Débrancher Libé ? La très longue histoire des difficultés financières du quotidien<!-- --> | Atlantico.fr
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Libération a déjà atteint le stade du dépôt de bilan, en 2006.
Libération a déjà atteint le stade du dépôt de bilan, en 2006.
©Reuters

Stop à la gabegie !

Libération a déjà atteint le stade du dépôt de bilan, en 2006. En vertu du droit commun des sociétés, le titre doit désormais être nationalisé ou liquidé, car il ne peut vivre sans l’argent de l’Etat. Il est temps de mettre fin à la respiration artificielle sur fonds publics de nos titres de presse comateux depuis 10 ans.

Benjamin Dormann

Benjamin Dormann

Benjamin Dormann a été journaliste dans la presse financière et trésorier d'un parti politique. Depuis 18 ans, il est associé d'un cabinet de consultants indépendants, spécialisé en gestion de risques et en crédit aux entreprises. Il est executive chairman d'une structure active dans 38 pays à travers le monde. Il est l'auteur d’une enquête très documentée : Ils ont acheté la presse, nouvelle édition enrichie sortie le 13 janvier 2015, éditions Jean Picollec.

Le débat continue sur Facebook : ils.ont.achete.la.presse et [email protected].

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Un ami m’interpelle récemment : « Tu as lu cette nouvelle : deux dépêches AFP, l’une dit « On peut et on doit sauver Libération » ?, et l’autre sur « le sort de libération », ils disent que Libé pourrait déposer le bilan avant la fin de l’année.Tu y crois, toi ? Moi, je pense qu’ils ne laisseront jamais déposer Libération »

Cette question, qui contient deux inexactitudes, illustre, à elle seule, l’état de désinformation ambiant, et un triste sentiment largement répandu : c’est le pouvoir politique qui va, en coulisses, décider de l’avenir de Libération, et une fois de plus, avec l’argent de contribuables non consentants.

Première inexactitude : ce n’est pas une nouvelle. Deuxième : Libération a déjà déposé le bilan, depuis longtemps, ce qu’aucun journaliste n’a l’air de savoir. Tout le bruit autour du projet d’espace culturel avec restaurant occulte ce qui devrait être le vrai débat sur le sort de ce quotidien : si l’on respecte le droit commun des sociétés, Libération doit désormais soit être nationalisé, soit être liquidé, car ne peut vivre sans l’argent de l’Etat, Tout le reste ne sera qu’une continuité des tripatouillages politiques et financiers actuels, qui sont la honte de notre presse et de notre gouvernement, et ne lui offrent aucun avenir. En ce qui me concerne, mon choix est fait. Si l’on veut accélérer le transfert de recettes publicitaires du papier vers le net, alors il faut arrêter de d’accrocher à des titres papiers moribonds qui captent encore l’essentiel de ces recettes.

« Il faut sauver Libération », une nouvelle ? Bien sûr que non. Seulement un vieux choix politique. En Novembre 2006, notre premier Ministre, Jean-Marc-Ayrault, alors président du groupe socialiste de l'assemblée nationale, après avoir reçu les représentants du personnel de Libération, publiait un communiqué déjà intitulé "Il faut sauver Libération", n’hésitant pas à dramatiser : "La disparition de Libération serait un jour noir pour le mouvement des idées dans notre pays". Il y affirmait déjà qu’il était "indispensable que l'ensemble de la communauté nationale les aide afin de défendre le maintien d'une presse libre et pluraliste".

Continuer à inonder Libération d’argent public, indispensable ? Indispensable à qui ? Aux parlementaires, de gauche comme de droite, qui le lisent tous les jours, depuis qu’ils ont préparé Science-Po, et qui expliquent que ce serait très grave pour notre pays que Libé disparaisse, comme si on leur cassait leur jouet d’enfance, ou leur outil chéri de communication ? Ou indispensable à l’immense majorité des Français, qui, eux, ne le lisent plus depuis longtemps et en ont assez d’être taxés pour « les copains de la presse », sous prétexte de défense de la liberté d’expression ? Ils ne sont plus dupes.

La semaine dernière, notre ministre de la culture Aurélie Filippetti abondait sans surprise dans le sens de cette pensée unique : "Nous travaillons, notamment avec le Ciri, pour essayer d'accompagner ce journal auquel évidemment nous tenons tous". Non, madame la ministre, nous ne tenons pas « évidement » tous à Libération. Certains d’entre nous tiennent davantage au respect de certains principes, dont l’indépendance de la presse, dut Libération être liquidé, faute de lecteurs désireux de lire ce qu’écrivent ses journalistes. Faut-il vous rappeler, à vous la Lorraine, que nous avons bien fait de fermer certaines mines de charbon, même si « évidemment nous y tenions tous », si l’on se situait sur votre registre sentimental irresponsable.

La particularité de de notre presse dite « libre et pluraliste », c’est qu’elle vote à plus de 70% pour le gouvernement en place, et est soutenue par 100% de nos parlementaires, car tous ont hélas besoin d’elle pour leur carrière politique qui dépend désormais tant d’elle. En cela, les parlementaires ne représentent plus leurs électeurs, qui sont pour leur part las de la médiocrité de leur presse, de son insuffisance de travail d’information et de sa connivence avec le pouvoir.

