLF ,cette année doit marquer la fin de ces marronniers par l’adoption des dispositifs que je propose.

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