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Défi des variants du Covid-19 : et si la planète n'avait pas d'autre choix que de se remondialiser à vitesse grand V ?
©YVES HERMAN / POOL / AFP

Individualisme meurtrier

La gestion de la pandémie a été marquée par un manque de coopération internationale, sur le sujet de la gestion des stocks de masques, tests et doses de vaccins, mais aussi sur celui de la relance économique.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : Quel effet a eu l’individualisme étatique qui a prédominé dans la gestion mondiale de la crise ? La non-coopération internationale est-elle un facteur de fragilité important, notamment de notre relance économique ? 

Cyrille Bret : Les Etats nations ont un intérêt direct une vocation évidente à privilégier la santé de leurs propres citoyens. Les institutions nationales ont pour responsabilité première de préserver leurs populations notamment en fermant leurs frontières, en préemptant des stocks de matériels médiaux et en accaparant masques, seringues et doses de vaccins. Ce « chacun pour soi » sanitaire a sa légitimité et sa force. En revanche, il est. À (très) courte vue en matière de lutte contre une pandémie mondiale. Dans la situation que nous vivons depuis plus d’un an, les défis ne sont plus nationaux ni sur le plan sanitaire ni sur le plan budgétaire ni enfin sur le plan économique. Le virus et ses mutations sont des phénomènes mondiaux qui se jouent des frontières. De même, les conséquences économiques des confinements et lockdowns nationaux se font sentir dans tous les pays. Face à des crises globales, comme le réchauffement climatique, la crise budgétaire généralisée et le besoin de vaccination, le « chacun pour soi » dessert en fait les populations nationales. En France, nous avons besoin, pour retrouver la prospérité, de pouvoir importer et exporter, de pouvoir circuler et accueillir les citoyens des autres Etats. Il est de notre intérêt direct qu’ils soient vaccinés rapidement et qu’ils soient économiquement dynamiques. En conséquence, l’individualisme national est aussi inadapté qu’inévitable.

Jean-Marc Siroën : L’effet le plus visible est la surenchère des pays pour se procurer des biens rares devenus plus qu’essentiels, vitaux. Ce furent d’abord les masques et les respirateurs, puis les tests, aujourd’hui, les vaccins et bientôt, peut-être, les médicaments.

Dans ce type de situation, la non-coopération est la pire des choses car elle conduit inéluctablement à des comportements de « free-riders », de « passagers clandestins », de la part des pays les plus riches : pourquoi accepterais-je de partager plus équitablement les vaccins au bénéfice de tous si les autres adoptent des stratégies de main basse. La tentation est d’autant plus forte que ce comportement prédateur vaut aux pays qui le pratiquent moins d’opprobre que d’admiration. Ne parviennent-ils pas à vacciner plus vite leur population ?

Dans une telle situation d’urgence et de pénurie la coopération internationale est d’autant plus difficile à organiser qu’elle n’a pas été préparée. Le risque d’une telle épidémie, bien qu’évident, a été sous-estimé. La seule organisation internationale qui aurait pu prendre le leadership, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a été dès le départ disqualifiée à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons. Les pays susceptibles de prendre le leadership – les États-Unis, la Chine,… – ont préféré jouer sur le déni et le nationalisme, voire sur l’exacerbation des rivalités, plutôt que sur la coopération.

Si l’Union européenne, avec l’initiative Covax, a bien tenté de s’associer à l’OMS et à la Fondation Bill et Melinda Gates (devenu après le départ des États-Unis le premier financeur de l’organisation) on est resté très loin des enjeux. Le résultat de cette non-coopération a été une mise aux enchères des vaccins contraignant les pays soit à accepter les conditions des laboratoires rentiers, soit à pénaliser leurs populations. À ce jeu, les pays les plus riches peuvent s’en tirer « quoi qu’il en coûte », mais pas les pays les plus pauvres où le virus, en se propageant, entretiendra la menace d’un virus mutant, possiblement plus létal.

