Décolletés, baskets et jeans interdits ? Ces professions où les dress codes traditionnels font de la résistance<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Style de vie
Ségolène Royal aurait selon l'hebdomadaire Le Point interdit à ses collaboratrices de porter des décolletés.
Ségolène Royal aurait selon l'hebdomadaire Le Point interdit à ses collaboratrices de porter des décolletés.
©Reuters

Etiquette au bureau

Si les consignes supposées qu'aurait données Ségolène Royal sur l'interdiction du décolleté font débat, c'est aussi car les contraintes vestimentaires dans le cadre du travail se sont largement assouplies. Mais certains milieux restent restrictifs et la faute de goût n'y est pas permise.

Atlantico : Ségolène Royal aurait selon l'hebdomadaire Le Point interdit à ses collaboratrices de porter des décolletés, une information démentie par la principale intéressée. Les codes vestimentaires en politique comme au bureau peuvent être implicites ou explicites. Quels sont les métiers dans lesquels les codes vestimentaires restent encore très stricts ?

Pierre-François Le Louët : Les métiers dans lesquels ces codes restent les plus stricts sont les métiers de la finance et le monde juridique notamment dans les cabinets d'avocats. D'autres métiers imposent des tenues vestimentaires très codifiées, je pense notamment au secteur de
la santé et aussi aux grands corps, notamment la SNCF où les tenues professionnelles peuvent être imposées. Dans les métiers de la finance, le costume cravate est toujours un indispensable. Auparavant cela valait pour de nombreux métiers mais les choses ont évolué. cela vaut pour la France mais également pour d'autres pays. Par exemple au Japon, les businessmen étaient jusqu'à peu tous vêtus d'un costume noir et d'une cravate. Aujourd'hui, le gouvernement japonais ayant fait la recommandation de ne plus porter la cravate pour pouvoir baisser la climatisation dans les bureaux, le visage de la rue japonaise a complètement changé.

Quels sont à l'inverse les secteurs d'activités où les codes sont devenus plus souples ?

Pierre François Le Louët : En France, tout s'est bien sûr décontracté. Les métiers de la publicité et tout le secteur créatif ont toujours été porteurs de ces changements. Il y a quelques années, il était beaucoup question du Friday wear qui aujourd'hui n'existe plus car tout est devenu moins formel. Le Friday wear a permis de faire apparaître d'autres silhouettes, d'autres manières de s'habiller. On découvrait ainsi des facettes de la personnalité des gens que l'on n'aurait jamais pu imaginer. Parce qu'ils s'habillaient de manière différente, on découvrait leur goût, etc. Ainsi, nous vendons moins de costumes, mois de cravates au profit de dé-coordonnés, de vestes plus casual, non doublées. Nous n'avons jamais vendu autant de robes que la saison dernière. Le tailleur féminin a quasiment disparu alors qu'il fut l'apanage des business girls des années 1990. Cette tendance à la décontraction concerne non seulement le vêtement mais également le look global. Je pense notamment au fait de pouvoir ne pas se raser tous les jours, la barbe est devenue plus acceptée que jamais. Mais les codes existent malgré tout. Un uniforme informel  a succédé à un uniforme formel. Le jean et le pantalon chino sont devenus les pièces emblématique du bureau contemporain dans une bonne partie du monde. On constate également qu'il y a plus de couleurs dans l'univers masculin. Les grandes chaînes Comme Celio ont fortement contribué à faire entrer la couleur dans le vestiaire masculin.

Quelles sont les raisons de cette évolution ? 

Pierre François Le Louët : Je pense que cette évolution est due à une dédramatisation du monde du travail chez les jeunes générations. La frontière entre le travail et la vie est moins présente. La vie est un tout, on assume beaucoup plus sa personnalité, sa différence, y compris dans le milieu professionnel. Il ne s'agit plus d'être dans un rôle de 9h à 18h et dans un autre juste après. Les choses sont beaucoup plus hybrides et surtout la mode a proposé des solutions aux hommes et aux femmes pour être plus habillés sans avoir à changer tous ses vêtements. Les jeans se sont sophistiqués, se sont rapprochés du corps. On rajoute une petite veste et le tour est joué. C'est devenu l'apanage de la parisienne que de savoir parfaitement manier justement ces différents vêtements pour se construire des panoplies adaptées aux différentes occasions de la journée.

