Départementales : ce 21 avril puissance 1000 qui pourrait tomber sur la gauche dès le 1er tour<!-- --> | Atlantico.fr
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Quelle ampleur va avoir la défaite ?
Quelle ampleur va avoir la défaite ?
©Reuters

Plan social à gauche

La gauche pourrait perdre 800 à 1000 cantons dès le premier tour des élections départementales de ce mois de mars. La défaite est attendue, mais pourrait être encore plus cinglante en raison du nouveau mode de scrutin. Les divisions internes du PS et un FN crédité de 30 % par les sondages n'arrangent rien.

Vincent Pons

Vincent Pons

Ancien élève de l'Ecole normale supérieure et du MIT, Vincent Pons est professeur d'économie à Harvard, affilié au CEPR, au NBER et au JPAL, et co-fondateur de la société eXplain. Twitter : @VinPons.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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  • L'ensemble des sondages et des commentaires sur les résultats des élections départementales donnent le Parti socialiste, et plus largement la gauche, perdants au profit du Front National et de l'UMP.
  • Du fait de la dernière réforme du mode de scrutin, la gauche pourrait être éliminée dans de nombreux cantons dès le premier tour des élections.
  • En effet, le redécoupage des cantons, le critère des binomes, et surtout le "ticket d'accès" au second tour relevé à 12,5% profiteront très largement à l'UMP et au Front National.
  • Par ailleurs, la gauche est pénalisée par la multiplication de ses formations : si l'UMP et le PS couvrent chacun 70% des cantons, l'UMP est le seul parti de droite dans un canton sur deux alors que le PS ne l'est que dans 12% des cas.

Jérôme Fourquet, directeur du département opinions publique à l'Ifop :

"La question que l’on entend actuellement chez les commentateurs me semble biaisée par l'habitude qu'il peut y avoir à réagir, et à penser ces élections en fonction de schémas hérités des expériences précédentes, et en l’occurrence, des deux scrutins précédents. L’ensemble des sondages montre d'ailleurs une gauche qui n'est pas aussi à la traîne qu'on pourrait le penser, et qui laissent entrevoir, avec la logique des anciens modes de scrutins : un tiers d’élus pour la gauche, la droite, et le FN. 

Or le schéma des élections cantonales connu jusqu’ici semblait dépendre d'une sorte de retour de manivelle contre le pouvoir en place : quand la droite était au pouvoir, la gauche marquait des points en retrouvant des appuis locaux, et inversement. Des départements oscillaient donc de gauche à droite.

C'est en ce sens que l'ampleur de cette vague suit aujourd'hui la logique suivante : en partant de 60 départements à gauche et de 40 à droite, les résultats rétabliront-ils une égalité à 50-50, une inversion du rapport à 40-60 pour la droite, ou au-delà ? Un peu comme si les élections de 2015 pouvaient être le retour de manivelle de l’édition de 2011 où la droite nationale avait été très sévèrement étrillée. Or ce que nous observerons sera probablement d’une tout autre nature."

Atlantico : A l'instar de Jean-Christophe Cambadélis, de nombreux commentateurs s'accordent à dire que la gauche devra subir une large défaite aux prochaines élections départementales. Pour quelles raisons le schéma politique de ces élections, et en particulier le scrutin récemment réformé, pourrait-il porter préjudice à l'ensemble des partis de gauche, et ce dès le premier tour ?

Jérôme Fourquet : Plusieurs points liés à la réforme du mode de scrutin permettent effectivement de reconsidérer l'ampleur de la défaite que la gauche pourrait devoir affronter au premier tour. Sur le plan technique, les élections ont désormais pour objet de renouveler l’ensemble des cantons en même temps, et non plus la moitié comme c'était le cas auparavant : alors que seule la moitié des positions acquises étaient menacées, aujourd'hui c'est bien la totalité d'entre-elles qui sont remises en jeu, avec des basculements départementaux grandements facilités puisque tout se joue en une fois. Une vague bleue n'aurait donc pas le même "coefficient de marée", elle ferait considérablement plus de dégâts. Un autre point de la réforme qui va dans le sens de ce que vous dites, est que l’introduction des binômes et le redécoupage des cantons rebat les cartes du capital notoriété nécessaire pour se faire élire. Aujourd’hui, en zone rurale, un canton contient souvent 3 ou 4 anciens cantons agglomérés. Le pouvoir local, ou l’équation personnelle des notables est donc dilué d'autant, et un maire chef-lieu de canton qui jouissait auparavant d’une véritable assise devra miser sur autre chose pour convaincre là où on ne le connait guère. Les binômes viennent compliquer l’équation pour une gauche divisée, et qui doit compter sur la diversité des sensibilités. 