La politique de relance économique se présente d’une manière différente. Les pays ont acquis une expérience qu’ils n’avaient pas pour les crises sanitaires. Les institutions -FMI, Banque Mondiale, Banques centrales, … ont su évoluer rendant certaines formes de coopération plus naturelles voire moins nécessaires. Dans un monde qui reste ouvert, la relance dans un pays participe en effet à la relance des autres pays et, de fait, tous acceptent aujourd’hui à la fois le déficit budgétaire et des politiques monétaires « non conventionnelles » furent-elles transitoires. Même la politique unilatérale et non-coopérative de Donald Trump n’a pas vraiment contraint la politique de relance des autres pays. Cela ne signifie évidemment pas que le niveau de coopération soit pour autant suffisant et optimum et que des conflits sur, entre autres, le commerce ou le taux de change, se soient évanouis avec la crise.

Entre mettre en œuvre une stratégie mondiale partagée et fermer les frontières pour laisser chaque nation gérer sa pandémie, n’est-on pas trop resté dans une position intermédiaire qui nous a été préjudiciable ?

Cyrille Bret : Les autorités françaises ont privilégié une « voie médiane » ou un « en même temps ». Les impératifs sanitaires (fermeture des frontières, confinements, couvre-feu) ont été modulés à la lumière des besoins politiques et des mouvements économiques. En même temps protéger et relancer l’économie; en même temps réguler les déplacements et contrôler la propagation du virus ; en même temps coopérer avec nos partenaires de l’Union européenne et s’assurer de la maîtrise souveraine des infrastructures essentielles. La France a tenu à honorer sa tradition multilatéraliste et son identité démocratique en réduisant la liberté de circuler le moins possible au vu des impératifs. Elle n’est pas seule dans ce cas : nos partenaires européens espagnols, italiens, allemands et belges ont eux aussi payé un lourd tribu à cette recherche de l’équilibre. Les régimes autoritaires ont eu moins de difficulté à imposer des politiques restrictives. Mais il en va des grands équilibres de la nation. Équilibres entre générations, équilibres entre secteurs économiques, équilibres entre couches sociales. Le « tout sanitaire » n’est ni souhaitable ni possible dans les Etats d’Europe occidentales.

Jean-Marc Siroën : A-t-on vraiment eu d’autre choix ? Ni la France, ni l’Union européenne ne peuvent définir une stratégie mondiale tous seuls et c’est peut-être pour l’avoir tenté qu’ils se trouvent aujourd’hui pénalisés par rapport aux pays qui avaient adopté sans états d’âme des politiques plus nationalistes, quitte à laisser la pandémie s’aggraver ailleurs et donc à retarder l’éradication du virus.

La pandémie est un mal public universel en ce sens qu’aucun pays ne peut y échapper à moins de fermer hermétiquement ses frontières ou d’atteindre une immunité collective par infection et/ou par vaccination.

Ces deux stratégies qui se combinent sont incertaines. La fermeture des frontières est quasiment impossible dans la durée et très coûteuse économiquement. Tout le monde a renoncé, pour le moment, à une immunité collective par infection – son coût humain est insupportable pour des résultats douteux – et si la vaccination est incontestablement efficace à court terme dans les pays qui auront les moyens de la généraliser, on ne sait pas grand-chose sur la durée de l’immunité et sa sensibilité aux « variants », c'est-à-dire aux inévitables mutations.

Si, du fait de l’insuffisante coopération internationale, on laisse le virus proliférer dans les pays les moins riches on créera un problème non seulement économique, politique et moral mais aussi sanitaire. Tant que le virus circulera à grande échelle quelque part dans le monde, le risque de mutation s’accroîtra et donc celui d’une obsolescence accélérée du vaccin et des immunités acquises.

Une stratégie mondiale coordonnée vaudrait à coup sûr mieux que le désordre actuel. Mais quelle que soit la stratégie mondiale adoptée, elle se heurterait immédiatement à des contraintes physiques et psychologiques : il est impossible de vacciner tout le monde très vite et d’éradiquer suffisamment rapidement le virus pour qu’il n’ait pas le temps de muter. Mais évidemment, plus vite on y arrivera, mieux ce sera et c’est justement ce qu’apporterait un supplément de coopération.

La mission Covax de l’OMS dessinait l’ébauche d’une coopération internationale sur les vaccins. A-t-elle donné des résultats satisfaisants ?

