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Débat sur l’immigration : un consternant surplace collectif
©ALAIN JOCARD / AFP

Politique migratoire

Le débat sur l'immigration s'est tenu hier dans l'après-midi à l'Assemblée nationale. L'occasion pour le gouvernement d'esquisser une politique migratoire notamment marquée par l'ouverture sur la question des quotas.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Atlantico.fr :  Que retenez-vous du discours d'Edouard Philippe ? A-t-il esquissé une politique qui vous semble prendre la mesure des questions d'immigration en France ? 

Eric Verhaeghe : Edouard Philippe a donné le sentiment d'entrer dans ce débat à reculons, en sanctuarisant d'emblée certains tabous imposés de longue date par les élites parisiennes. Ainsi, il a exclu de remettre en cause le droit du sol, le principe même des flux migratoires, et l'aide médicale d'Etat. Dès lors que le pouvoir exécutif fixe ces limites, il choisit une méthode qui vide largement le débat de tout enjeu, et dans tous les cas le transforme plus en une juxtaposition de points de vue, en un dialogue de sourds, plutôt qu'en une délibération démocratique. Qu'on le veuille ou non, l'aide médicale est fortement décriée par les Français ou en tout cas par beaucoup de Français. On peut (et c'est d'ailleurs mon cas) ne pas partager leur frilosité. Mais exclure le sujet du débat est un choix de méthode qui condamne celui-ci.

D'où ce sentiment d'un débat tronqué ou avorté, qui est passé à côté des préoccupations des Français. On est resté dans les tabous traditionnels imposés par les élites bien pensantes, avec leurs lieux communs usés: on ne peut pas pratiquer l'immigration zéro, on ne peut pas supprimer l'aide médical gratuite, on ne peut pas remettre en cause le droit du sol. Surtout, le Premier Ministre a éludé des expressions fondamentales qui sont les marqueurs de ce débat: rien sur l'identité française, dont le droit du sang est le corollaire, rien sur l'Islam, rien non plus sur la politique d'intégration des minorités allogènes présentes sur notre sol. Ce sont pourtant des questions essentielles dans notre vie quotidienne et dans notre destin national.  

Arnaud Lachaize : « Beaucoup de bruit pour rien » ce titre d’une pièce de Shakespeare résume en cinq mots le contenu du discours du Premier ministre et du débat sur l’immigration à l’Assemblée nationale, annoncé depuis plusieurs mois. « Nous n’avons pas obtenu les résultats espérés » a constaté le chef de Gouvernement, avec lucidité et honnêteté face à l’explosion des statistiques de la demande d’asile (127 000 en 2019), de l’immigration régulière (260 000 en 2019) et de l’immigration irrégulière mesurée par l’évolution du nombre d’allocataires de l’AME (320 000). Pourtant, face à ce constat alarmant, on est sidéré par la faiblesse des orientations. Le Premier ministre n’a pas peur de parler de « quotas ». Mais ce thème est le serpent de mer permanent de tous les discours sur la question migratoire depuis au moins 20 ans. On ne sait plus quoi faire : « quota, quotas ! » Or, des quotas ne serviraient à rien dès lors qu’ils ne pourraient s’appliquer qu’à l’immigration professionnelle qui est ultra minoritaire (30 000) par rapport aux énormes volumes de l’immigration familiale (90 000), des études (80 000) et de l’asile qui y échapperaient. Certes, il y a un problème face à la demande d’asile qui explose alors qu’elle baisse partout en Europe. Mais rien de sérieux n’est proposé, sinon de « réfléchir » aux prestations offertes aux demandeurs d’asile, sachant qu’il n’est pas question de toucher au programme du gouvernement de développement des centres d’accueil des demandeurs d’asile et qu’il n’est pas question non plus de réduire les allocations en espèce qui sont d’ailleurs d’un montant dérisoire (moins de 7€ par jour). 

Le Premier Ministre a aussi évoqué une réforme de l'AME. Est-ce utile selon vous ? 

Arnaud Lachaize : Ouvrir une « réflexion » sur le panier des soins offerts par l’AME se présente comme une mesure totalement illusoire : comme si les migrants qui risquent leur vie dans la traversée de la Méditerranée choisissait leur destination en fonction d’un panier de soins offerts par le pays de destination ! 

Les interventions des autres responsables politiques ont-elles été de leur côté à la hauteur des enjeux d'immigration ? 

