Débauche des puissants, lâcheté des opposants, impuissance du peuple : quand "Lorenzaccio" prend des accents contemporains et devient un message politique<!-- --> | Atlantico.fr
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Lorenzo et Philippe, dans la pièce de Gérald Garutti.
Lorenzo et Philippe, dans la pièce de Gérald Garutti.
©Mirco Cosimo Maglioca

Edito

La mise en scène de Gérald Garutti transporte l’intrigue du chef d’œuvre romantique d’Alfred de Musset du 16ème siècle à nos jours. Un voyage dans le temps grinçant et qui apparaît hélas évident.

Pierre Guyot

Pierre Guyot

Pierre Guyot est journaliste, producteur et réalisateur de documentaires. Il est l’un des fondateurs et actionnaires d’Atlantico.

 

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Autant qu’un classique du théâtre romantique, c’est un essai politique que propose Gérald Garutti avec sa mise en scène de « Lorenzaccio ».  Cinq actes, quatre-vingt personnages, des dizaines de décors, le chef d’œuvre d’Alfred de Musset n’a pas pour rien la réputation d’être « la pièce impossible à monter » dans l’imaginaire des professionnels des planches.

Plus encore que les scènes qui s’enchainent à un rythme plus cinématographique que théâtral, c’est en effet la modernité du texte qui frappe le spectateur, soulignée par les partis pris de ce jeune metteur en scène qui a travaillé Outre-Manche avec la Royal Shakespeare Company et auteur en France du remarqué « Haïm, à la lumière d’un violon », créé il y a deux ans à la Salle Gaveau à Paris.

Lorenzaccio raconte l’histoire (partiellement vraie) de la ville de Florence au 16ème siècle, sous le joug d’Alexandre de Médicis, un despote violent et dépravé. Pour libérer la cité de ce tyran, Lorenzaccio décide de tuer Alexandre. Mais son geste ne fait que souligner la passivité et la lâcheté des grandes familles républicaines qui depuis des années protestent contre l’arbitraire et se montrent incapables, le jour venu, de prendre leur responsabilité et de s’emparer du pouvoir pour le rendre au peuple.

Tout cela a le goût de l’Antique et l’étalage des sentiments déchirants et déchirés rappelle combien Musset fut un enfant de son siècle romantique. Sauf que sous la direction de Gérald Garutti, la Florence des Médicis est transportée au 20ème siècle. Les gardes du Duc Alexandre sont habillés d’uniformes militaires modernes. Ses féroces mercenaires portent des masques tout droit sortis d’Orange Mécanique de Stanley Kubrik et les personnages des écoliers du peuple de Florence deviennent des paparazzis, plus enclins à photographier les bacchanales qu’à s’étonner du vice et de la débauche.

Les toutes premières représentations de cette création au théâtre Montansier de Versailles résonnent donc singulièrement avec l’actualité. Des orgies où les femmes sont prises contre leur gré par les puissants qui choisissent leurs proies, en se promenant en ville, comme on fait ses courses ? Le rapprochement avec le procès du Carlton à Lille est d’autant plus évident que sur scène, les femmes violentées ne portent pas une robe de brocart mais un porte-jarretelles et ne tiennent pas à la main des gants de dentelle mais une cravache.

Les  grandes familles, enthousiastes à dénoncer l’injustice autour du dîner copieux mais qui s’avèrent totalement inaptes à faire face à leur devoir lorsque le moment tant attendu du changement est enfin arrivé ? Elles deviennent chez Garutti des foyers bourgeois, plus intéressés par les serments de salon et la télévision que par l’action. Le spectateur n’a que l’embarras du choix pour trouver des analogies avec les évènements de ces derniers jours… Le désenchantement des citoyens qui ne prennent même plus la peine de se rendre aux urnes pour voter. Le sentiment d’impuissance face à la corruption des élites et à la fraude fiscale avec les chiffres révélés hier par le Swiss Leaks, tellement astronomiques qu’ils assomment souvent plus qu’ils ne permettent de comprendre. L’indifférence qui mène par facilité ou par sournois calcul à ne pas prendre position face au Front national et pactiser avec ceux-là mêmes qu’on prétend combattre.

Le problème, c’est que Musset, déçu par l’échec de la révolution de 1830 lorsqu’il a écrit Lorenzaccio (surprenant et fort réussi tableau de la Liberté guidant le peuple reconstitué sur les planches dans cette mise en scène !!), était de surcroît l’un des grands auteurs romantiques. Peut-être les spectateurs de la pièce auront-ils à cœur de réagir et de ne pas sombreravec délice, en sortant du théâtre, dans la mélancolie et le pessimisme.

« Lorenzaccio » de la compagnie C(h)aractères a été créée à la Ferme des Jeux de Vaux-Le-Pénil et est jouée dans les semaines qui viennent à Versailles, Suresnes et Marseille.

Toutes les dates sur www.characteres.com

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