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Derrière l’annonce d’une entreprise chinoise du clonage de 100 000 vaches, une stratégie pour familiariser l’opinion aux manipulations génétiques
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Apprentis sorciers

De Dolly au phénomène du Pet Cloning, en passant par la récente annonce faite par la société chinoise Boyalife Group's, les techniques du clonage animal n'ont cessé d'évoluer tendant vers son industrialisation. Quant au clonage humain, celui-ci est réalisable sur le plan technique depuis 2013. En l'absence d'un consensus international sur l'interdiction du clonage humain, des dérives sont à craindre, tant le clonage humain touche à la question essentielle du vivant, aux frontières avec la métaphysique.

Alexandra Henrion-Caude

Alexandra Henrion-Caude

Dr Alexandra Caude est directrice de recherche à l’Inserm à l’Hôpital Necker. Généticienne, elle explore les nouveaux mécanismes de  maladie, en y intégrant l’environnement. Elle enseigne, donne des conférences, est membre de conseils scientifiques.

Créatrice du site internet science-en-conscience.fr, elle est aussi l'auteur de plus de 50 publications scientifiques internationales. Elle préside l’Association des Eisenhower Fellowships en France, et est secrétaire générale adjointe de Familles de France.

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Atlantico : L'entreprise chinoise Boyalife Group's s'apprête à lancer ses activités de clonage d'animaux, principalement de chiens. Quelles utilisations sont faites de ce type de clonage ? Les techniques se sont-elles améliorées depuis Dolly ? 

Alexandra Henrion CaudePour commencer, revenons sur l'historique de Boyalife Group's : il s'agit d'une entreprise créée par Sooam Biotech, société coréenne dirigée par le fameux Hwang Woo-Suk, le premier scientifique à avoir annoncé des clonages à corps et à cris, une personnalité terrifiante sur le plan scientifique, faite de falsifications et de mauvais traitements infligés à ses collaboratrices. Ses principaux travaux sur des manipulations d’embryons clonés, pour en dériver des cellules souches, annoncés en 2005, se sont avérés être une imposture. Par ces liens entre les deux sociétés, il convient de faire attention aux déclarations de Boyalife Group's, d'autant plus que l'an dernier, l'entreprise annonçait avec fracas avoir réussi à cloner trois chiots tibétains de pure race ; or, dans l'annonce faite il y a peu, ils annonçaient le clonage de 100 000 embryons de vaches par an. On est clairement là sur un nouvel effet d'annonce pour faire monter la valeur de l'entreprise et familiariser le public avec le clonage.

Il faut être extrêmement vigilant dès qu'il est question d'industrialiser un processus biologique. La voute de toute industrialisation du clonage repose sur l'obtention d'ovocytes. Ces derniers constituent la cellule œuf que la femelle fournit. Cette dernière a un nombre fixe d'ovocytes pour sa vie. La sur-stimuler hormonalement va lui faire produire plusieurs ovocytes d'un coup. Cela implique donc une exposition de l'animal au danger d'une surcharge hormonale, mais aussi à celui de l’intervention pour récupérer ses ovocytes ou ses ovaires: une intervention qui est lourde. A chaque fois donc, pour récupérer des ovocytes, c'est la vie d'une femelle qui est en jeu. L’annonce signifiie que Boyalife Group's est prêt à mettre en danger 20 000 vaches pour récupérer leurs ovocytes (environ 7 par vaches, dont 5 qui seront transférables) pour escompter les 100 000 embryons… Quel en est l’intérêt ?

En tant que scientifique, je n'ai jamais réussi à concevoir l'intérêt du clonage, qu'il soit animal ou humain. Les raisons invoquées sont celles de la reproduction des qualités d'un animal. Or, là encore, c'est un coup d'annonce car on sait qu'un animal cloné ne peut jamais être identique à l'animal dont on a récupéré le matériel génétique.

