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Démence sénile : ces facteurs de risque largement ignorés
©MIGUEL MEDINA / AFP

Impasse

Une étude menée par l'association anglaise Alzheimer's Research Trust sur 2361 citoyens du Royaume-Uni démontre que seulement 50% d'entre eux sont capables d'identifier un facteur de risque pouvant mener à la démence.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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Atlantico : Une étude menée par l'association anglaise Alzheimer's Research Trust sur 2361 citoyens du Royaume-Uni démontre que seulement 50% d'entre eux sont capables d'identifier un facteur de risque pouvant mener à la démence. Seulement 1% des sondés sont capables d'identifier les 7 facteurs de risques et comment prévenir cette dernière. Concrètement quels sont-ils ?

André Nieoullon : S’il est un dénominateur commun à de nombreuses pathologies neurologiques, c’est bien celui de la méconnaissance par le grand public de ce qui est établi –sinon supposé- comme représentant tel ou tel facteur de risque (le plus souvent d’ordre comportemental), de maladies dont les désignations sont par ailleurs largement connues et reconnues par le plus grand nombre de nos concitoyens du fait de leur notoriété au travers des médias. A titre d’illustration, en tant que spécialiste de la maladie de Parkinson, je suis toujours frappé par le « mélange » qui se fait entre maladie de Parkinson et maladie d’Alzheimer, par exemple, lorsque l’on pose la question de ce qui caractérise l’une ou l’autre de ces maladies. Alors, s’agissant de leurs « facteurs de risque », sans nul doute une enquête qui serait réalisée dans notre pays dans les mêmes conditions que celle que vous citez au Royaume Uni, donnerait des résultats similaires, s’agissant, et cela est d’importance, de personnes non confrontées plus ou moins directement à la maladie.

Il se trouve donc la nécessité d’informer et d’informer encore, et c’est bien notre responsabilité partagée,à vous, les médias, et à nous, les chercheurs. La route est encore longue mais si la vulgarisation est noble il faut cependant dénoncer avec force l’exploitation possiblement mercantile qui se développe sur le terreau de cette méconnaissance et la détresse immense du grand public face à ces maladies. De fait, au stade actuel de nos connaissances, prétendre que l’on peut éviter la maladie d’Alzheimer, et plus généralement les démences, relève d’une telle tromperie.

En dépit de travaux récents majeurs, notamment au plan de la médecine moléculaire et de la génétique, notre méconnaissance reste immense des processus pathologiques qui sous-tendent la maladie d’Alzheimer dont les entités cliniques montrent la grande hétérogénéité, conduisant à considérer que l’on a affaire non pas à « une » maladie mais bien à des groupes de maladies voisines, sur le fond assez différenciées, ce qui amène les spécialistes à parler plutôt de démences « de type Alzheimer ». A titre d’illustration, si les formes les plus connues et les plus fréquentes touchent en général des personnes au-delà de 60-65 ans, il existe des formes beaucoup plus précoces, autour de 45 ans par exemple, et des formes clairement associées à des troubles vasculaires du cerveau, ce que l’on nomme les « démences vasculaires ». Et la notion même de « facteur de risques » n’est pas immédiatement accessible à tout un chacun…

Pour faire simple, prenons l’exemple de ce qui est considéré comme le «principal facteur de risque de la maladie d’Alzheimer », c’est-à-dire l’avancée en âge. Lorsque l’on écrit cela il faut juste savoir que le risque de développer une démence de type Alzheimer, va augmenter au fur et à mesure que l’on vieillit. Il s’agit bien d’une donnée statistique, vérifiable sur une population donnée, et qui peut ensuite être extrapolée à l’échelle d’un seul individu. Les données épidémiologiques montrent alors que plus on vieillit, plus on est susceptible d’être atteint de cette maladie ; et il est même possible d’avancer que la probabilité (il s’agit bien d’une notion statistique) de développer la maladie va atteindre des valeurs de l’ordre de une personne sur quatre vers 85 ans (c’est quasiment l’espérance de vie en France aujourd’hui pour les femmes), voire d’une personne sur trois après 90 ans. Chacun conviendra que ce type de risque n’est pas évitable et, qu’en l’état de ce que l’on peut faire, il est plutôt une fatalité.

