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Déchéance de nationalité : pourquoi l’opposition devrait poser la vraie question qui fâche, celle de l’acquisition de la nationalité
©Reuters

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Le débat sur la déchéance de nationalité occupe depuis plusieurs jours le terrain du symbolisme au grand dame d'une droite divisée sur la question. Mais le piège tendu par François Hollande peut basculer. En posant le débat en des termes plus concrets et davantage orientés sur la question de l'acquisition de la nationalité, Les Républicains auraient tout à y gagner.

Dominique Jamet

Dominique Jamet

Dominique Jamet est journaliste et écrivain français.

Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.

Parmi eux : Un traître (Flammarion, 2008), Le Roi est mort, vive la République (Balland, 2009) et Jean-Jaurès, le rêve et l'action (Bayard, 2009)

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Jean-Paul Garraud

Jean-Paul Garraud

Jean-Paul Garraud est un magistrat et homme politique. Actuellement Président de l'Association professionnelle des magistrats, il a été le rapporteur du projet de loi "interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public", dirigé contre le port du voile intégral.

 

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Michel   Lacroix

Michel Lacroix

Michel Lacroix est philosophe et écrivain, il a publié de très nombreux livres notamment le dernier Eloge du patriotisme, 2011, Robert Laffont.

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Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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La droite face à la déchéance de nationalité

Christelle Bertrand : Pas facile de louvoyer entre trois écueils: ne pas donner raison à la gauche sans donner tord à Nicolas Sarkozy tout en ne se laissant pas distancer par le FN. Le débat sur la déchéance de nationalité, et plus largement celui sur la réforme constitutionnelle, est en train de devenir, pour la droite, un véritable casse-tête. Impossible de repousser en bloc la proposition de François Hollande alors que Nicolas Sarkozy affirmait, en 2010, dans son discours de Grenoble: " Je prends mes responsabilités. La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un fonctionnaire de police ou d'un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique. La nationalité française se mérite et il faut pouvoir s'en montrer digne. Quand on tire sur un agent chargé des forces de l'ordre on n'est plus digne d'être français". Impossible de se renier. Ainsi se referme sur la droite, et en particulier sur Les Républicains, un piège particulièrement inextricable. Impossible de se démarquer sans donner raison au gouvernement et au FN qui n'a pas hésité à soutenir l'initiative du Chef de l’État saluant même un homme qui aurait été touché par la grâce. Face à cette étau, les ténors se taisent encore, les autres prennent positon en ordre dispersé.

Il y a les enthousiastes qui ont décidé de soutenir sans mégoter le gouvernement comme Christian Estrosi qui tweetait récemment: " Le maintien de cette mesure est essentiel pour notre sécurité". Eric Ciotti expliquait aussi: la déchéance de nationalité "est un symbole fort. Celui de dire à ceux qui déclarent la guerre à notre pays, à notre civilisation, à ceux qui ont une double nationalité, et qui en même temps ont la détestation profonde de la France, qu'ils n'ont aucune place sur notre territoire national". Henri Guaino enfin affirmait: "Quand des gens décident de se séparer de la communauté nationale, quand des gens décident de l'attaquer, de tout faire pour la détruire (…) il n'est pas anormal que la nation n'est plus envie de vivre avec eux".

Pour d'autres, l'exercice de style consiste à nuancer, à prendre ses distances pour ne pas donner un blanc-seing au gouvernement tout en se préparant à voter « pour » la déchéance car les électeurs de droite, majoritairement favorables à la mesure, ne comprendraient pas une attitude différente et risqueraient de se tourner vers le FN qui soutient le texte. Ainsi Christian Jacob, interrogé dimanche lors du «Grand Rendez-vous Europe 1/Le Monde/i-Télé», expliquait que la droite était «bien évidemment d'accord sur le principe» de l'extension de la déchéance de nationalité aux terroristes binationaux nés en France, mais que tout dépendrait de son application. «Nous allons regarder comment les débats vont évoluer, compte tenu de la division profonde de la majorité et même du gouvernement». Même son de cloche chez Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, qui a lui aussi averti qu'il ne voterait pas la révision «les yeux fermés». Philippe Bas, le président de la commission des lois du Sénat, est sur la même ligne. «On s'est emballé en pensant qu'une réforme constitutionnelle est nécessaire, alors qu'il existe des circonstances dans le Code civil où on peut retirer la nationalité», a-t-il déclaré lundi. Il estime que «ce n'est pas la peine de réformer la Constitution si c'est pour y inscrire uniquement l'état d'urgence, sauf si le gouvernement veut ajouter des mesures encore plus restrictives que celles qui sont dans la loi».

