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Déconfinement graduel : attention danger dans l’opinion
©Sebastien SALOM-GOMIS / AFP

Pas de retour à la normale rapide

Devant la mission d'information de l'Assemblée nationale, Edouard Philippe, a expliqué ce mercredi, qu'il était "probable" que le déconfinement ne soit pas "général et absolu" mais se fasse au contraire par étapes, c'est-à-dire par régions et/ou classes d'âges.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Cette perspective d'un déconfinement graduel ne surprend guère, notamment car elle a déjà été évoquée dans d'autres pays. En revanche, comment pourraient y réagir les Français alors que nombreux espéraient une sortie plus "brutale" du confinement ? 

Chloé Morin : Jusqu’ici, l’exécutif a employé une métaphore guerrière pour permettre à tout un chacun de donner un sens aux évènements qui relèvent de l’impensable. Il y a deux mois, nul n’aurait imaginé que l’économie puisse s’arrêter, de même que les déplacements, et que chacun resterait prisonnier, confiné, de son logement. Nous avons basculé dans l’inconnu et c’est heureux que la référence guerrière, que chacun connaît, ait pu venir nous aider, nous sécuriser, nous donner quelques repères dans cette période angoissante. Pour autant, cette métaphore a ses limites, nombreuses. L’une d’elle est qu’elle conduit à penser l’épidémie comme si on pouvait « gagner » de manière subite, ferme et définitive. Or, les spécialistes nous promettent une longue lutte, et peut être une « seconde vague ». Dès lors, les Français qui ont espéré que le déconfinement sera l’équivalent d’un armistice, d’une victoire par KO précédent un retour à la « vie normale » risquent d’être très déçus par « l’après »...

Depuis le départ, le gouvernement est critiqué par l’opinion pour avoir manqué de capacité à anticiper, nous en avons constaté les conséquences sur les stocks de masques ou encore de respirateurs artificiels. Mais l’opinion reproche également au gouvernement de ne pas lui donner les clefs pour se projeter dans l’avenir, y compris dans un avenir très proche. En n’annonçant un prolongement du confinement que pour 15 jours, le gouvernement agit sans doute dans les contraintes que lui imposent les informations à sa disposition, mais il crée par contrecoup de l’incertitude. Nos sociétés ne sont plus habituées à l’aléatoire, nous ne supportons pas de ne pas tout maîtriser, tout contrôler. Ici, le confinement spatial se double d’un confinement temporel : notre espace vital est réduit aux murs de notre logement, et notre horizon à quelques jours… C’est extrêmement insécurisant, voire frustrant, et chez certains Français on sent monter de jour en jour la colère. De ce fait, le gouvernement gagnerait sans doute à indiquer plus clairement - ce qu’il commence à faire depuis mercredi seulement - quels pourraient être les scenarii de sortie du confinement, et surtout les paramètres susceptibles d’influencer ses décisions (nombre de tests, disponibilité d’un vaccin, disponibilité de lits en hôpital…?). 

Alors que le manque de réactivité et les erreurs du gouvernement dans la gestion de l'épidémie de coronavirus sont déjà pointées du doigt, quel pourrait être l'impact d'une telle annonce ? Bien qu'elles répondent à des principes sanitaires qui dépassent le bon vouloir du gouvernement, une telle mesure pourrait-elle se retourner contre lui ? 

Une telle annonce pourrait décevoir une partie des Français qui, sans être naïfs, espéraient un retour plus ou moins rapide à la normale. Or, ici, non seulement on dit que cela va durer, mais que l’après risque de ne pas ressembler du tout à la « normale » qu’ils espéraient, c’est à dire soirées d’été en terrasse et vacances au bord de la mer… Psychologiquement, ce facteur va venir s’ajouter aux difficultés économiques qu’ils avaient déjà intégrées. 

Dès lors, et même si tout un chacun sait pertinemment que le gouvernement n’est pour rien dans l’évolution du virus lui-même, le niveau d’exigence de l’opinion vis à vis de l’action gouvernementale, et l’ampleur des critiques - déjà bien présentes dans nos données Ifop, recueillies chaque semaine pour Societing - risque de s’accroître : on refera le match, et l’on dira que s’il avait agi plus tôt, plus fermement, s’il avait eu une stratégie autre ou moins « navigué à vue », alors nous aurions pu retourner plus vite à la normale. Même si un tel procès relève en partie de la mauvaise foi, on le voit déjà fleurir, de manière marginale mais inquiétante, dans l’opinion. Cela risque d’être un risque supplémentaire pour le gouvernement, au moment où il aura besoin d’une discipline et d’une cohésion absolues de la part de tous. 

Nombreux sont ceux qui s'inquiètent déjà de l'impact de la crise sanitaire et des mesures prises par le gouvernement sur l'état de droit et la démocratie, une telle prolongation et sortie lente du confinement ne représente-t-elle pas un risque supplémentaire ? 

Aujourd’hui, la question se pose à l’opinion en ces termes : soit rester confinés, « en prison », soit voir notre espace de libertés légèrement amoindri par rapport à l’état normal, par exemple via un traçage grâce aux outils numériques, ce qui équivaut en quelques sortes au port d’un bracelet électronique pour un condamné… Dès lors, les Français ne perçoivent pas, de manière immédiate, les éventuelles mesures de restriction des libertés à venir comme « restrictives ». 

Pour autant, de nombreux juristes s’émeuvent des mesures actuelles - liées au contrôle des attestations de dérogation au confinement, par exemple, qui semblent avoir donné lieu à quelques abus du côté des forces de l'ordre - et futures de restriction des libertés. 

L’Europe elle-même risque, si les choses duraient trop longtemps, de nous rappeler à l’ordre : le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a récemment demandé aux pays de respecter la CEDH… 

Il y a une vigilance de tous les instants qui sera sans doute nécessaire, de la part des contre-pouvoirs, pour que chaque mesure prise par les gouvernements européens soit strictement proportionnée à la menace sanitaire, et délimitée dans le temps. Mais nous savons que face à un risque sécuritaire ou sanitaire, l’opinion publique a, ces dernières années, toujours choisi de renoncer - comme le dit la fameuse citation de Benjamin Franklin - « à un peu de liberté pour un peu plus de sécurité »… Avec les conséquences potentielles que décrit très bien F. Sureau.

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