Relativement à d'autres pays, la France est-elle particulièrement stricte au regard de l'étiquette au bureau ?

Jacques Charles-Gaffiot : « L’habit ne fait pas le moine », selon le dicton populaire. Eh bien si, au contraire ; ou plutôt, l’habit ne fait pas « tout » le moine. Omniprésents, les codes vestimentaires possèdent de nos jours encore de multiples fonctions, même s’ils apparaissent de prime abord moins visibles et spectaculaires que dans les tenues d’autrefois. Ils témoignent toujours d’une appartenance à un certain milieu exprimant le rang social, hiérarchique, professionnel, culturel, religieux etc…

Le consumérisme, si favorisé dans la sphère du libéralisme économique, a su adroitement exploiter le filon en mettant, par exemple, en évidence les marques de fabrication de vêtements à la mode ou de leurs accessoires.  Pour apparaître « branché » ou plus simplement en harmonie avec le groupe duquel l’individu affirme relever, il doit se soumettre à un nombre de codes souvent très sourcilleux, parfois très éloignés du bon sens pour mieux faire apparaître l’engagement rebelle de son observateur. Ainsi, celui du pantalon ultra taille basse laissant apparaître un boxer n’est pas sans doute pas le meilleur moyen de faciliter la déambulation. Mais, pratiqué à l’origine par les bad boys américains puis les rappeurs de tout poil, il est devenu un signe de reconnaissance incontournable pour des individus affirmant leur indépendance ou le rejet de la société qui les environne. Heureusement, la mode étant par définition ce qui se démode, dans quelques décennies, ces mêmes irréductibles insoumis, alors embourgeoisés, auront peine à se reconnaître.

Mais dans la libéralisation des mœurs survenue avec mai 68, ces nouveaux codes vestimentaires traduisent aussi une forte connotation sexuelle. Ultra mini jupes, chemisiers laissant apparaître le nombril, baggys, piercings etc… stimulent bien des appétits qui n’ont pas forcément lieu d’être dans un cadre professionnel.

Dans ses règles sociales les plus transversales, l’Italie aime à développer pour les messieurs la notion de bella figura faisant référence non seulement à l’élégance vestimentaire mais également à son port et aux (belles) manières qui doivent l’accompagner. Cette alchimie forge l’image du séducteur italien.

En France, si les codes anciens ont volé en éclat, ce qui est bien légitime, nous avons largement perdu de vue le type de l’élégante parisienne, immortalisée encore dans les magazines des années 70. La fascination exercée sans discernement par ce qui vient d’Amérique, la renonciation immodérée à une identité sont autant de facteurs qui ont sans doute apporté beaucoup de relâchement et plus encore de laideur voire de vulgarité dans les tenues ordinaires des Françaises.

Il en va de même dans les univers du travail et de la politique. Le port de la cravate pour les hommes ne s’impose plus d’une façon aussi drastique. Depuis, la première arrivée de la gauche au pouvoir, le port d’un col ouvert sur un veston est de bon ton. La barbe naissance est devenue tout aussi prisée depuis quelques années. Mais gare, nous possédons toujours un arrière fond de conservatisme : la figure affichée d’un François Hollande auto-satisfait, portant régulièrement ses cravates de travers, a fortement altéré l’image du quinquagénaire svelte et fringant que le candidat à la présidentielle s’était employé à construire, sans doute avec de très gros efforts.

Que risque-t-on à commettre des faux-pas vestimentaires au bureau ?