Rares seront les députés et les sénateurs qui voteront contre, sur 21 déclarations d'élus recensées par le journal Le Monde seules  5 sont en faveur du non.  C'est le cas de Benoist Apparu, qui expliquait récemment: "Je ne voterai pas l'article 2. Et quand on me demandera le vote global sur l'ensemble de la réforme constitutionnelle, il est probable que je vote cette réforme constitutionnelle mais sur la déchéance je trouve ça surréaliste. On est en train de faire tout un fromage sur une mesure qui en termes d'efficacité antiterroriste ne servira strictement à rien. J'aime beaucoup les symboles, c'est très important les symboles. Mais peut-être qu'en France, on pourrait arrêter de faire de la politique avec des symboles pour faire des choses efficaces, utiles".

L'exercice actuel consiste surtout à tenter de sortir par le haut du piège tendu par François Hollande et refermé par Marine le Pen en expliquant que la déchéance de nationalité est un faux débat et qu'il faut changer d'angle de vue. Ainsi Guillaume Larrivé, député Les Républicains de l'Yonne, a déposé une proposition de loi visant à inscrire la notion d'"assimilation" dans la Constitution, elle prévoit que "nul ne peut acquérir la nationalité française s'il ne justifie de son assimilation à la communauté française". Bernard Debré propose, lui aussi, d'aller plus loin. Invité de Sud Radio ce dimanche, le député de Paris a expliqué: «Je crois qu'il faudrait vraiment se poser la question de la binationalité. Est-ce qu'on peut être binational? Je crois que (les pays qui le refusent) ont raison. La preuve, c'est que quand on est binational et qu'on fait la guerre contre l'une de vos nations, qu'est-ce que vous faites?».

Enfin, Hervé Mariton, candidat à la primaire de la droite et du centre, est lui favorable à l'instauration du droit du sang. "Parce que c'est le sens même de la nationalité, c'est le sens de la patrie. Le principe directeur doit être le droit du sang, naturellement enrichi par la vie et la vie, ça s’appelle la naturalisation. Mais là encore la naturalisation ne doit pas être quelque chose donné trop facilement. Je m’inspire de l’exemple canadien, celui du stage de nationalité. Quand les Canadiens donnent la nationalité, ils reçoivent le demandeur et au bout de quelques années où on a démontré sa parfaite conformité à la loi et à la société canadiennes, alors on devient canadien et on ne vous retire plus la nationalité».

La droite tente là de se démarquer du gouvernement et du Front National en lançant un débat parallèle. Celui du mode d'acquisition de la nationalité. 

Atlantico : En quoi le débat symbolique sur la déchéance de nationalité peut-il être un piège pour la droite ?

Dominique Jamet : C’est peut-être cela la caractéristique des pièges : dans un premier temps on ne les voit pas. Le Président et le Premier Ministre proposent des mesures qui avaient été réclamées par la droite, donc celle-ci devrait être contente. Mais nous savons bien qu’en politique il y a des arrière-pensées et des manœuvres. Effectivement, dans un deuxième temps on peut considérer que le Président poursuit une idée qui lui est chère et qui est peut-même devenue obsessionnelle chez lui. En effet, sachant qu’il aura besoin des voix de la droite s’il est qualifié pour le deuxième tour de la présidentielle, il donne un gage à la droite d’une part et d’autre part il la met devant une difficulté classique. Ou bien elle se contredit, se désavoue et se ridiculise en refusant de voter des mesures qu’elle avait souhaitées, ou bien elle les vote et rentre finalement dans le jeu du Président. Je ne sais pas ce qu’elle décidera ni comment elle s’en tirera. Il semble qu’il y ait des discussions, des contre-manœuvres qui se préparent pour répondre à la manœuvre du Président. Ce n’est qu’une supposition, mais peut-être que la droite essaiera de se tirer du piège en faisant remarquer les lacunes ou les défauts de la révision constitutionnelle telle qu’elle est actuellement proposée par le Gouvernement socialiste.

Comment la droite s’est-elle laissé enfermer dans ce piège-là ?