Pour preuve de cette connivence, les journalistes sont régulièrement reçus en personne par nos députés et ministres, lorsqu’ils souhaitent s’épancher sur leur manque de lecteurs, et réclamer du coup une nouvelle niche fiscale ou un nouveau régime de faveur. Pour preuve encore, cette lamentable unanimité de l’assemblée nationale, votant en catimini une baisse de 17,9% de la TVA de la presse en ligne, en violation de nos engagements Européens, pendant que toutes les autres professions subissent, elles, des hausses de TVA. Cette baisse de TVA fut votée en s’appuyant en grande partie sur les arguments faux d’Edwy Plenel, qui a monopolisé la parole, tous média confondus, sur ce thème, et en l’absence de débat contradictoire possible. Les opposants à cette loi inique, dont je suis, ont été parfaitement maintenus sous silence. Il est vrai qu’Edwy Plenel n’est pas un citoyen ordinaire. Lorsque son site Mediapart subit un redressement fiscal, parce qu’il refuse d’appliquer la loi fiscale et s’en vante, Edwy Plenel s’en offusque et est immédiatement reçu, avec son syndicat le Spiil, par les trois ministres en charge de la presse, du numérique et des questions fiscales, pour pouvoir faire part de son indignation, et remettre en cause les sommes dues. Combien de contribuables sont-ils traités avec autant de déférence et favoritisme ? 

Libération risquerait le dépôt de bilan cet été ? Faux. Libération a déjà déposé le bilan, en 2006 (cessation de paiement), ce qui s’est traduit par l’ouverture d’une procédure judiciaire de sauvegarde.Le plan de sauvegarde en cours, homologué par la Tribunal de commerce en décembre 2007, prévoyait un étalement sur 10 ans de plus de 15 millions d’euros de dettes, la liste des créances nées après le jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire étant publiée en 2009. Le plan de remboursement était progressif, les annuités de la dette fiscale et fournisseurs à rembourser triplant à partir de décembre 2013. Cet échéancier n’a pas été respecté, ce qui explique les nouveaux rééchelonnements récents, portant sur plus de 6 millions de dettes ; les banques ayant déjà du abandonner la majorité de leurs créances.

Pour mémoire, l’addition est choquante : Libération a reçu plus de 10 m€ de subventions en 2012, a vu sa TVA Internet réduite de 90% cette année, a vu sa dette impayée à nouveau étalée, a organisé des débats privés subventionnés et soutenus par la présence de multiples ministres en exercice, vient de recevoir une nouvelle avance étatique de trésorerie : 3 millions d'euros, (des aides à la presse dues à Libération pour 2014, alors que rien ne dit que le titre passera l’année). Malgré tout cela, le trou se creuse, et les journalistes sont en grève, traitant ses actionnaires de tous les noms… Trop, c’est trop. Même Edwy Plenel a compris que, dans une entreprise, on ne peut pas passer son temps à dépenser l’argent d’un actionnaire, tout en l’insultant, et en demandant à l’Etat de lui en trouver un autre, à bourse déliée, une fois le précédent rincé.

La respiration artificielle sur fonds publics de nos titres de presse comateux depuis 10 ans, ça suffit ! C’est indécent et injuste. Aucune entreprise n’est à ce point portée à bout de bras, en France, si ce n’est l’Humanité, à qui les parlementaires viennent de voter un nouveau cadeau scandaleux de 4 millions d’euros. Les millions engloutis dans France-Soir ont été perdus, les millions engloutis dans L’Humanité et Libération le sont à pertes ; depuis plus de 10 ans, il n’existe aucun signe que leur produit se redresse et se remette à intéresser des lecteurs, pour des raisons notamment décrites par Serge Federbusch

Alors Stop à la gabegie !

Rappelons que l’’Etat a abandonné sa créance de 4 millions avec intérêts sur le journal l’Humanité au motif que "L'Humanité ne peut faire face au remboursement de sa dette contractée auprès de l'État […] parce que ses résultats financiers sont très faibles et qu'elle ne possède plus d'actifs". L’Etat devient fou, aveuglé par son obsession d’avoir les faveurs d’une presse qui ne demande qu’à se vendre, il lui cède tout et n’importe quoi. Si l’on suivait son raisonnement, alors, par équité, il faudrait effacer toutes les dettes fiscales et sociales de tous les passifs des 63.000 sociétés françaises qui déposent le bilan chaque année !

Il est plus que temps que la presse découvre les règles du régime de droit commun des sociétés. Certains titres et sites majeurs disparaîtront ? Il est grand temps ! Cela fera plus de place à des nouveaux titres et sites plus dynamiques et innovants, comme Atlantico ! C’est le principe de la fameuse « destruction créatrice » de Schumpeter, qui s’applique à tous les autres métiers privés en France.

Aujourd’hui, ce qui est réellement menacé en France, ce n’est pas la liberté de la presse d’information d’un journal idéologique à bout de souffle, contrairement à ce que nous répète le pouvoir, mais c’est la liberté d’informer sur la presse.

Publier un livre sur la presse, décrire les faits dont elle refuse de parler, critiquer son état de paresse et de politisation, son incapacité à se réformer et son addiction aux subventions politiques est devenu un parcours du combattant, dans notre pays. J’en sais quelque chose. Pour la petite histoire, après une censure par Audrey Pulvar de mon interview sur Youtube, et après une tentative de bloquer sa parution, la totalité des exemplaires de mon essai « Ils ont acheté la presse » a été rapidement achetée, rendant l’ouvrage étrangement indisponible, et en vente illégalement sur Amazon à 50 € ! De longs mois plus tard, un retour massif inhabituel de livres volontairement détériorés a été fait à mon éditeur, obligé financièrement d’en assumer le coût. Elle est belle notre fameuse « liberté d’expression », au nom de laquelle tant de millions auront été donnés à Libération et à l’Humanité, entre autres protégés… Cela n’empêchera pas la nouvelle version enrichie de mon essai de sortir le mois prochain, sous le même titre. Quel que soit le prix à payer pour cette volonté de faire savoir. 

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