Jacques Charles-Gaffiot :Le bureau, plus encore qu’hier, est devenu un lieu de compétition. A qualités égales, il convient donc de se démarquer d’un concurrent potentiel. La tenue vestimentaire traduira une large part de la personnalité de celui qui la porte. Dans ce domaine, les nuances sont très subtiles. Ainsi ce n’est pas par pure fortune ni par coquetterie que le conseiller élyséen, Aquilino Morelle, portait des chaussures Lobb. Par ce signe de reconnaissance, perceptible que par une petite minorité d’initiés fréquentant les hautes classes sociales, il marquait d’une part son appartenance à cette même catégorie et quant aux autres il établissait entre eux et lui, au moyen de cette supériorité vestimentaire, une barrière infranchissable.

Avec la crise économique, le monde de l’entreprise, une fois encore, est devenu plus cruel. L’erreur peut être impardonnable. Combien d’employés ou de cadres copient  non seulement les avis mais la manière d’être de leurs patrons !

Pierre François Le Louët : Il y a effectivement plus de liberté mais tout n'est pas possible pour autant. On ne peut pas arriver avec un jean troué à un rendez-vous d'affaire, on ne peut pas venir en t-shirt dégoulinant. Montrer ses poils du torse n'est pas possible non plus, tout comme les mini-jupes trop provocantes. Il y a encore beaucoup d'interdits qui montrent qu'il y a toujours un contrôle de son expression personnelle.

Quel est l'intérêt des codes vestimentaires stricts dans le travail ?

Jacques Charles-Gaffiot :Le vêtement ou ses accessoires peuvent contribuer à placer des barrières ou à établir des complicités, favoriser des affinités. Véritable langage, ces codes permettent de se positionner immédiatement vis-à-vis de tiers, de subordonnés ou à l’égard de supérieurs. Ainsi, permettent-ils de favoriser d’une certaine manière de bonnes relations professionnelles dans la mesure où ils contribuent à offrir sans une grande marge d’erreur possible le positionnement hiérarchique de chacun en dévoilant une part de la personnalité de chaque individu. Cette approche peut bien évidemment s’avérer superficielle, mais le danger encouru en ce cas me semble moins lourd de conséquence que celui occasionné par un débridement incontrôlé.

De quoi témoigne l'assouplissement de ces codes dans certains milieux ?

Jacques Charles-Gaffiot :La « boboïtude » a tout de même fait de larges progrès en quelques décennies. L’assouplissement des codes a favorisé la perte des repères, fragilisant les individus les plus chancelants. Mais, les bourgeois-bohême, anciens acteurs ou héritiers de mai 68, n’ont cure des faibles et des malingres. Ils ont constitué une véritable caste, excommuniant du haut de leur chaire néo-libertaire les malheureux qui se démarquent de la pensée unique dont ils définissent tous les jours le credo.  Ils s’amusent à pervertir au seul détriment d’autrui engoncés dans une auto-suffisance dont ils ne possèdent pas la moindre idée.

Mais, il n’est pas certains que ces codes soient définitivement perdus pour autant. « Qui fait l’ange fait la bête » aimait à rappeler Pascal. Le parisianisme constitue toujours une petite frange de la société. Les codes du savoir-vivre subsistent et s’observent assez uniformément dans toutes l’étendue des classes sociales.

A être moins strict, que perd-on en termes de symbole ? Qu'a-t-on à y gagner ? 

Jacques Charles-Gaffiot :C’est tout d’abord entretenir beaucoup illusions, dont celle, consistant à penser que cet abandon favorise l’authenticité des relations unissant les personnes entre elles, n’est pas des moindres. Sans être une fin en soi, le respect d’un code traduit avant tout une marque de respect vis à vis d’autrui, la reconnaissance d’une altérité qui ne peut être malmenée. Cette déférence peut ensuite apparaître comme une sorte de gymnastique personnelle, permettant de « vertébrer » l’individu, de le construire socialement.

Ainsi que l’on fait les plus grands artistes qui ont suffisamment appris à maîtriser l’art du dessin pour mieux s’en éloigner, les codes vestimentaires ou sociaux doivent être appris et pratiqués avant, un jour, de pouvoir s’en abstraire, sans faute de goût, et dans une parfaite liberté.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !