Débat sur i-Télé : Xavier Bertrand et Pierre de Saintignon à la peine pour gérer le nouveau tripartisme incarné par Marine Le Pen <!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen sur I-Télé.
Marine Le Pen sur I-Télé.
©Capture d'écran

Nouvelle donne

En participant au débat sur I-Télé, Marine Le Pen a bien montré qu’elle ne refusait pas la confrontation avec ses principaux rivaux régionaux, en l’occurrence Xavier Bertrand (Les Républicains) et Pierre de Saintignon (Parti socialiste).

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Maintenant que le fameux débat a eu lieu, quelle conclusion peut-on tirer de cette brève mais intense polémique qui a accompagné l’émission Des Paroles et Des Actes (DPDA) ? Et si quelque chose de nouveau était en train de se jouer avec le FN ? Et que penser de l’attitude de Marine Le Pen ? A-t-elle eu raison de se désister au dernier moment, quitte à prendre le risque d’apparaître comme quelqu’un qui refuse le débat ?

Disons d’emblée que ce dernier argument ne tient pas : en participant au débat sur I-Télé, Marine Le Pen a bien montré qu’elle ne refusait pas la confrontation avec ses principaux rivaux régionaux, en l’occurrence Xavier Bertrand (Les Républicains) et Pierre de Saintignon (Parti socialiste). A-t-elle pour autant confirmé qu’elle maitrisait bien les dossiers locaux ? Il est difficile de trancher car le débat n’a pas été un grand moment politique. Les questions régionales n’ont certes pas été oubliées, mais elles ont été fortement court-circuitées par les enjeux nationaux, comme cela était prévisible. Les stratégies des trois orateurs étaient assez attendues. Pour Marine Le Pen, l’objectif était clair : elle devait se contenter de conforter sa position de favorite ; il lui fallait donc éviter d’apparaître trop radicale, trop agressive, ce qu’elle a su plutôt bien faire, au point même de paraître un peu en retrait dans la discussion, donnant parfois le sentiment de quitter son statut de contestataire du système pour gagner en crédibilité.

De son côté, Xavier Bertrand devait au contraire rattraper son retard, ce qui le poussait à tout faire pour discréditer Marine Le Pen tout en essayant de séduire les électeurs tentés par le vote FN, mais sans oublier de rassurer les électeurs centristes, deux choses difficiles à mener de front. Du coup, il a choisi d’être très agressif à l’égard de la candidate frontiste, n’hésitant pas lancer des attaques personnelles virulentes (il a même parlé de « vampire »). Cette stratégie offensive n’est pas absurde : certes, en étant agressif, il court le risque de casser son image de responsable politique modéré, et il permet même à Marine Le Pen de marquer des points puisque celle-ci s’est empressée de rappeler qu’elle refusait les attaques personnelles. Malgré tout, Xavier Bertrand se donne désormais la possibilité de lancer des propositions plus radicales à destination des électeurs frontistes sans courir le risque d’être taxé de complicité lepéniste. C’est d’ailleurs ce qu’il a commencé à faire avec une proposition pour le moins hasardeuse : envoyer l’armée pour s’occuper des migrants à Calais. Cette proposition lui a valu un tir groupé de la part de Marine Le Pen et de Pierre de Saintignon, qui n’ont pas manqué desouligner le caractère déplacé d’une telle proposition.

Reste alors la position la plus délicate, celle du socialiste Pierre de Saintignon. Ce dernier est à la peine dans les intentions de vote, ce qui est logique puisqu’il est un inconnu du grand public et qu’il souffre de la mauvaise image de la gauche. Vice-président du conseil régional sortant (il prend la suite de Daniel Percheron, 73 ans, non candidat), il n’avait guère d’autres options que demettre en avant son travail de terrain et sa connaissance des dossiers locaux, tout en prenant ses distances avec le gouvernement socialiste dont l’impopularité le plombe sérieusement (Xavier Bertrand a tenté de contrer cette posture en lui lançant : « vous êtes le François Hollande de la région »). Face à ces deux poids lourds de la politique nationale, qui ne lui ont guère laissé de place dans le débat, Pierre de Saintignon s’en est plutôt bien sorti, notamment lorsqu’il s’est lancé dans un plaidoyer enflammé en faveur de l’accueil des migrants, thème qui touche particulièrement les électeurs de gauche.