Le deuxième élément nouveau dans ces élections, c’est bien évidemment l’importance du Front National. Le mode de scrutin à deux tours impose désormais une barrière d’entrée plus élevée qu’auparavant puisqu’elle est désormais à 12,5% au lieu de 10%. Cela veut dire que l’on sera dans la majorité des cas dans des duels, il n’y aura probablement que très peu de triangulaires. Et bien souvent, au regard des scores que l’on observe dans les sondages, le FN sera l’un des deux protagonistes de ces duels.

Vincent Pons : Les 22 et 29 mars prochains, la gauche sera défaite. L’un des aspects les plus frappants de cette défaite sera la difficulté des candidats de gauche à franchir ne serait-ce que le premier tour. A moins d’une victoire dès dimanche, les binômes arrivés en première et deuxième position dans chaque canton seront automatiquement qualifiés pour le second tour. Mais la gauche sera souvent troisième, derrière la droite et le Front National. Or le binôme arrivé en troisième position doit, pour se qualifier, dépasser un seuil de voix qui a été relevé de 10% à 12,5% des inscrits. 12,5% des inscrits, ce sont plus de 25% des suffrages exprimés si la participation est inférieure à 50%, comme ça devrait être le cas en moyenne. Le seuil de qualification pour le second tour est donc très élevé, et dans un grand nombre de cantons, la gauche sera éliminée dès dimanche.

A-t-on les moyens, à partir de cette grille d'analyse, de connaître l'ampleur de cette défaite ?

Jérôme Fourquet : Actuellement, la gauche pense que sur les 60 départements en jeu, 20 sont imperdables, 20 sont en équilibre et 20 sont d’ores et déjà perdus. Si l’on reprend leur propre gradation, le scénario catastrophe culmine malgré tout à 80 départements pour la droite et 20 seulement pour la gauche.

Mais il y a aussi la façon de perdre : il se peut tout-à-fait que ce résultat final arrive immédiatement le premier soir des élections, car la gauche n'aurait pas pu atteindre le deuxième tour. 

Les effets décrits seront d’autant plus importants que la gauche est aujourd’hui divisée face à une droite rassemblée. Le PS et l’UMP, sous les différentes étiquettes, alignent le même nombre de candidats, c’est-à-dire dans 70% des cantons environ. Sauf que l’UMP est seule en lice à droite dans un canton sur deux, alors que le PS n’est seul à gauche que dans 12% des cantons. Ce ratio est un élément clé des prévisions des résultats. Parce que même si les deux bords faisaient le même score, du fait de la division, toutes les déperditions seront autant de voix qui manqueront pour la qualification des partis de la gauche au second tour. Il n’est donc pas du tout exclu que dans la moitié des cantons, la gauche soit totalement éliminée du premier tour.

Un second chiffre : dans le sondage Ifop pour Europe 1 du début de la semaine, où nous avons pris en compte l’offre réelle, les intentions de vote sont de 30% pour le Front National, 29% pour l’UMP - la pôle position n’est donc pas tranchée puisque les divers droites font 5% - ; le PS quant à lui est à 19%, et les divers gauches à 5%. Même s’il existe des marges d’erreur, l’écart est quand même de 10 points au niveau national. Et comme l’enjeu prioritaire est d’être qualifié au second tour, c’est-à-dire, être premier ou second, l’étiage national montre qu’il est quasiment impossible à la gauche de coller au peloton. Si on projette cela sur les 2000 cantons, il n’est pas exagéré de penser que le PS perdra dans un canton sur deux s'ils est 3ème, et ce dès le premier tour. Dans le Var, et bien que le département soit déjà géré par la droite, il se peut que dans aucun canton le PS puisse se maintenir au second tour. Dans l’Aisne, aujourd’hui géré par la gauche, il n’est pas impossible que la gauche laisse sa place à la droite dans l’écrasante majorité des cantons.

