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Derrière la crise migratoire à la frontière Pologne /Biélorussie, la pression grandissante de la Russie sur l’Europe
©LEONID SHCHEGLOV / BELTA / AFP

L’ombre Poutine

Si le dictateur biélorusse joue sa propre partition pour dissuader l’UE de soutenir son opposition démocratique, les évènements actuels révèlent aussi une nouvelle escalade dans le conflit hybride qui oppose la Russie à l'Occident et qui comporte des dimensions politiques, énergétiques, sécuritaires et informationnelles.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Depuis le mois d’octobre de nombreux migrants se pressent à la frontière polono-biélorusse pour passer vers l’Union-européenne. Une vague migratoire que semble instrumentaliser l’homme fort de la Biélorusse : Alexandre Loukachenko. En poussant les migrants vers l’ouest de l’Europe, que cherche à faire le président biélorusse ? Voit-on ainsi une autre marche franchie dans l’escalade entre la Pologne et la Biélorussie ? 

Florent Parmentier : Depuis maintenant plusieurs mois, le pouvoir béilorusse met en place une réponse aux sanctions européennes, en cherchant  déstabiliser le voisin polonais. La Pologne fait partie des Etats-membres de l'Union européenne parmi les plus actifs pour envisager un changement de régime à Minsk, après les élections du 9 août 2020, qui ont vu le Président Loukachenko perdre l'assentiment populaire, martyriser sa population et de fait devenir un pariah international. 

En regardant la manière dont certains pays dans le voisinage de l'Europe fonctionne, il a décidé de créer sa propre filière migratoire en provenance des pays du Moyen-Orient pour attiser les peurs de l'opinion publique polonaise. En effet, les dirigeants du groupe de Visegrad (Pologne et Hongrie notamment) avaient marqué leur désir de refuser la solidarité européenne par le partage des migrants lors de la crise migratoire de 2015-2016, chauffant les opinions publiques à blanc. 

Dans ce contexte, il faut se rendre à l'évidence : il y a bien une crise humanitaire en gestation, mais c'est une menace créée par le régime biélorusse, qui utilisera la réponse des Polonais dans sa propagande : où sont les droits de l'Homme et le droit d'asile quand les migrants sont refoulés et disparaissent dans la forêt ? Il s'agit donc d'une action à dessein.  

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Loukachenko bénéficie-t-il d’un accord tacite ou explicite de Vladimir Poutine ? Pourrait-il se comporter de la sorte si le président Russe s’opposait à ces manœuvres ? 

L'option politique qui a été choisie vient de Loukachenko. Mais Vladimir Poutine regarde avec intérêt la situation, pour plusieurs raisons. D'abord, il veut donner un exemple du "deux poids deux mesures" qui caractérise selon lui les diplomaties des Européens et des Américains. Les droits de l'Homme ne sont pas une valeur intangible quand il s'agit d'accueillir des migrants dans un pays qui n'en a pas la tradition. Les autorités russes rappellent également que ces migrants sont le fruit des interventions américaines au Moyen-Orient depuis une trentaine d'années ; ce n'est donc pas Moscou, mais Washington qui serait, dans le discours officiel russe, responsable de la crise actuelle. Enfin, la Russie dit ne pas se désintéresser de la crise, rappellant que ces migrants pourraient aussi choisir de se rendre sur la frontière Est de la Biélorussie, à savoir en Russie. 

Sans qu'il soit à l'origine de cette crise, celle-ci est donc également pour Vladimir Poutine l'occasion de tester la résistance des Européens à la pression et leur capacité à s'unir face à une menace inquiétant au premier chef les opitions publiques. C'est le régime biélorusse qui joue sa survie, pas le russe.

La Russie et ses alliés sont-ils en train petit à petit d’attaquer l’Union-européenne sur ses points faibles tels que la crise migratoire, l’énergie ou sur le plan géopolitique ?

Il est certain de les régimes russe et biélorusse connaissent des remises en cause de leur légitimité, qui ne peuvent se manifester dans les urnes, et qui se manifestent donc dans la rue pour les protestataires et dans une politique étrangère plus agressive pour imposer des rapports de force. Afin d'améliorer son rapport de force, la Russie essaie donc de tester des terrains où elle peut avoir un avantage, avec des enjeux différents. La question énergétique est en partie une question économique, ce qui n'est pas le cas de la crise migratoire. La Russie effectue parfois des manoeuvres militaires, et il était craint au printemps qu'une déstabilisation prenne place dans le Donbass. Cela n'a pas été le cas, mais la menace a été considérée très sérieusement. 

La crise migratoire est une nouvelle occasion de tester la cohésion des Européens sur un problème vital. On peut s'attendre à ce que le récit donné par les médias financés par l'Etat russe (RT, Sputnik) soit substantiellement différent des autres. La crise n'est en tout cas pas encore achevée et peut durer un certain temps, les camps de réfugiés étant hélas bien souvent partis pour s'inscrire dans la durée.

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