Il convient de rappeler, à propos du clonage animal, le marché qui a été constitué dans les années 2003-2004 sur les animaux domestiques : le Pet Cloning, développé aux Etats-Unis, permettait de cloner son chien ou son chat pour la somme de 100 000 dollars. On a eu toutes sortes de résultats bizarres, au niveau du pelage notamment (des chiens jaunes pour un chien initialement noir et blanc), mais aussi sur le sexe : on clonait un mâle et on se retrouvait avec un chien femelle, un phénomène encore inexpliqué à ce jour. On atteint là les limites dramatiques de la biologie car comme je le disais, le clonage animal porte atteinte à la vie de l'animal : cela a déjà été démontré avec la brebis clonée Dolly, qui subissait notamment un vieillissement accéléré. 

Dans sa déclaration, la société Boyalife Group's a surtout affirmé qu'elle ne mettrait pas ses technologies de clonage animal à profit du clonage humain. Quelles sont les avancées réelles, sur le plan technique, accomplies dans le clonage humain ? Est-on vraiment en mesure de cloner des humains aujourd'hui ? N'y-a-t-il pas un dispositif juridique encadrant strictement ces activités de clonage, voire même les interdisant ? 

En premier lieu, Boyalife avait, au contraire, suggéré que l'entreprise était dans une logique d'être la 1ère entreprise à produire des clones humains dès que ce serait légal et approuvé par le public. Face au tollé de cette suggestion, notamment du côté américain, ils ont finalement annoncé qu'ils ne le feraient pas.

Techniquement, nous sommes tristement capables de réaliser le clonage humain, et ce depuis 2013. Trois équipes y sont parvenues, trouvant la recette manquante jusqu'alors au clonage humain.

Sur le plan légal, et tout particulièrement en France, on se croit protégé juridiquement contre le clonage, alors que c'est faux. L'article 16-4 du Code civil français déclarait, le 6 août 2004, que "Toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite",  précisant au début que "Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine". L'article poursuit : "Est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée". Avant même de continuer, on peut s'arrêter là, car je disais plus haut que génétiquement, l'être cloné n'est pas identique à la personne clonée : on peut donc commencer à jouer sur les mots dès ce stade. Mais nous n'avons même pas besoin de jouer sur les mots car il est précisé à la fin de cet article 16-4 la chose suivante : "Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne". A partir du moment où vous ajoutez cette précision, cela signifie pour les scientifiques que nous sommes et que je suis, que vous entérinez l'autorisation de pratiquer le clonage humain ; d'autant plus qu'il a été autorisé en 2011 à travailler sur des embryons humains à des fins de recherche et de traitement des maladies génétiques. Autrement dit, nous n'avons plus aucun frein dans la législation française actuelle pour ne pas pratiquer nous-mêmes le clonage humain.

A l'échelle internationale, il n'y a pas non plus de consensus d’interdiction. Ce que je viens de dire sur la législation française a été, hélas, entériné au niveau international par la déclaration de l'ONU du 08 mars 2005 qui révèle très clairement l'absence du consensus qu’on aurait pu espérer sur une interdiction de toute forme de clonage humain. Quelques pays se sont vivement opposés à la légalisation de toute forme de clonage parmi lesquels l'Espagne, l'Italie, les USA, le Costa-Rica, etc. mais pas la France, vous l'aurez remarqué, et ce à cause de la précision contenue dans l'article 16-4 précédemment invoqué. 

Quelles sont les perspectives offertes par le clonage humain ? A l'opposé, quelles sont les inquiétudes qu'il peut susciter ?

En tant que scientifique, je suis terrifiée par le clonage humain car j'estime de notre honnêteté intellectuelle et de notre humilité sur l’état de notre compréhension du vivant de dire à nos concitoyens que nous ne savons toujours pas identifier toutes les forces qui soutiennent la vie. Lorsque vous voyez une petite graine de pissenlit être capable de défoncer du bitume pour pousser avec sa petite tige, j'aimerais qu'un scientifique me liste toutes les forces mises en jeu pour rendre capable cette petite graine d'une telle chose. On touche là au problème même de la vie, que nous n'avons toujours pas résolu sur le plan biologique : où se situe cette force vitale ? Dans quelle molécule ? Dans quelle force ?