Pour le reste, les données sont plus floues et chacun pourra considérer avec d’infini précautions toutes les assertions que l’on trouve ici et là en ce domaine. Scientifiquement, la causalité de la maladie n’est établie qu’avec de très rares mutations génétiques, conduisant d’ailleurs à des formes dites « familiales » très exceptionnelles de la maladie d’Alzheimer, dont l’une des caractéristiques principales est d’être à début précoce, c’est-à-dire débutant avant l’âge de 45 ans contrairement aux formes les plus fréquentes (celles dont on parle ici) dites « idiopathiques », ce qui signifie « sans cause connue », plus tardives. Ainsi, le fait d’avoir des antécédents familiaux ne peut objectivement constituer un facteur de risque de la maladie que s’il s’agit de l’une de ces formes rares, à composante génétique établie. De façon prudente, il est admis néanmoins que, dans tous les cas, si la maladie est effectivement une maladie d’Alzheimer caractéristique (ce qui ne représente qu’une partie seulement des états démentiels pourtant considérés comme tels…) alors le risque de développer une maladie d’Alzheimer est multiplié par 2 ou 3 par rapport à l’ensemble de la population. Voilà pour ce qui concerne les éléments les plus sérieux, scientifiquement étayés.

Quant aux autres facteurs de risque considérés comme pouvant faciliter la survenue de la maladie d’Alzheimer, pour la majorité d’entre eux leur caractérisation potentielle ne résulte que de corrélations rapportées plus fréquemment que la normale dans le vécu des malades. Pêle-mêle, pour les plus fréquemment avancés : un faible niveau d’études, la survenue de traumatismes crâniens aussi légers soient-ils, et jusqu’à une notion qui a longtemps fait référence liée à l’utilisation dans la cuisine d’ustensiles en aluminium ! Naturellement cela ne signifie pas que ces évènements ou ces comportements ne soient pas impliqués dans la survenue des démences, mais, en tout état de cause, ce ne sont pas des facteurs majeurs… et le fait d’utiliser des casseroles en fer ou d’avoir Bac+5 ne saurait constituer une « protection » contre la maladie… Sans compter d’autres types de risques possibles comme le fait de consommer de l’alcool, de fumer, d’avoir de l’hypertension artérielle ou encore de souffrir d’un diabète, dont l’incidence principale n’est certainement pas en priorité de déclencher une maladie d’ Alzheimer.

Pourtant, considérant qu’à ce stade nous sommes objectivement dans l’incapacité d’effectuer un diagnostic différentiel clair de la maladie d’Alzheimer parmi la multitude des syndromes démentiels, tout comme nous sommes dans l’incapacité totale de soigner ces maladies, il existe néanmoins une vraie source d’espoir de voir le nombre de cas de démences de type Alzheimer, sinon de décroître, au moins de ne pas évoluer plus, en dépit de la progression toujours importante de l’espérance de vie des populations. Il s’agit de prendre en compte le fait souligné plus haut que, dans la plupart des cas, les démences de type Alzheimer sont associées à des troubles vasculaires du cerveau. Alors, le fait de mieux contrôler l’hypertension artérielleet les troubles métaboliques comme le diabète, pourrait réduire le risque de survenue de démence en réduisant le risque vasculaire. Rien n’est définitif à ce stade mais selon certaines  données épidémiologiques récentes, il semble bien que partout où existe une politique de prise en charge et de prévention des risques vasculaires et métaboliques, alors le nombre de cas de démence n’augmente plus. En l’état, en l’absence de toute autre forme d’intervention possible pour réduire la survenue de la maladie, il est possible de considérer comme un espoir réel d’agir enfin efficacement, bien que très indirectement, sur la maladie. Et c’est en ce sens que certains médicaments anti-cholestérol comme les statines, ou encore certains traitements anti-inflammatoires, voire certains traitements contre le diabète, y compris l’injonction d’une activité physique soutenue, pourraient constituer des stratégies utiles pour lutter contre certaines formes de la maladie, bien plus certainement que la recommandation d’adopter tel ou tel antioxydant potentiel comme cela est tellement souvent avancé… Ces hypothèses font l’objet d’investigations.

