Déferlante Omicron : non, les confinements et autres couvre-feux ne sont pas efficaces (et encore moins lorsque le coup est déjà parti) <!-- --> | Atlantico.fr
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Des Parisiens lors du confinement de mars 2020.
Des Parisiens lors du confinement de mars 2020.
©Thomas COEX / AFP

Covid-19

Leur effet sur l’épidémie est difficilement mesurable et probablement très limité.

Philippe Lemoine

Philippe Lemoine

Philippe Lemoine est étudiant en thèse à l’université Cornell aux États-Unis dans le département de philosophie, où il est spécialisé en logique et philosophie des sciences.

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Alors qu’Omicron déferle sur l’Europe certains pays reprennent des mesures de restrictions drastiques s’apparentant à des confinements. Au vu de notre expérience avec ces mesures, que nous disent les études de leur efficacité ?

Philippe Lemoine : Je ne pense pas qu’il soit possible d’estimer précisément l'effet de ces mesures. On utilise principalement deux méthodes pour cela. La première, qui est celle qu’a notamment utilisée l’INSERM, consiste à utiliser un modèle épidémiologique censé reproduire le mécanisme causal de la diffusion du virus qui repose sur plusieurs hypothèses complètement irréalistes. On dit au modèle quand les restrictions étaient en place et celui-ci estime l’effet de ces dernières en choisissant les valeurs qui lui permettent de reproduire au plus près la courbe épidémique. Tout ce que cette méthode permet de dire, c’est que si le modèle décrivait fidèlement le mécanisme de diffusion du virus dans la population, les restrictions auraient cet effet, mais on sait qu’en réalité le modèle n’est pas réaliste donc cette condition n’est pas satisfaite et on a aucune raison de prendre au sérieux ces estimations. En pratique, comme un grand nombre de facteurs susceptibles d’avoir un effet sur la transmission ne sont pas pris en compte par le modèle, tout changement du nombre de reproduction effectif ne peut qu’être attribué aux restrictions.  L’autre méthode consiste à utiliser un modèle économétrique qui cherche à établir une corrélation entre la présence d’une restriction et le taux de croissance de l’épidémie. Si une telle corrélation existe et qu’elle est négative, on infère que les restrictions réduisent la transmission. Le problème c’est que, outre un impact causal des restrictions sur la transmission, beaucoup de choses peuvent expliquer la présence d’une telle corrélation. Par exemple, si les gens réduisent leur activité sociale quand le nombre d’hospitalisations explose et que c’est aussi à ce moment que le gouvernement a tendance à mettre en place des restrictions par crainte d’un débordement de l’hôpital, on va observer une corrélation négative entre la présence de restrictions et le taux de croissance de l’épidémie même si les restrictions n’ont aucun effet causal. Par ailleurs, ces méthodes font toutes les deux ce que les épidémiologistes appellent l’hypothèse de mélange homogène de la population (la première explicitement et la seconde implicitement), ce qui veut dire qu’elles supposent qu’une personne infectieuse a la même probabilité d’infecter n’importe quelle autre personne dans la population ou du moins n’importe quelle autre personne dans la même classe d’âge qu’elle. Par exemple, si j’étais infectieux en ce moment, cela voudrait dire que j’aurais la même probabilité d’infecter mes parents chez qui je suis en ce moment pour Noël qu’une personne à l’autre bout de la France avec qui je n’aurai jamais le moindre contact, ce qui est bien sûr absurde. En réalité, le virus se répand sur un réseau complexe qui dépend des interactions qu’ont les gens entre eux, ce qui peut produire des épidémies ayant un comportement très différents de ce que prédisent les modèles plus simples utilisés pour estimer l’effet des restrictions ou faire des projections. J’ai montré que, en fonction des propriétés du réseau sur lequel se diffusait le virus, cela pouvait complètement fausser les estimations de l’effet des restrictions réalisées avec les méthodes décrites plus haut. De fait, que ce soit pour cette raison ou pour une autre, les projections réalisées avec un modèle classique avaient massivement surestimé la hauteur du pic en Afrique du Sud et nous avons toutes les raisons de penser que ce sera la même chose en Europe. En réalité, il est impossible d’estimer précisément l’effet des restrictions sur la transmission et les études brandies par le gouvernement pour justifier ces dernières donnent une fausse impression de certitude, mais elles permettent de donner une caution scientifique à des choix politiques.