Cyrille Bret :  Pour le moment, les résultats de cette mission sont limitées. Elle a rassemblé 2, 4 milliards de dollars pour vacciner 1 millard de personnes. Autant dire qu’il s’agit encore d’une initiative d’appoint ou de complément aux stratégies nationales. Le multilatéralisme sanitaire n’a pas convaincu. Durant les dernières années, il a été mis à mal par la présidence Trump mais aussi par l’unilatéralisme des stratégies de puissance. La Chine, tout en déclarant défendre le système onusien, a mené une stratégie mondiale solitaire et souvent agressive. Il en va de même pour la Russie.

Jean-Marc Siroën : L’OMS est un des participants de cette initiative financée par les pays riches et des fondations privées (Bill Gates en l’occurrence). Elle vise à acheter aux laboratoires 2 milliards de vaccins avant fin 2021 dont 1,3 destiné aux pays à faible revenu ce qui permettrait de couvrir environ 20 % de la population mondiale. Décidé au printemps 2020 il s’agissait de ne pas revoir avec les vaccins la désolante « guerre » des tarmacs quand les livraisons de masques étaient déroutées vers d’autres destinations que celles initialement prévues.

Covax est la seule initiative multilatérale visant à approvisionner équitablement en vaccins l’ensemble des pays. Il serait donc désolant qu’elle échoue. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle en prend pourtant le chemin. De fait, les surenchères des pays riches qui négocient unilatéralement des contrats avec les laboratoires rendent l’objectif des deux milliards de doses « Covax » quasi impossible à atteindre. C’est bien ce que voulait dire Angela Merkel au récent forum de Davos même si l’Allemagne ne montre pas l’exemple lorsqu’elle négocie unilatéralement des « suppléments » de vaccins. Cette contradiction montre bien la fragilité d’une coopération fondée sur la mutualisation des achats de vaccins.

L’hypocrisie est d’ailleurs partout : ceux qui regrettent une surenchère des riches qui prive les pauvres de vaccins sont souvent les mêmes qui érigent les pays les plus prédateurs – Israël, les États-Unis… – en modèles dont on ferait bien de s’inspirer…

Le FMI, l’ONU, l’OMC et les différentes instances internationales créées après 1945 ont-elles suffisamment joué leur rôle pendant la crise ? Leur renforcement ou réforme sont-ils la seule solution pour éviter un désastre sanitaire et économique mondial ? 

Cyrille Bret :  Je le regrette, les institutions multilatérales ne sont pas des acteurs de premier plan dans cette pandémie. Seule l’Union européenne a pris des initiatives coordonnées en matière de commandes de vaccins, de plan de relance et de facilités bancaires. A l’heure de la crise, le système onusien et les institutions de Bretton Woods, affaiblies depuis longtemps, ont révélé leurs limites. Les citoyens se sont tournés vers les Etats nationaux pour exiger une protection sanitaire. Pas vers les institutions multilatérales.

Jean-Marc Siroën : La crise du multilatéralisme et des institutions qui l’incarnent ont précédé la crise de la Covid et… l’élection de Donald Trump. La réforme de l’OMC et de l’OMS sont des sujets sur la table depuis longtemps.

Le FMI et la Banque Mondiale apportent aujourd’hui un soutien financier aux pays pauvres sous forme de prêts ou d’aides destinées notamment à financer des vaccins et qui risquent de se heurter aux mêmes impasses que le Covax.

Puisque la principale difficulté est aujourd’hui la fabrication des vaccins, cette aide qui risque de ne jamais être utilisée faute de disponibilité, devrait est réaffectée au profit de la production car c’est la pénurie qui est à l’origine du « chacun pour soi ». Sur ce point des organisations comme la Banque Mondiale (pour le financement) ou l’OMC (pour rendre plus effective les « licences obligatoires » qui permettraient à un pays de produire chez elle un vaccin breveté) seraient en mesure d’accompagner et de faciliter cette accélération de la production.

La crise du Covid a accentué deux phénomènes contradictoires : d’une part l’épuisement du système multilatéral hérité de Roosevelt qui s’adapte trop tardivement, et parfois jamais, à l’évolution du Monde et des rapports de force et, d’autre part, sa nécessité pour faire face à de nouveaux types de crises qu’elles soient économiques, écologiques, sanitaires ou autres.

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