Comment expliquer la méconnaissance autour de cette maladie et quel est le degré de désinformation autour de cette dernière ? Quels sont les idées reçues sur la démence ?

Cela a été évoqué plus haut : en l’état de nos connaissances nous ne savons rien ni des causes ni des mécanismes physiopathologiques de la maladie d’Alzheimer. Cela ne signifie pas bien entendu que nous sommes dans l’ignorance la plus totale, mais ce que je veux souligner ici c’est que toutes les informations précieuses que nous avons réunies jusqu’ici ne sont que des corrélats de la maladie et rien d’autres. Ainsi avons-nous pu établir avec certitude l’implication de telle ou telle région cérébrale, participant elle-même aux mécanismes de la mémoire comme l’hippocampe, par exemple, ou encore l’intervention de protéines anormales à l’échelon moléculaire ; telle la protéine béta-amyloïde bien connue, et la protéine tau, qui s’agrègent dans des zones particulières du cerveau où meurent les neurones. Ces découvertes fondamentales sont restées stériles pour le moment quant à la mise en place de traitements médicamenteux en dépit de centaines d’essais cliniques. Voilà la réalité. Les démences ne sont pas des fatalités et certainement une bonne hygiène de vie est susceptible de permettre d’éviter certaines formes d’entre-elles. Mais faire un inventaire à la Prévert de ces facteurs de risque reste un exercice qui ne peut être à la portée de tous. Voilà aussi pourquoi les médias ont un rôle dans l’éducation de la population, et notamment pour remettre à leur juste place les supputations et allégations plus ou moins bien intentionnées, assénées avec tellement d’assurance, le plus souvent par des non-sachant. Et à ce stade je m’interroge sur les motivations de l’Association anglaise Alzheimer’sResearch Trust dont l’enquête ne pouvait de fait qu’aboutir au résultat qu’elle dénonce, pour les raisons exposées plus haut !

Concrètement quelles sont les conséquences de cette désinformation ?

Si l’on considère,comme je l’ai souligné, que l’impact direct des comportements individuels sur la survenue de la maladie, est infime voire nul, alors on peut juste conclure que l’éducation de la population n’aura que peu d’impact sur le nombre de nouveaux cas de démence, à l’exception notable d’une bonne hygiène de vie se traduisant par une réduction des facteurs cardio-vasculaires. Rien que pour cette raison, il est dès lors nécessaire de poursuivre les politiques de prévention en ce domaine, qui seraient alors possiblement bénéfiques pour réduire indirectement les démences. La conclusion est alors en ce qui me concerne d’engager les pouvoirs publics à poursuivre cette politique « lisible » pour la population, en la focalisant sur ces aspects cardio-vasculaires et métaboliques (réduction avérée des accidents cardio-vasculaires, des accidents vasculaires cérébraux AVC, et des troubles métaboliques de type diabète), sans devoir nécessairement mettre en perspective des objectifs potentiellement plus ambitieux comme la réduction du nombre de déments, ce qui reste beaucoup plus hypothétique… Mais cela n’exclue pas, naturellement, que le jour où nous aurons identifié sans ambiguïté le ou les facteurs causaux de la maladie d’Alzheimer au-delà des très rares mutations génétiques, à la condition toutefois que ceux-ci soient « évitables », alors bien entendu il sera temps pour une campagne d’information cette fois ciblée sur la maladie. Mais, de mon point de vue, ce temps n’est pas encore venu.

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