Lorsque des scientifiques font de la biologie synthétique, c'est-à-dire lorsqu'ils essaient de créer du vivant, systématiquement, ils doivent prendre un écrin. Cet écrin peut être une bactérie, ou le fameux ovocyte dans le cas du clonage. Car si nous n'avons pas cet écrin pour réceptionner l'information génétique, on n'obtient pas du " vivant ". Un exemple : le virus pourrait être considéré comme un écrin sauf qu’il n'est pas capable de se reproduire ; il a son information génétique propre mais pour autant, la biologie le définit comme n’étant pas vivant car il ne dispose pas de cet écrin qui le rend capable de se reproduire. J'en reviens donc à cette question de la force vitale qu'aucun scientifique n'est encore capable de définir de façon satisfaisante. En fait, le clonage annihile toute reproduction car il prend le matériel génétique d'une personne pour le réinjecter dans l'écrin de l'ovocyte : il n'y a donc plus de reproductionchez l'homme en l'occurrence entre un patrimoine génétique mâle et un patrimoine génétique femelle, qui normalement se mélangent pour créer un individu unique au monde… Car c’est cela un être humain : un individu totalement unique : unique du temps de son vivant comme à travers toutes les générations !

Des dérives de l'utilisation de telles techniques de clonage humain sont-elles à craindre ? De quelle nature pourraient-elles être ? 

Quand on ne sait pas à quelle force on touche, puisqu'on n'a pas compris comment la matière est vitalisée, forcément, si l’on poursuit, c’est que l’on franchit une ligne rouge, ce qui va à l’encontre de toute démarche scientifique. Ainsi sur le plan scientifique, nous devons poser des hypothèses. C'est indispensable en sciences car même si ces hypothèses sont fausses, elles permettent de mettre en œuvre un protocole expérimental qui permettra de comprendre la validité ou non de l'hypothèse de départ, et donc de comprendre comment le vivant fonctionne. Avec le clonage animal, nous avons suffisamment pu observer d’avertissements quant au franchissement de cette ligne rouge pour stopper là nos agissements et choisir de progresser dans notre connaissance scientifique plutôt que de continuer à détruire

Avant même d'être techniquement envisagé, le clonage humain a toujours été craint, dans une sorte d'inquiétude sur le sort de l'être humain comme pour les mélanges hommes-animaux. Ce sont deux craintes que l'on retrouve dans de très nombreuses civilisations anciennes. Il y a là comme une sagesse chez l'homme qui sent qu'il touche à une frontière métaphysique qui le dépasse. Le Professeur Axel Kahn disait "quand naît le début d'une vie humaine, là le biologiste se tourne vers le théologien qui, comme nous venons de l'entendre, n'a pas de réponse plus claire que lui". Cette phrase qui date de 2001 indique bien qu’en touchant à des limites métaphysiques comme je vous le disais, il faut faire appel logiquement au religieux. Je ne sais pas qui donnait alors la réplique au Professeur Axel Kahn, mais il me semble intéressant que dès 1995, était précisé dans une encyclique papale que "dès que l’ovule est fécondé, se trouve inaugurée une vie qui n’est celle ni du père ni de la mère, mais d’un nouvel être humain qui se développe pour lui-même"Il semble donc parfaitement clair que pour le théologien, dès lors qu'on pratique le clonage humain, on touche au niveau le plus intime de la relation entre Dieu et sa créature.

Pour conclure, j'ajouterai que supprimer les verrous législatifs, techniques et aujourd’hui commerciaux, avec l’annonce de Boyalife, au clonage humain, ouvre la voie à la création de variétés humaines sélectionnées.Supprimer ces verrous traduit une néantisation de l'homme dans son altérité. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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