De Washington à Moscou en passant par Paris : ce que la France peut vraiment espérer de la semaine diplomatique de François Hollande <!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande et Barack Obama.
François Hollande et Barack Obama.
©Reuters

Globe trotteur

Dix jours après les attentats de Paris, le Président François Hollande a entamé lundi 23 novembre une intense tournée diplomatique ponctuée par de nombreuses rencontres. Seul objectif : mettre en place une coalition unique contre l’Etat islamique.

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Lundi 23 novembre François Hollande a rencontré David Cameron notamment dans le but de le convaincre de de réaliser des frappes aériennes contre l'Etat islamique. Mardi 24, c'est Barack Obama qu'il rencontre à Washington pour que l'armée américaine intensifie ses frappes. Mercredi il devra rencontrer Angela Merkel afin qu'elle intervienne militairement en Syrie, Poutine : coalition internationale élargie... Quels seront les éventuels points de blocage de ces différentes négociations ? 

Alain Rodier : Le président Hollande se lance dans "mission impossible". En effet, au delà des bonnes intentions de principe, les intérêts et les obligations politiques des uns et des autres sont, au mieux, contradictoires. Une seule idée force: il faut combattre le terrorisme d'origine islamique radicale même si les différents dirigeants de chaque État ont du mal à prononcer ces mots. Le minimum est de désigner clairement l'ennemi, et même cela est sujet à interprétations. Je rappelle que la "guerre contre le terrorisme" ne veut rien dire, car on ne lutte pas contre un moyen mais contre une cause. Là, c'est le salafisme-djihadisme. Par contre, il est évident qu'il ne faut pas tomber dans le piège des islamistes radicaux qui ne rêvent que de monter les populations vivant en Occident les unes contre les autres.

Alors, dans l'ordre, examinons les points d'achoppement.

Pour la Grande Bretagne, le Premier ministre Cameron est obligé de soumettre au vote du parlement une éventuelle intervention en Syrie. Quand on connaît le résultat du précédent vote lorsque la coalition internationale formée des États-Unis, de la Grande Bretagne et de la France (c'est bien mais c'est tout) devait "punir" Bachar el-Assad pour les frappes chimiques qui lui avaient été attribuées (et non formellement prouvées à ce jour), il est légitime de s'interroger sur la volonté de nos amis britanniques de s'engager plus avant. En outre, sur un plan purement technique, l'armée britannique est exsangue suite aux différentes interventions qu'elle a mené à l'extérieur depuis des années alors que son budget a été en constante diminution. Si demain elle participe au frappes en Syrie, cela sera surtout symbolique.

En ce qui concerne les États-Unis, ils assurent déjà plus de 90% des bombardements en Irak et en Syrie (si l'on ne compte pas les Russes dans ce dernier pays). Ne voulant absolument pas s'engager au sol, les expériences afghane et irakienne sont passées par là, il est difficile d'imaginer ce qu'ils pourraient faire de plus en dehors de nous fournir en bombes car les stocks français ne sont pas inépuisables. Il est à espérer qu'ils nous feront un prix d'ami.

Pour l'Allemagne, l'affaire est claire. La constitution lui interdit d'intervenir directement outre-mer. Le seul effort qui va lui être demandé est d'ordre financier. Déjà que Paris a annoncé qu'il n'allait pas respecter ses engagements européens en matière économique... C'est déjà un "cadeau". 

Enfin Moscou ! Là, Paris doit avaler son béret avec un coup de beaujolais nouveau pour faire passer. Il a vraisemblablement fallu demander l'autorisation de venir garer le Charles de Gaulle et son escorte au milieu des navires russes croisant au large de la Syrie. Il en a été vraisemblablement de même pour avoir le droit de survoler l'ouest du même pays qui est de fait contrôlé par l'aviation russe. Mais pour le Quai d'Orsay, ce sont les Russes qui se sont rangés aux exigences françaises, histoire de sauver la face...

Enfin, pour le moment, personne ne parle du rôle que Paris souhaite voir jouer par l'Iran, l'Arabie saoudite, la Turquie et le gouvernement syrien encore reconnu par les instances internationales, notamment par l'ONU. Il me semble qu'ils sont les premiers concernés car directement impliqués !

La France avale donc des couleuvres qui ressemblent plus à des anacondas pour ce qui est de la taille. Mais point extrêmement positif, elle est peut-être en train de retrouver un peu de son indépendance vis-à-vis du grand allié américain revenant à une politique gaullienne située à mi-chemin entre Washington et Moscou. En politique étrangère, il n'y a pas de "bons" et de "méchants" mais que des États qui défendent leurs propres intérêts. Il est bon de penser que les responsables politiques français pensent enfin aux intérêts de leurs administrés. Il ne faut se faire aucune illusion, le problème est éminemment complexe et "LA SOLUTION" n'existe pas, sinon, je pense qu'il y a longtemps qu'elle aurait été trouvée.  

Que peut-on en attendre ? Pourquoi joue-t-il sa crédibilité particulièrement cette semaine ?