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Elles ne sont donc pas efficaces ?

Je ne dis pas qu’elles n’ont aucun effet, je suis sûr qu’elles ont un impact même si encore une fois il est impossible à estimer précisément, mais je pense qu’à l’évidence celui-ci n’est pas énorme sinon il serait plus facile à détecter et que par conséquent la plupart de ces mesures ne passeraient pas un test coût-avantage. On justifie les confinements par les vies sauvées et la nécessité d’éviter l’engorgement des hôpitaux mais, outre le fait qu’on surestime à mon avis énormément leur impact sur la transmission du virus, on oublie l’autre partie de l’équation : l’impact des restrictions sur l’ensemble de la population et les activités qui font que la vie mérite d’être vécue. Il est particulièrement frappant que, alors que le gouvernement se livre depuis des mois à des réductions de liberté inédites en temps de paix, il n’ait toujours pas publié d’analyse coût-avantage pour justifier cette politique. Et il ne le fera pas car en réalité il est impossible de justifier ces mesures par une analyse coût-avantage à moins de faire des hypothèses complètement absurdes.

Quelles doivent être les mesures à privilégier ?

Je pense que c’est la mauvaise question. Quand on pose cette question, on suppose implicitement qu’on pourrait faire quelque chose qui ferait plus de mal que de bien, mais ce n’est pas toujours le cas et parfois il faut accepter que la meilleure chose à faire, c’est de ne rien faire. À long terme, il faut sans doute investir dans l’hôpital pour augmenter nos capacités et s’assurer que le système hospitalier pourra gérer à la fois les patients atteints du COVID-19 et ceux qui souffrent d’autres maladies respiratoires comme la grippe, mais ça n’aura pas d’effet immédiat. Ça ne veut cependant pas dire qu’il n’est pas important de s’en préoccuper dès maintenant, car cela fait maintenant près de deux ans que la pandémie a commencé et cela n’a toujours pas été fait, donc si on continue à dire que ça ne sert à rien pour gérer l’urgence on se retrouvera dans la même situation dans un an. Pour le reste, je pense qu’il faut accepter de vivre avec le virus et reprendre une vie normal, même si ça ne fera pas disparaître le virus par magie. Celui-ci ne disparaîtra d’ailleurs jamais, il va devenir endémique et il y aura régulièrement des vagues d’infections qui feront des morts, mais il ne sera plus jamais aussi meurtrier qu’au moment où il est apparu car grâce à la vaccination et aux infections la population n’est plus immunologiquement naïve et l’immense majorité de la population a acquis une immunité contre le virus qui protège contre l’infection et surtout contre les formes graves de la maladie. Je trouve incroyable qu’on continue à parler du virus comme si nous étions encore en mars 2020, alors que les données montrent clairement que, depuis que la majorité de la population, le taux de mortalité s’est effondré. À cet égard, je ne vois pas l’intérêt de stigmatiser les personnes non-vaccinées, car même si je suis sûr que le passe sanitaire a eu un effet positif sur la vaccination — ce qui ne m’empêche pas de m’y opposer pour que les choses soient claires — je doute que la coercition soit très efficace vis-à-vis des gens qui ne sont toujours pas vaccinés aujourd’hui. Je soupçonne qu’on aurait plus de succès si on arrêtait de les utiliser comme bouc-émissaires, même si très franchement je ne me fais pas d’illusion et je pense que la plupart continueront à résister à la vaccination, car le mal est déjà fait. Ce n’est pas grave, ils seront infectés et  acquéreront une immunité de cette façon (la plupart d’entre eux ont d’ailleurs probablement déjà été infectés), même si ça veut dire que certains mourront alors que cela aurait pu être évité. Il est temps de passer à autre chose et de sortir de l’espèce d’état d’urgence permanent dans lequel nous sommes plongés depuis des mois. Je pense même qu’il faudrait arrêter de tester en dehors de l’hôpital, comme nous faisons déjà pour les autres virus respiratoires comme la grippe, car les cas n’ont en soi pas grande importance et la communication incessante sur leur nombre contribue à entretenir l’hystérie. Encore une fois, le virus ne va pas disparaître, donc la pandémie ne sera pas finie tant que nous n’aurons pas accepté collectivement qu’il faut reprendre une vie normale.

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