Eric Verhaeghe : L'opposition a rendu au gouvernement la médiocrité de son propos. Marine Le Pen et Mélenchon sont restés dans leur registre habituel. On notera, au-delà des formules imagées, que Marine Le Pen n'a pas clairement posé sur la table la question de l'Islam, et Mélenchon a occulté l'hostilité grandissante des milieux populaires vis-à-vis des nouveaux arrivants, vécus comme des remplaçants. On peut savoir gré aux Républicains d'avoir tenté de construire une alternative sur la question du droit du sang. Mais on a bien senti que chaque force institutionnelle prenait bien soin de ne pas laisser entrer dans l'hémicycle les thèmes et thèses somme toute repoussoir avancés par Eric Zemmour. On peut même dire que le débat dans l'hémicycle s'est efforcé de faire de l'anti-Zemmour.

Qu'est-ce qui n'a pas été dit ? La question de l'intégration a-t-elle été abordée de front ? 

Eric Verhaeghe : Les Français n'ont, à l'occasion de ce "débat", retrouvé aucun des marqueurs auxquels ils sont habitués sur le sujet. Que les députés ne se positionnent pas clairement sur la notion de "Grand Remplacement" peut se comprendre. Sur ce point, les propos incendiaires de Zemmour ont plus compliqué le sujet qu'ils ne l'ont simplifié. Il est devenu très délicat, depuis le discours de la convention de droite, de s'exposer à une "assimilation" à Zemmour pour les politiques. Mais on aurait aimé entendre leurs propositions vis-à-vis de ce qui angoisse les Français, la montée d'un Islam radical, sa banalisation notamment au sein des communautés maghrébines ou sahéliennes, qui revendiquent de plus en plus ouvertement une subversion de l'ordre républicain. 

Que faire pour endiguer cette montée des tensions sans s'exposer au risque d'un dénouement qui ne serait pas fluide? Cette question-là, centrale, n'a pas été traitée ni débattue. Pourtant des attentats comme celui de la Préfecture de Police montre que le danger rôde, même si nos élites continuent à le nier et à stigmatiser tous ceux qui l'évoquent. 

Que faudrait-il envisager pour bouleverser réellement la politique migratoire ? 

Arnaud Lachaize : Pour créer les conditions d’une maîtrise de l’immigration, il faudrait bouleverser les règles et les pratiques de la politique française, notamment en montrant une fermeté inflexible contre les passeurs esclavagistes qui organisent l’immigration clandestine et tous ceux qui en profitent et facilitent ce trafic. Or clairement, ce point n’est pas du tout à l’ordre du jour. Il est à craindre que l’exercice de l’Assemblée nationale, dominé par les postures (« non à l’immigration zéro ! ») ne soit rien d’autre qu’une opération de nature politicienne comme une autre destinée, non pas à améliorer la situation, mais à promouvoir le RN/FN dans son rôle d’opposant privilégié au pouvoir macronien afin d’assurer la réélection de 2022. De même, en refusant tout lien entre immigration et problèmes du communautarisme, comme si ce dernier n’était pas en partie la conséquence d’une maîtrise insuffisante des flux migratoires dans certains quartiers, le Premier ministre semble clairement adopter le discours du déni de réalité. 

Sur la forme, comment expliquer que l'Assemblée ait été à trois quart vide ? Ce type de débat peut-il faire évoluer le traitement des questions migratoires ? 

Eric Verhaeghe : Ce débat hors sol n'était accompagné d'aucun texte, ni d'aucune perspective d'action à court terme. Les députés ont massivement préféré les travaux en commission, ce qui peut se comprendre en période budgétaire. Simplement, si l'on met bout à bout l'absentéisme dans l'hémicycle et la vacuité des débats, les Français en ressortent forcément avec un sentiment de malaise. D'une part, l'impression qui en ressort est celle d'un désintérêt de la représentation nationale pour les préoccupations quotidiennes des Français les plus modestes, ceux qui vivent dans les quartiers les plus mélangés. D'autre part, l'opinion peut commencer à se dire qu'entre le discours de Zemmour et les tabous traditionnels, élitaires, sur l'immigration, il n'existe pas de moyen terme. Soit on continue le déni, soit on adhère à une stratégie de confrontation. A long terme, cette dichotomie peut être très dangereuse pour le débat public, car elle participe à un antagonisme grandissant au sein de la communauté nationale. 

Cette difficulté de la représentation nationale à prendre le pouls du pays et de ses attentes est porteuse de graves clivages. 

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