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Derrière les chiffres encourageants de créations d'emploi en France, la baisse alarmante de notre taux d'emploi
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Non inversion des courbes

Un article de Bloomberg du 25 mai évoque les différents problèmes auxquels la France doit faire face pour relancer son économie et le marché du travail, notamment sur les questions relatives à un marché du travail trop rigide, une faible concurrence au sein de l'économie, trop de taxes sur les entreprises et sur le travail. Mais l'analysé évoque également une double problématique moins "connue", ayant pour effet de voir baisser le ratio de personnes ayant un emploi par rapport à la population totale.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Entre une inadéquation d'une population immigrée à cette rigidité du marché du travail français, et un grand nombre de départs de personnes éduquées vers des destinations plus "désirables" comme Londres. Comment expliquer ce double phénomène, quelles en sont les causes et les conséquences ? 

Gilles Saint-Paul : Un marché du travail rigide favorise les « insiders », ceux qui ont déjà un travail, ce qui rend naturellement la vie plus difficile aux nouveaux entrants sur le marché du travail : jeunes, seniors, femmes, précaires, et immigrés. Par ailleurs, l’immigration de travail est sévèrement contrôlée et outre les clandestins, le gros de l’immigration est aujourd’hui constitué par le « regroupement familial ». Le marché du travail n’est pas la caractéristique française la plus attrayante pour ces personnes ; à l’inverse, la générosité de l’aide sociale constitue un appel d’air pour les personnes peu employables, ce qui est l’opposé de ce que l’on observe au Royaume-Uni ou au Canada, qui tentent de privilégier une immigration de qualité susceptible de s’intégrer au marché du travail local. En ce qui concerne le « brain drain », mon opinion est qu’il concerne avant tout des personnes superqualifiées :  innovateurs, chercheurs, entrepreneurs, etc, ce qui signifie qu’il est difficile de mesurer son impact, parce qu’il existe aussi un flux inverse de travailleurs qui, sur le papier et donc dans les statistiques, ont des qualifications équivalentes, alors qu’en réalité ils ne sont pas comparables aux sortants. L’accélération du brain drain est le prix que l’économie française paye pour l’accumulation de réglementations qui pourrissent la vie des entrepreneurs  ainsi que pour l’alourdissement de la fiscalité sur les classes moyennes et notamment les classes éduquées (ces dernières étant plus à même de s’expatrier), à travers la hausse insidieuse des charges sociales (qui compense en partie les allégements sur les bas salaires mis en place depuis les années 90) et l’érosion d’avantages fiscaux sur les revenus du capital, le quotient familial, l’assurance-vie, etc. 

Un manager du secteur de la recherche-développement me confiait que du simple fait des charges sociales, il pouvait réduire ses coûts salariaux de 35% en s’installant au Canada tout en garantissant le même niveau de vie à ses employés. 

Quels sont les enjeux relatifs aux migrants pour le marché du travail français, une problématique qui a pour conséquence de voir un écart record au sein de l'Europe entre le taux d'emploi des personnes nées à l'étranger et celle nées en France ? Comment adapter ce marché du travail efficacement à cette problématique ?

Il y a une contradiction entre avoir d’une part un marché du travail rigide qui décourage l’embauche, avec un taux de chômage élevé et d’autre part prétendre accueillir des « migrants » (dont la plupart, en ce qui concerne les vagues les plus récentes, sont entrés illégalement sur le territoire) aux qualifications fort faibles et dont beaucoup ne parlent pas français. Une flexibilisation accrue du marché du travail résoudrait partiellement cette contradiction mais cela signifierait que les salaires, notamment ceux des plus modestes, devraient s’ajuster à la baisse pour absorber les flux de migrants. Tant que ces réalités économiques ne seront pas reconnues, le débat sur les migrants ne sortira pas des mensonges humanitaires qui le caractérisent. 

Avec le Brexit notamment, Londres risque bien de mettre en difficultés les ressortissants français. De la même manière, les Etats-Unis sont devenus moins accueillants. N'est-ce pas une opportunité pour la France ? Dans ce contexte, n'y-a-t-il pas une carte  à jouer en inversant la fuite des cerveaux ? 

Dans mon secteur d’activité qui est celui de la recherche, nous avons entendu moultes professions de foi de collègues d’outre-Atlantique s’engageant à quitter les Etats-Unis en cas de victoire de Trump. En réalité, les chercheurs étant bien mieux payés là-bas qu’ici, nous n’avons observé aucune candidature spontanée d’économistes américains, ni même d’Européens installés là-bas, désireux de fuir leur pays désormais « en proie à l’extrême-droite » pour travailler au CNRS ou à l’Université. Et il en va de même des soi-disants déçus de la décision britannique de quitter l’UE. Si l’on observe un jour une inversion des flux de brain drain, ce sera parce que les USA auront mis en place une forme de préférence nationale, ou bien parce qu’ils consacreront une part plus faible de leurs ressources à la recherche et aux hautes technologies. Même si cela devait s’avérer le cas, il n’en reste pas moins que les travailleurs hautement qualifiés sont dans un marché mondial, et compareront les opportunités que leur offre la France avec la concurrence : Suisse, Singapour, Allemagne, Pays-Bas, Japon, Chine, Dubaï, etc. Du fait de la mondialisation, les modes de vies tendent à s’uniformiser et les cultures vernaculaires sont moins prégnantes ; en conséquence, tabler sur le « mal du pays » de certains pour inverser le brain drain relève de plus en plus du vœu pieux. Donc, pour inverser la fuite des cerveaux il faut offrir des conditions de vie et de travail au moins égales à celles de la concurrence. Pour l’instant, je ne crois pas que nous en prenions le chemin, du fait de la détérioration de la qualité de la vie et de celle du système éducatif (voir les résultats récents du classement PISA), et du fait qu’à terme la fiscalité sur les classes moyennes est appelée à s’alourdir parce qu’aucune réduction durable des dépenses publiques, malgré leur niveau exceptionnellement élevé, ne semble se profiler. 

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