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De référendum catalan en élection allemande en passant par l’instabilité italienne, y-a-t-il encore en Europe des partenaires capables de s’engager sur une relance de l’Union ?
©Pixabay

Désunion

Après les élections législatives allemandes la semaine dernière, qui se sont traduite par une poussée de l'extrême droite, l'Espagne fait face ce dimanche à un référendum d’autodétermination de la Catalogne. Deux symptômes de la panne de l'intégration européenne.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Entre l'Italie prise dans ses problèmes, l'Espagne avec son référendum sur l'indépendance de la catalogne, l'Allemagne avec une coalition très limite… Y a-t-il encore une Europe qui souhaite avancer sous le projet européen d'Emmanuel Macron ?

Rémi Bourgeot : Les blocages sont effectivement majeurs. On voit jour après jour émerger un mélange de problèmes politiques nationaux et européens historiques face auquel la bonne vieille politique européenne est atone. On commence surtout à prendre conscience des divergences de fond quant au projet européen lui-même. Une situation particulièrement problématique s’est aggravée, pour Emmanuel Macron, avec l’élection allemande. Le cœur de la réforme de la zone euro étant cependant déjà rejeté par l’opinion allemande et une large partie de l’élite. Même une coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates n’auraient pas pu se permettre d’aller dans le sens d’une intégration fédérale de la zone euro et d’un gouvernement économique, étant données le rejet par la population de l’idée de solidarité financière systématique. Il y a encore deux mois, la thèse officielle, quasi-messianique, consistait à dire qu’Emmanuel Macron et Angela Merkel avançaient main dans la main pour parachever la construction européenne.

La situation n’a pas fondamentalement changé, car elle était en fait déjà préoccupante, notamment dans le cas des pays que vous évoquez. L’Italie est en prise à une crise politique sans fin, sans autorité politique suffisamment installée pour sortir du déni face à la crise bancaire. L’Espagne est menacée d’éclatement et plie sous le poids d’une situation nationale de nature historique, où le compromis semble exclu de toute part et où l’UE ne parvient pas à exprimer une quelconque vision intermédiaire.

Les gouvernements des pays du Sud de l’UE sont favorables en général à une plus grande intégration, notamment au sein de la zone euro. On peut dire que le désaccord se situe davantage au cœur même de la zone euro, pendant que l’ensemble est soumis à une dynamique centrifuge et de désintégration des systèmes politiques et économiques nationaux dans sa périphérie, avec la relégation de toute une génération.

Sa stratégie vous semble-t-elle cohérente avec la réalité actuelle de l'UE ?

Emmanuel Macron a mis en avant un ensemble de sujets qui font plutôt consensus, en tout cas parmi les grands pays. C’est le cas de la lutte contre le dumping fiscal, la taxation des géants du numérique, le contrôle des investissements chinois, la réforme du travail détaché, etc… Ces sujets sont à prendre évidemment au sérieux mais on ne peut faire comme si l’Europe connaissait une situation équilibrée par ailleurs. Comment parler du dumping salarial en accablant les pays d’Europe centrale mais sans voir le lien que cette question entretient avec celle de la structuration industrielle allemande ? Sur la réforme de la zone euro et, de façon encore plus importante sur l’idée d’une coordination macroéconomique, l’impasse est de plus en plus visible.

L’UE a été conçue de fait comme une sorte de laboratoire de la mondialisation. On parle d’ailleurs des « quatre libertés », par incompréhension du cadre politique dans lequel peut s’épanouir un libéralisme équilibré. Et l’on constate aujourd’hui une difficulté considérable à redéfinir les termes d’un projet européen réaliste qui permette de renouer avec une logique de développement digne de pays avancés.

On constate une évidente prise de conscience de l’impasse des dernières décennies. Le climat intellectuel et politique est cependant tellement tendu que l’on navigue en plein brouillard à l’échelle collective. Les réactions euphoriques de certains éditorialistes au discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe sont instructives. Son discours consistait certes à avancer certaines réformes tangibles qui peuvent recueillir un soutien de l’Allemagne. Mais il s’agissait surtout de prendre date face à l’impasse issue en particulier de la dynamique politique allemande. Son discours sur les différences culturelles européennes et franco-allemandes en particulier constitue une indication assez forte de son état d’esprit. Bien que pouvant avancer sur certains dossiers importants, il fait face à une véritable impasse sur le fond de son projet européen.

Face à la situation européenne actuelle et les pays qui semblent peu enclin à le suivre, quelles seraient les autres options pour Emmanuel Macron ?

Peu d’options s’offrent à lui. Il ne dispose pas de voie claire actuellement pour mettre en œuvre un véritable rééquilibrage européen. Il hérite à cet égard d’une situation vieille de plusieurs décennies. L’élite française en particulier s’est volontiers convaincu que l’Allemagne finirait par accepter une vision de l’Union, et notamment de la zone euro, conforme à leur propre rêve institutionnelle. Nous parlons d’une époque où la Commission était encore une institution francophone et où même en Allemagne une partie de l’élite intellectuelle semblait ne pas forcément dire non aux projets d’inspiration française. La réunification allemande a changé la donne en profondeur, tout comme le climat mondial de la « mondialisation heureuse ».

La divergence franco-allemande au sujet de la zone euro était déjà majeure il y a une décennie. Le succès électoral d’un nationalisme dur en Allemagne interdit désormais de se laisser davantage aller à de doux rêves quant à la convergence entre élites technocratiques éclairées.

La question institutionnelle est largement bloquée, au-delà de petits compromis sur un budget dérisoire pour la zone euro, etc. Sur la question fondamentale de la coordination entre politiques économiques rien n’empêche cependant Emmanuel Macron de mettre le gouvernement allemand face à ses responsabilités, d’autant plus en prenant acte du refus catégorique de fédéralisation de la zone. La coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates, prétendument pro-européens, a abouti à une politique de contraction fiscale, de désendettement au moyen d’un désinvestissement continu qui menace les infrastructures allemandes. Si Angela Merkel n’est pas prête à un effort substantiel pour relancer la zone euro face à la montée du nationalisme dans son pays, elle se soucie probablement, très prosaïquement, de ce que les camions ne puissent en réalité plus rouler sur un certain nombre de ponts sur le Rhin.

S’il s’agit encore d’attendre le prochain accès de crise pour une quelconque avancée, on peut être sûr qu’entretemps la situation de fond, politique et économique, aura poursuivi dans la voie de la détérioration, menaçant l’édifice même.

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