Olivier Rouquan :  Le Président ne joue pas sa crédibilité. Confrontés au risque terroriste maximum, les États incluant la Russie, qui a depuis reconnu que le crash d’un de ses avions dans le Sinaï, résultait bien d’un attentat, cherchent une action collective internationale afin de menacer sérieusement Daesh. François Hollande suite à l’attentat du 13 novembre, d’une ampleur sans précédent, porte un message dont la portée est à la fois fondé sur des valeurs et sur la realpolitik. Il peut, suite à l’émotion légitime suscitée, incarner une dynamique. Il peut le faire aussi du fait du déploiement de forces réalisé par la France depuis des mois en Afrique, en dans une moindre mesure en Irak et en Syrie. L’envoi du porte-avion Ch. de Gaulle renforce symboliquement et effectivement cette présence, désormais aussi auprès des russes.

La perspective est aussi la résolution annoncée à l’ONU pour fonder cet engagement collectif. La négociation s’annonce ardue pour trouver les termes d’un compromis à propos du gouvernement en place en Syrie, même si la priorité est la lutte contre Daesh. F. Hollande comme tous les dirigeants, joue dans la préparation d’un accord pour engager le plus d’États possible dans la coalition, la crédibilité du système interétatique face au terrorisme transnational.

Qu’attendent les Français de cette dynamique du Président ?  Quelles sont les issues des négociations qui lui seraient favorables ou à l'inverse défavorables ? 

Olivier Rouquan : Il semble qu’une partie de l’opinion sensibilisée par une grande partie de la droite, soit prête à une alliance avec Poutine depuis plusieurs mois. Le choc de l’attentat du 13 novembre conduit à accepter des actes diplomatiques jusque-là remisés, rappelons le, parce que B. El. Assad serait responsable de bombardements chimiques et d’une grande partie des 250 000 morts constatés en Syrie depuis 2011, ce qui ne peut être oublié par la communauté internationale. 

Ceci rappelé, après l’attentat contre leur avion, les russes réorientaient leurs frappes vers Daesh et moins sur les seuls opposants à Assad ; l’Iran, suite à l’accord sur le nucléaire, entame depuis plusieurs mois une réorientation de sa politique étrangère. Des évolutions, lentement, se faisaient déjà jour. Le contexte post-attentats en France précipite peut-être un alignement des positions. 

Le chef de l’État joue donc la carte d’une coalition préalablement proposée par V. Poutine. Il doit pouvoir imposer des termes à la négociation internationale, qui permettent de modifier la première proposition de résolution russe pour l’ONU datant de septembre. Sans quoi, l’engagement français sera interprété par certains comme une réédition sans condition face à la stratégie russe et syrienne. Et l’argument de la perte de temps inutile serait alors recevable. La spécificité de la résolution que la France propose à l’ONU doit être prise en compte : ce serait alors un succès pour F. Hollande.

François Hollande avait pu profiter de sa mise en avant de statut de chef de guerre en intervenant dans la guerre au Mali, mais les bénéfices qu'il en avait tiré n'étaient pas durables. En voulant prendre les devants de la coalition contre l'Etat islamique, quels bénéfices pourra t-il en tirer à courts et moyens termes ?

Olivier Rouquan : Je ne sais pas si F. Hollande « prend les devants de la coalition ». Il agit ; il anime et participe à une dynamique diplomatique et militaire entre États-Unis, France et Russie, soit les principales forces de riposte pour l’instant en présence. De fait, le président, que les français trouvent à la hauteur dans les crises et qui depuis longtemps dans les sondages, est mieux évalué en politique militaire et étrangère qu’en politique intérieure, déploie une action et une symbolique conformes à la marque qu’il forge depuis 2012 : un chef d’État pugnace sur ces terrains, peu hésitant, dur sur certaines lignes, mais capable de mouvement… Le dialogue réinstauré avec l’Iran juste avant l’attentat l’indiquait par exemple.

Je ne parlerai pas de « bénéfices » du fait de la gravité du contexte, mais le chef de l’État doit tout faire, afin de susciter plus de confiance encore (46% lui font confiance pour affronter la période selon CSA), pour riposter tout en préparant l’avenir à moyen terme, afin de garantir la sécurité sur le territoire. Ainsi, déjà se pose la question de l’étape suivante : en Syrie et en Irak, quelles forces pourront prendre le relai des bombardements contre Daesh ? 

Est-ce que le rapprochement tenté par la diplomatie française avec l’Arabie Saoudite et le Qatar depuis des années, et largement approfondi par F. Hollande depuis 2012, permettra de créer une coalition de ces pays (et d’autres) sur le terrain, puisque les occidentaux ne veulent pas directement déployer des troupes au sol ? L’engagement des États du Golfe serait un prolongement intéressant de la realpolitik déployée par la France (et depuis plus longtemps par les États-Unis) vis-à-vis d’eux. Car, ils s’opposent certes officiellement Daesch, mais on le sait, certains de leurs ressortissants fortunés continuent parfois de soutenir les terroristes islamistes radicaux sans être vraiment sanctionnés... Obtenir une clarification et un engagement serait donc un succès diplomatique, qui amenuiserait la portée des critiques se faisant jour contre le rapprochement jugé trop poussé depuis quelques années entre la France et les pétromonarchies, pour un commerce perçu comme moralement peu reluisant... 

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