Dominique Jamet : Tout le monde sait comment les choses se sont passées. Au lendemain des attentats du 13 novembre, il y a eu un moment d’émotion et d’union nationale. C’est l’ensemble du Congrès qui a applaudi les paroles de François Hollande lorsqu’il a annoncé qu’il demanderait cette révision constitutionnelle. A l’émotion nationale a peut-être répondu l’émotion présidentielle et sûrement l’émotion parlementaire. Il y a des moments dans la vie politique et dans la vie d’un pays où l’émotion l’emporte. La droite a réagi positivement dans la précipitation, tout comme le Président a élaboré dans la hâte cette révision de la Constitution, sans avoir peut-être réfléchi à tout ce qu’elle impliquait.

Cela peut-il devenir un sujet de discorde entre les différents courants de la droite française ?

Dominique Jamet : Il y aura effectivement des gens étiquetés à droite qui ne seront pas favorables à cette déchéance, qui ont une sensibilité et une conception du monde qui ne les éloignent pas tant que ça de la gauche. Il est par exemple révélateur que Monsieur Devedjian, fils d’immigrés arméniens, considère cette mesure comme intolérable. Il est significatif que Messieurs Darmanin et Apparu, qui sont des proches d’Alain Juppé, soient également choqués. Il me paraît probable que François Hollande a effectivement cherché à piéger la droite, mais il n’aura pas toute la droite et il a certainement négligé l’ampleur et la vivacité des réactions à gauche. Il arrive qu’on tende un piège et que par inadvertance ou maladresse on tombe dedans.

Le "comment devient-on français ?" n’est-il pas finalement le vrai sujet sur lequel la droite était attendue par ses sympathisants ? Cette question pourrait-elle permettre à la droite de se sortir de ce piège-là ?

Jean-Paul Garraud : Je vois surtout cette question sous l’angle d’une nécessité apparue soudainement au gouvernement suite aux attentats. Il s'est enfin rendu compte qu’il devait prendre des mesures depuis longtemps demandées par la droite.

La gauche réagit sous la pression de l’opinion publique qui exige des mesures de protection efficace.
Mais cette réaction est tardive. Tout était prévisible. Déjà, en janvier 2006,  j’avais déposé une proposition de loi visant la déchéance de nationalité pour les binationaux ayant porté atteinte aux valeurs fondamentales de notre démocratie.
Ce n'est que suite aux terribles attentats que le Parti socialiste au pouvoir réagit.  Et comment? Par tout un débat sur la déchéance de la nationalité qui occupe l'espace médiatique mais qui n'aura aucune conséquence de fait sur la lutte contre le terrorisme islamiste...
Ne confondons pas les causes et les conséquences. Modifier la constitution n'aura aucune incidence sur les causes du mal.
Si la gauche reprend des thèmes de droite c'est pour se donner une apparence d'autorité mais traiter les racines du problème, c'est une toute autre histoire.

Dans un second temps, il faut dire que la mesure de déchéance proposée par François Hollande et qui fait tant débat à gauche n'est que symbolique et même anecdotique . La déchéance de nationalité existe déjà. Elle peut s'appliquer aux binationaux naturalisés. Il n'y a eu eu que 27 cas depuis l'application de la loi de 1973...! François Hollande veut l'étendre aux binationaux nés Français. C'est dérisoire. Les terroristes se fichent pas mal de ces questions juridiques. Les islamistes qui ont opéré en France en janvier et novembre sont soit étrangers, soit totalement Français. Il n’y avait que 2 binationaux (un franco-algérien et un franco-belge)....

La vraie question n’est pas celle de la déchéance de nationalité mais celle de l’acquisition de la nationalité! Et la droite doit absolument s’en saisir en osant se positionner sans complexe. Personne n'est là pour faire de la surenchère sur un sujet aussi grave mais la droite doit trouver les réponses dans le cadre d'un projet de gouvernement en faisant aussi son mea culpa car elle a été au pouvoir alors que les communautarismes et les fanatismes montaient en puissance. Aujourd'hui, la gauche est en lutte interne entre ceux, assez rares au demeurant, qui suivent le Premier ministre dans une sorte de realpolitik nationale et d'autres, aveuglés par leur idéologie, incarnée par la Ministre de la Justice, totalement à contre emploi et dont les silences sont assourdissants en la matière.