Vincent Pons : Cette fois comme à chaque élection cantonale depuis au moins 2001, la gauche présente un nombre plus important de candidats que la droite dans chaque canton : 2 contre 1,3 en moyenne. Le Front National, lui, règne sans partage sur son camp : ses candidats n’affrontent un autre candidat d’extrême-droite que dans un canton sur cent. Plus un camp est divisé, plus les chances qu’au moins l’un de ses candidats obtienne un nombre de voix suffisant pour se qualifier pour le second tour sont faibles. La division plus importante de la gauche devrait donc encore réduire ses chances de se qualifier pour le second tour.

En quoi le tournant libéral du parti de gouvernement a-t-il pu contribuer à diminuer encore davantage l'union de la gauche ? 

Vincent Pons : Il ne m’appartient pas de juger ici si la politique du gouvernement a pris un tournant plus libéral qu’en début de mandat. Ce qui est certain, c’est que les espoirs placés par de nombreux électeurs de gauche dans la victoire de François Hollande sont déçus, en raison notamment de la crise économique persistante. Beaucoup d’entre eux sont donc tentés de s’abstenir, voire de voter pour un autre parti. La désaffection des électeurs des catégories les plus populaires en particulier, ces électeurs qui sont les premières victimes de la crise, rappelle la réaction au tournant de la rigueur adopté par François Mitterrand en 1983. Les travaux de Nonna Mayer par exemple montrent bien qu’alors, déjà, c’est le Front National qui en avait été le principal bénéficiaire.

Globalement, à quels résultats peut-on s'attendre à l'issue de ce premier tour ? Et en fonction des départements ?

Vincent Pons : Il faut s’attendre à une défaite importante de la gauche, au profit de la droite et du Front National. Cette défaite attendue n’est pas très surprenante : le parti au pouvoir perd presque toujours les élections intermédiaires, en France comme à l’étranger. Un an après la victoire de Nicolas Sarkozy, la droite enregistrait une défaite importante aux élections municipales et cantonales de 2008. Aux Etats-Unis, le Parti Démocrate a perdu les élections de mi-mandat de 2010 et de 2014 alors même qu’il était emmené par Barack Obama. Cette fois, cependant, la défaite en voix de la gauche devrait être renforcée par deux nouveautés du scrutin et se traduire par une défaite encore plus importante lorsqu’on fera le compte des sièges remportés par chaque famille politique. Comme on l’a vu, d’abord, le relèvement du seuil à atteindre pour se qualifier au second tour devrait éliminer la gauche d’un grand nombre de cantons dès le premier tour. En outre, l’agrandissement de la taille des cantons, suite au redécoupage, donne une prime supplémentaire au parti majoritaire.

A qui ce contexte inédit pourrait-il profiter le plus, entre le Front national et l’UMP ?

Jérôme Fourquet : Il pourrait y avoir certains endroits où des triangulaires permettraient à la gauche de se qualifier. Mais le Front républicain poserait alors des cas de conscience, et obligerait éventuellement certaines listes à se syndiquer au profit de la droite au risque de voir passer le FN. Mais je ne suis pas convaincu au regard des données arithmétiques dont nous disposons que ce cas de figure à trois binômes au second tour soit fréquent. Cependant, il serait d’autant plus douloureux de retirer les rares listes qui auraient réussi à se qualifier.

L’appareil fait des plans sur la comète d’un troisième tour : le FN sera faiseur de roi dans certains cantons comme dans les élections régionales de 1998 où la droite n’aurait gagné qu’avec l’appui des voix du Front National. Or ce qui est plausible, c’est qu’au deuxième tour il y ait beaucoup d’élus de droite, peu de FN et très peu de gauche. Vu l’hécatombe à gauche, la droite étant devenue majoritaire toute seule, elle n’aura sans doute pas besoin de l’appui du FN pour l’emporter. Dans la plupart des cas de figure la droite passera car le schéma est difficile pour le FN, avec une partie de l’électorat de gauche qui lui fera barrage en votant à droite. La gauche ne devrait obetnir que la portion congrue.

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