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Décomposition de la vie politique : raisonnables ou populistes, le match des responsabilités
©BERTRAND GUAY / AFP

Match nul

Des découvertes de Thomas Guénolé aux menaces de Nathalie Loiseau, jusqu'aux complotistes à propos de l'incendie de Notre-Dame, la parole politique peine à convaincre les Français de se déplacer pour voter

Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico : L'affaire qui oppose Thomas Guénolé, tête de liste LFI, et son désormais ancien parti montre bien une certaine hypocrisie dans le fonctionnement du parti de gauche radicale, enfermée dans des guerres intestines qui frisent le ridicule. Plus généralement, les partis politiques aujourd'hui se trouvent incapables de jouer leur rôle de corps intermédiaire face au pouvoir. Mais qu'est-ce qui fait le plus de mal à notre démocratie aujourd'hui : LREM qui se considère comme la voix incontestable d'une sorte de Cercle de la Raison, ou des partis tels que LFI, le PS ou le RN, voire LR, qui multiplient les contradictions et s'appuie sur un lyrisme qui semble fait en toc ?

Frédéric Mas : Il y a entre LREM et ses adversaires une sorte de nouvelle division des tâches entre d’un côté, comme vous le soulignez, le cercle de la raison, et de l’autre celui des passions. D’un côté, la majorité présidentielle est tellement sûre d’être le camp naturel de l’expertise et de la politique rationnelle qu’elle ne semble pas tellement pressée de convaincre et de discuter avec un public qu’elle juge globalement incompétent. De l’autre, certaines formations, comme le Rassemblement national ou la France insoumise, mais aussi LR, capitalisent sur les passions populaires, qu’elles soient identitaires ou égalitaires, pour gagner les cœurs plus que les esprits. Là non plus la discussion n’est pas possible, car la grammaire des intérêts et des passions est une logique de rapports de forces : on attend des dirigeants qu’ils soient pris en compte dans le processus de décision publique sans discuter.

Or dans les deux cas, ce qui est révélé en creux, c’est l’évaporation de la culture politique nationale. Comme l’observait le philosophe britannique Michael Oakeshott, la politique est comme une conversation commune entre les membres d’une même association civile : elle suppose, pour s’occuper des problèmes qui concernent tout le monde, de partager une éducation et une culture commune de la discussion et de la délibération rationnelle. Ce qui est ici symptomatique, c’est qu’au lieu d’un dialogue national en vue d’adopter la plus raisonnable des solutions, nous avons plutôt l’impression d’assister au fractionnement du corps social et politique, et à l’installation de monologues s’adressant à des clientèles politiques difficilement conciliables, et surtout pas très pressées de s’écouter entre elles.

Maintenant, du parti des passions ou de celui de la raison, lequel est préférable ? Il me semble assez difficile de trancher, tant les deux logiques me paraissent délétères. J’aurais toutefois tendance à préférer le camp qui entretient la culture de la raison, même si ses tenants aujourd’hui semblent avoir la fâcheuse tendance à en faire un club élitiste pour les habitants des hypercentres urbains. Il est à mon avis plus facile de revenir à l’esprit originel du gouvernement représentatif par cette voie que par celle empruntée par les populistes.

Les formes traditionnelles de parti semblaient autoriser le débat en interne, malgré des divergences réelles. Comment expliquer la disparition de la composante démocratique au sein des formations politiques ?

Les formations politiques se sont tout naturellement adaptées aux transformations de notre système institutionnel, qui se caractérise par l’hypertrophie de la fonction présidentielle. Comme tout tourne autour de la tête de l’exécutif, en particulier depuis la réforme du quinquennat, les écuries politiques sont devenues totalement dépendantes de l’élection présidentielle : c’est du champion national que dépend le succès ou l’échec des élections qu’elles soient locales, nationales ou européennes.

Souvenez-vous, la déconfiture de Hollande a précipité celle de ses élus locaux et la victoire de Macron a propulsé à l’assemblée nationale une palanquée de nouveaux venus sans expérience politique ! Cette « présidentialisation » des formations politiques incite à se comporter comme une armée orientée vers la victoire d’une seule équipe. Il n’y a pas beaucoup de place pour le pluralisme au sommet.

Il y a une raison plus sociologique à cette extinction de la culture démocratique, à savoir la montée en puissance des experts et la sclérose de la classe politique française. Les Etats-majors nationaux des partis, pour répondre aux problématiques complexes d’aujourd’hui, préfèrent piocher directement dans les grandes écoles pour se trouver des collaborateurs compétents. Ils piochent aussi dans la haute fonction publique pour se retrouver dans le maquis bureaucratique qu’est devenue la politique française. De fait, la fonction des partis, qui étaient aussi de sélectionner les militants les plus expérimentés et les plus compétents, a perdu beaucoup de sa superbe. On pense à LREM, qui est largement une formation politique fantôme sans vrais militants et dont les cadres ne sont pas vraiment issus d’un quelconque terrain qu’ils n’ont pour la plupart jamais connu.

De son côté, la culture de la démocratie de LREM type "Grand débat" est-elle plus enviable ?

Paradoxalement, l’organisation par la formation présidentielle d’un Grand débat ne tient pas à mon sens de sa culture de la démocratie, mais au contraire, de la difficulté qu’elle en a à intégrer les codes et les exigences. Il a fallu des semaines de crises des Gilets jaunes, la formalisation d’un débat avec consultation populaire pour que la classe dirigeante s’aperçoive du malaise social et économique qui traverse les classes populaires.

Oui, la pression fiscale est trop forte, oui la confiance envers les élites est écornée, oui tout ce qui permet de rapprocher le pouvoir du citoyen est bon à prendre. La culture démocratique suppose de reconnaître un minimum d’égalité, je dirais même d’empathie, entre citoyens d’une même Cité. C’est une condition essentielle pour que s’installe le dialogue et la reconnaissance mutuelle des intérêts et des revendications.

Ici, nous avons affaire à une culture bureaucratique, avec deux de ses travers les plus profonds : le premier part du principe que le citoyen-administré n’est pas compétent et n’a rien à apprendre à l’administration, le second est l’aversion de la structure bureaucratique à toute nouvelle information qui ne vient pas de la structure bureaucratique elle-même. Il y a quelque chose de symptomatique dans la façon dont LREM traite ses adversaires politiques, tour à tour désignés comme factieux, complotistes et mineurs incapables. La polarisation de la vie politique française continue, et LREM ne fait pas beaucoup d’efforts pour résorber quoi que ce soit.

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