La nationalité ne doit pas se distribuer automatiquement. Une remise en cause du droit du sol est urgente.
Le droit du sang avec l'ouverture de la nationalité française à ceux qui la souhaitent et qui la méritent est une nécessité. L'appartenance à la Nation Française conditionne son unité et son devenir. La multiplication des communautés fera éclater la République. Quelles que soient, nos croyances, nos origines, nos opinions, nous sommes tous,avant tout, des Français. Et la France sera généreuse avec ceux qui l'aiment. Avant 1973, si on voulait devenir Français, il fallait renoncer à sa nationalité d'origine,  il n’y avait pas de binationaux en France. Maintenant, on est allé si loin dans le droit du sol que des gens deviennent Français sans le vouloir et même sans le savoir! Certains possèdent plusieurs nationalités à la fois...

Cette question sur l’état d’urgence est fondamentale. Il ne peut durer indéfiniment. D'ailleurs, actuellement, le système est à bout de souffle. L’état d’urgence est fort car il est exceptionnel et provisoire. Mais pour aller plus loin en luttant sur le temps long et en profondeur contre l'islamisme, un autre système doit prendre le relais.

Et c'est à la Justice de s'en occuper sous trois conditions: extension des possibilités légales d'intervention, augmentation des moyens matériels et humains, réforme fondamentale de la Justice anti-terroriste.
La Justice est gardienne des libertés fondamentales. Le terrorisme porte une atteinte majeure à celles ci. C'est donc à la Justice d'agir.

Le Parquet de Paris, qui a une compétence exclusive en matière de terrorisme, fait un travail remarquable. D'autant plus que ses moyens sont limités et que les procédures sont longues et lourdes. Il faut l'aider en réformant tout le système.

Le 26 novembre j’ai remis une note à l'Elysée en ce sens avec la création d'un procureur national  anti-terroriste, des ramifications dans toutes les juridictions  interrégionnales spécialisées qui s'occupent déjà de la grande criminalité et une Cour d'assises permanente spéciale qui jugera tous ces assassins. La lutte contre le terrorisme exige une structure permanente car la menace est permanente. L'Espagne l'a fait avec l'E.T.A. Il faut le faire avec Daech.

Au lieu d’occuper le terrain médiatique avec la déchéance de nationalité, la droite doit s’engager à fond sur les sujets que j'ai évoqués: revoir les conditions d’acquisition de la nationalité et réformer la justice anti-terrorisme. La seule arme de la démocratie, c’est la loi. Il faut donc l’utiliser pleinement en procédant à ces réformes sans idéologie dans le seul souci de la protection des citoyens et de la sauvegarde de la Nation.

Dominique Jamet : Tout à fait, et j’en suggèrerai même deux. La première, c’est ce que vous venez de dire : le contenu de la révision constitutionnelle est quand même limité. Retirer la nationalité française aux binationaux est une mesure rétroactive qui s’applique aux gens qui ont obtenu d’une manière ou d’une autre la nationalité française. Il serait certainement judicieux de reconsidérer à la lumière des événements actuels les conditions d’accessibilité sous lesquelles on obtient aujourd’hui la nationalité française. Ensuite, faut-il élargir le débat ? C’est ce que fera probablement la droite. Elle proposera des amendements de diverses sortes, soit de forme, soit de fond. Donc est-ce qu’il n’y a pas lieu de revenir sur l’automaticité de l’accession à la nationalité française et d’élargir finalement le débat au droit du sol ?

Michel Lacroix : Ma réflexion est plus d'ordre philosophie politique. Le problème de la nationalité est un problème fondamental. Nous sommes en train de découvrir que nous ne faisons pas que vivre en société. Nous ne sommes pas juste une société. Nous formons une patrie, et c'est une nuance importante. Dans  l'idée de patrie, il y a l'idée affective et une dimension sacrée. D'un point de vue grammatical, on dit volontiers qu'on vit en société, mais on aime sa patrie et on la révère comme quelque chose de sacré. Quel est le signe juridique d'appartenance à la patrie ? C'est la nationalité. Elle a donc un caractère sacré. Cela justifie donc les interrogations sur la signification de la nationalité, en quoi la nationalité française est-elle particulière, comment est-ce qu'on l'obtient, à qui la donne-t-on, à qui devons-nous la donner, comment devons-nous l'entretenir, etc. La nationalité française est d'abord et avant tout un cadeau magnifique, un privilège et une chance immense dans le monde d'aujourd'hui. Qu'on ait eu ce cadeau par les liens du sang,  en naissant sur le sol français de parents étrangers ou par la naturalisation, peu importe ! Prenons un peu de recul et considérons qu'avoir la nationalité française est une chance immense dans le monde d'aujourd'hui. Nous sommes un pays de liberté. Nous sommes riches à la fois par notre particularisme identitaire (la beauté de nos paysages et de notre langue, la richesse de notre patrimoine, notre climat, etc.) et par notre universalisme. "Être heureux comme Dieu en France", dit un proverbe allemand. Nous sommes à la fois un jardin magnifique et un phare qui rayonne sur le monde entier. Nous sommes un pays de longue civilisation. Je voudrais attirer l'attention de vos lecteurs sur cette chose toute simple et qu'on a tendance à oublier parce qu'on est parfois prompts à la morosité, au dénigrement, etc.