Cela étant, une fois le débat terminé, on comprend mieux pourquoi Marine Le Pen n’est pas allée sur France 2 quelques jours plus tôt. Il faut d’abord reconnaître que la chaîne n’a pas été correcte. La modification du programme initial sous la pression du PS et des Républicains est en soi un problème (revient-il aux partis politiques de fixer le contenu des programmes ?), d’autant que cette modification a été avalisée par le CSA, lequel n’a eu manifestement aucun scrupule à contredire les principes qu’il avait lui-même forgés en vue de la campagne pour les élections régionales. Ce revirement du CSA est aussi un problème.

Initialement, l’émission Des Paroles et Des Actes faisait partie d’un ensemble de trois émissions où devaient intervenir successivement Marine Le Pen, Manuel Valls et Nicolas Sarkozy. Ces émissions ne concernaient pas les élections régionales, mais le futur scrutin présidentiel de 2017. C’est pourquoi Marine Le Pen devait être opposée à des personnalités nationales (Stéphane Le Foll pour le gouvernement et Jean-Christophe Lagarde pour l’UDI). Suite aux pressions politiques du PS et des Républicains, les organisateurs de DPDA ont décidé d’ajouter une séquence supplémentaire, au cours de laquelle Marine Le Pen devait se retrouver face à ses opposants régionaux, Xavier Bertrand et Pierre de Saintignon. Marine Le Pen a fait valoir que l’émission devenait trop longue, ce qui n’est pas faux. Mais l’argument décisif est plutôt que, avec cette modification, la stature nationale de Marine Le Pen en prenait un coup puisque celle-ci se trouvait ramenée à son statut de candidate régionale. De plus, l’émission allait clairement donner un nouveau souffle à Xavier Bertrand et Pierre de Saintignon, lesquels se verraient reconnus comme des partenaires de rang égal. Marine Le Pen n’avait aucune raison de leur faire un tel cadeau.Certes, en annulant sa participation, elle s’est privée d’un écho médiatique important. Mais elle préserve aussi son statut de personnalité politique nationale et renforce son caractère « à part » dans la vie politique. Elle peut aussi se présenter comme une victime des pressions politiques,ainsi quedu manque d’éthique des médias.

Mais au-delà, cette mini-crise politico-médiatique est significative d’un changement important : désormais, le FN a la possibilité d’interférer sur l’agenda médiatique autrement qu’en lançant des provocations dont la conséquence est de le rendre infréquentable. Aujourd’hui, il met ses adversaires dans des situations plus complexes. Il les pousse à renforcer malgré eux son statut de victime sans que le FN ait besoin de surenchérir. Cette situation inédite devrait faire réfléchir ceux qui entendent lutter contre le FN avec les recettes d’autrefois, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.

Par exemple, pour revenir au débat sur i-télé, on a pu voir que le candidat du PS comme celui des Républicains ont utilisé le même argument contre Marine Le Pen : celui de jouer sur la peur. C’est un argument classique, mais qui devient de plus en plus problématique. Ne faudrait-il pas commencer par admettre que certains électeurs ont effectivement peur, et que leur peur n’est pas illégitime, surtout dans le contexte actuel, qui est effectivement très anxiogène ? Refuser de prendre en compte cette peur ne revient-il pas à envoyer un message de mépris à l’égard d’électeurs qui ne se considèrent pas comme des fous ou des irresponsables, mais comme des gens lucides qui attendent des réponses précises ?

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