Ce cadeau a comme propriété d'être potentiellement offert à tous dans la mesure où notre conception de la patrie française n'est ni ethnique, ni biologique, ni génétique et encore moins raciale. Nous sommes une nation contractualiste. C'est-à-dire qu'il est possible de l'intégrer par la simple procédure de la volonté, par le consentement. Ernest Renan disait "La France est un plébiscite de tous les jours". Je souhaiterais d'ailleurs que les enfants qui sont nés en France de parents étrangers, et qui sont donc juridiquement français, puissent exprimer de façon assez solennelle ce consentement à devenir français, ce plébiscite par lequel ils adhèrent pleinement à la nation française. On a un cadeau, qui est celui de la nationalité française, qui est potentiellement offert à tous, qu'on soit français dits de souche ou nouveaux venus dans la communauté nationale.

Toutefois, du fait que nous sommes les bénéficiaires de ce cadeau, nous avons des devoirs en contrepartie. Avoir la nationalité française, c'est recevoir un cadeau et donc contracter une dette, d'une certaine manière. Une dette envers la France et envers l'héritage que constitue la civilisation française. Cette dette va être un tout petit peu différente selon que je sois un Français de souche ou un nouveau venu. Si je suis un Français de souche, j'ai pour devoir de conserver cet héritage, de le connaître et de le faire vivre. Si je suis un nouveau venu dans la communauté nationale, mon devoir sera plutôt dans un premier temps, pour les premières générations, de l'assimiler. Mais peu importe, au fond ! Que je sois gardien de l'héritage ou que j'essaye de l'assimiler, dans les deux cas j'exprime ma volonté d'être français et de continuer à être français. Je concrétise ce fameux plébiscite de tous les jours par le souci de la conservation ou de l'assimilation de l'héritage.

Qu'est ce que cela veut dire concrètement ? C'est une sorte de cérémonie, à 18 ans… ?

Michel Lacroix : La cérémonie de naturalisation a une importance capitale. Elle a un caractère de solennité qui m'a plu. J'y ai assisté et cela m'a assez plu. J'ai détaillé plusieurs points sur lesquels je peux manifester mon attachement à la nationalité française.

1)      D'abord l'usage de la langue. J'avoue que je suis toujours un peu choqué de voir se répandre les langues étrangères sur le sol français. Je les aime beaucoup, mais je trouve que lorsqu'on est en France, l'un des premiers devoirs qu'on a, c'est d'en apprendre la langue et de la parler. Il y a un tas de bénévoles, de mairies, d'associations qui mettent à la disposition des populations venues de l'étranger des cours de soutien, d'alphabétisation, etc.

2)      Les valeurs, qui sont les principes de 1789 : la laïcité, la sécularisation, l'égalité entre l'homme et la femme. C'est un deuxième point extrêmement important.

3)      Les traditions. Par exemple, la tradition des vêtements. Je trouve qu'il y a une tradition de l'élégance française. La femme française est une femme élégante. Je déplore un tout petit peu de voir que cette élégance, ce costume de la femme française n'est pas toujours aussi répandu qu'il pourrait le faire. Je vois au contraire des costumes étrangers qui me font m'interroger sur le pays dans lequel j'habite. Cela me choque un tout petit peu de voir des femmes s'habiller autrement qu'à la française.

4)      La connaissance de notre histoire. Quelles que soient mon origine et mes racines, à partir du moment où je suis un citoyen français, l'histoire de France est mon histoire. Je trouve que ceux qui ironisent en disant qu'on ne peut pas apprendre "Nos ancêtres les Gaulois" à des enfants qui viennent d'autres pays sont dans l'erreur. Elle n'est probablement pas notre histoire au sens biologique, puisqu'il n'y a aucune probabilité pour que tel enfant du Maghreb, d'Afrique noire ou d'Indochine ait un lien biologique quelconque avec les Gaulois. Mais il a un lien symbolique, spirituel. Dès qu'il appartient à la nation française, il doit s'approprier l'histoire de France. C'est un point d'une importance capitale à mes yeux. J'aimerais que les grandes figures de notre histoire nationale fassent partie du panthéon personnel de tout ressortissant français.

5)      Être français, cela veut dire très clairement que l'attachement à la patrie française doit prévaloir sur l'attachement à toute autre forme de groupe. C'est-à-dire que la patrie l'emporte sur les communautés auxquelles je peux appartenir. L'attachement à la patrie française doit prévaloir sur toute autre nationalité que je pourrais avoir. La loi sur la double voire triple nationalité est très bien, mais nous sommes légitimement en droit d'attendre d'un citoyen français qu'il classe l'appartenance à la patrie française au-dessus des autres appartenances nationales qu'il peut avoir. L'attachement à la patrie française doit également prévaloir sur les attachements régionaux, que ce soit les Bretons, les Corses, les Auvergnats, etc. Il doit également l'emporter sur l'attachement à la patrie européenne, et Dieu sait que je suis profondément pro-européen. Et je serais même d'autant plus européen si j'ai les affects bien ancrés dans la patrie française.

Concrètement, qu’est-ce que la droite pourrait demander à mettre en place sur ce sujet ?

Dominique Jamet : Il y a trois réponses possibles. La première, que l’on commence à entrevoir et qui a d’ailleurs plutôt été suggérée par la gauche, c’est qu’il existe dans notre passé historique et judiciaire des mesures symboliques qui seraient tout aussi significatives que cette déchéance réservée aux binationaux et qui entraînerait les mêmes effets. L’indignité nationale ou la dégradation nationale seraient des mesures tout aussi significatives. La dégradation nationale consiste à retirer ses droits civiques à quelqu’un qui a fauté et commis des crimes. Deuxième élément, dont on n’a bizarrement toujours pas parlé : on nous dit que cette mesure est symbolique dans le sens où elle ne s’appliquera qu’à peu d’individus. Qu’en sait-on ? Sous prétexte que depuis une dizaine d’années, une douzaine de personnes ont été privés de la nationalité française, on fait comme si le nombre tendra à rester le même. Or, j’ai l’impression que les données statistiques que nous avons donnent à penser que le cas pourrait se poser beaucoup plus fréquemment que par le passé. Ce qui est très curieux, c’est que face à une situation qui semble pouvoir concerner un assez grand nombre de citoyens français, il n’a pas du tout été question jusqu’à présent de la façon dont on les jugera, dont on les traitera, des peines qu’ils encourent, du dispositif à mettre éventuellement en place pour faire face à ce problème nouveau. Et puis la droite serait intelligente et s’honorerait si elle faisait remarquer l’absurdité, l’illogisme et l’immoralité qu’il y a à envisager cette mesure uniquement pour les Français disposant d’une double nationalité, car il est impossible de comprendre pourquoi il serait moins grave qu’un Français de souche tire sur ses compatriotes qu’un Français de naturalisation plus récente.

Pour les attentats de janvier, on était bien en présence de Français non-binationaux…

Dominique Jamet : Oui, et comme le faisait d’ailleurs remarquer récemment dans une tribune quelqu’un qui a la bi-nationalité et qui s’élevait contre cette mesure discriminatoire, il y a actuellement en Syrie des gens qui sont parfaitement, totalement et anciennement français, convertis à l’islam, et qui ne sont pas concernés par cette révision constitutionnelle. On a laissé leur cas de côté. C’est une lacune qui montre à quel point ce projet de révision constitutionnelle a été élaboré dans la précipitation et sans réflexion.

Est-ce que la droite ne doit pas passer du symbole au concret ? Est-ce que ce n’est pas une opportunité pour la droite de mettre à mal la gauche à ce niveau-là ?

Dominique Jamet : Idéalement, oui. Mais on retrouve ici le piège dont vous me parliez au début. Je vous rappelle que la droite n’est pas au pouvoir, et ce n’est pas elle qui décide de l’agenda. Quoiqu'il en soit François Hollande a tiré un avantage politique des attentats. Il y a eu une hausse de sa popularité et un rassemblement autour du père de la nation. Mais il se pourrait qu’il soit en train de rater son coup et de perdre l’avantage qu’il avait acquis. Il n’est pas certain qu’il fasse passer cette mesure qui est perçue par la droite comme un piège. Il est en revanche certain que s’il essaye d’aller jusqu’au bout de cette révision constitutionnelle, cela laissera des traces considérables dans l’électorat et chez les dirigeants de la gauche.

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