De quelle demande à droite Bruno Le Maire est-il le visage ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Bruno Le Maire.
Bruno Le Maire.
©Reuters

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Selon le baromètre politique Odoxa pour l'Express, France Inter et la Presse régionale publié mardi, Bruno Le Maire est le candidat à la présidence de l'UMP qui a fait la meilleure campagne. C'est du moins l'avis de 45% Français, tandis que 61% des sympathisants de droite placent en revanche Nicolas Sarkozy devant Bruno Le Maire (34%).

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Même si les sympathisants de droite plébiscitent toujours Nicolas Sarkozy à quelques jours de l'élection, comment expliquer ce jugement aussi favorable pour le député UMP de l'Eure ? Quel est le profil des sympathisants de Bruno Le Maire ? 

Jean Petaux :Rappelons avant toute chose que « sympathisants » ne veut surtout pas dire « adhérents » et que seuls les adhérents seront à même de voter entre vendredi soir et samedi soir. Les Instituts de sondage sont pratiquement incapables de mesurer les intentions de votes des adhérents. Non pas parce qu’ils ne sont pas bons, mais parce qu’ils ne disposent pas des caractéristiques sociologiques par exemple des adhérents de l’UMP (pas plus qu’ils n’en disposaient pour le PS hier pour le vote sur « la » Première secrétaire lors du congrès de Reims, Royal ou Aubry, au « suffrage universel » des adhérents).

Ils ne peuvent donc pas constituer d’échantillon représentatif fondé sur la méthode des quotas. Donc ils ont tendance, et c’est logique, à se « rabattre » sur le groupe des « sympathisants » (plus aisément repérables), en corrigeant leurs résultats et en renforçant en particulier le score des candidats les plus « radicalisés » (parce qu’on sait que les adhérents d’un parti politique quel qu’il soit sont toujours plus à droite que les sympathisants quand il s’agit d’une formation politique classée à droite et plus à gauche que les électeurs de gauche quand il s’agit d’un parti classé à gauche).

Pour ce qui concerne le sondage dont vous faites état, je pense qu’il n’y a rien de surprenant dans les réponses. Les Français, dans leur ensemble, n’adhèrent pas majoritairement à Nicolas Sarkozy. Ils n’apprécient positivement ni les raisons de son retour dans la mêlée ni sa démarche actuelle. En revanche les sympathisants de droite « ont toujours un faible » pour Sarkozy parce qu’il leur semble, par rapport aux deux autres candidats à la présidence de l’UMP (Le Maire et Mariton) celui qui s’impose presque d’évidence.

Mais ce qui est le plus surprenant en revanche c’est qu’il n’obtient pas plus de 61% d’opinion favorable parmi les sympathisants. Je rappelle qu’il a pris la présidence de l’UMP en 2004, au Bourget (le fameux congrès du « Bonne chance mon Papa » mis en scène par un certain Richard Attias ( !...)) avec 84% des voix des adhérents… Alors encore une fois 61% des soutiens chez les sympathisants ce n’est pas 61% des voix chez les adhérents, mais le score n’est pas très bon quand même. C’est sans doute qu’au chapitre du renouveau, de l’avenir, c’est Bruno Le Maire qui incarne chez les sympathisants UMP le plus grand potentiel possible.Ses 34% me semblent assez fondateurs d’un bel avenir pour lui ; les 61% obtenus par Nicolas Sarkozy sont peut-être révélateurs d’un désamour plus qu’amorcé. Paraphrasant Churchill à propos de la bataille de Stalingrad on pourrait dit que pour Le Maire ce serait la « fin du commencement », pour Sarkozy « le commencement de la fin ».

Un sondage Harris Interactive pour LCP dévoilé lundi confirmait déjà la percée de Bruno Le Maire chez les sympathisants de droite. Dans le détail, 69 % des sympathisants UDI et 57 % des sympathisants du MoDem jugent que l'ancien ministre de l'Agriculture fait une bonne campagne… même s'ils ne voteront pas. Pourquoi séduit-il autant au centre-droit ?

Ces chiffres confirment ce que je viens de dire. Bruno Le Maire fait une campagne qui séduit le centre-droit pas tant pour ce qu’il dit que pour ce que Nicolas Sarkozy inspire au centre-droit. L’offre politique est toujours une offre comparative (pour peu qu’il y ait pluralité des candidatures et expression libres des opinions des candidats). Tout vote pour l’un est souvent dicté par le rejet de tous les autres.

Dès lors que Nicolas Sarkozy a décidé de « bétonner la droite de l’UMP » (ses dernières déclarations sur les parents de Rachida Dati et sur Rama Yade n’ont pas d’autre sens et, dans cette perspective, on peut prétendre qu’elles sont efficaces) il laisse un espace très libre à tout candidat qui veut parler aux sympathisants du MODEM et à ceux de l’UDI. Ce ne serait pas faire insulte à Bruno Le Maire que de dire qu’il pourrait lui aussi dire n’importe quoi, dès lors que ce n’est pas Sarkozy qui le dit, cela pourrait plaire aux sympathisants du centre-droit.

Mais il se trouve qu’il leur parle en plus intelligemment et qu’il sait quelle musique ils veulent entendre : une Europe plus attentive aux difficultés françaises mais qui serait vraiment européenne (à l’inverse de Nicolas Sarkozy qui fonce depuis une semaine sur une thématique très nationalo-chauvine) et un libéralisme économique plutôt assumé avec une rétraction de la sphère étatique et publique.

Une étude de l'Ifop publiée en octobre dernier à propos de la personnalité souhaitée pour diriger l'UMP révélait que Bruno Le Maire séduisait un peu plus que Nicolas Sarkozy chez les plus de 65 ans, tandis que l'ancien chef de l'Etat séduit bien plus que son adversaire chez les moins de 35 ans. Quelle image renvoie Bruno Le Maire auprès des retraités ? A contrario, pourquoi a-t-il plus de mal auprès des jeunes ?

Bruno Le Maire renvoie auprès des retraités l’image du « gendre idéal » intelligent, bien élevé, cultivé qui a bien réussi dans ses études supérieures… Et comme en plus il semble avoir une vie de famille plutôt « classique » (ce qui n’est pas forcément une propriété partagée par la grande majorité des actrices et des acteurs politiques par les temps qui courent) le voilà paré de toutes les vertus…

On pourrait ajouter, en étant vachard, qu’il a, de surcroît pris grand soin de son épouse puisqu’il l’a même rémunérée un temps sur des crédits de collaborateur  parlementaire… Ce qui n’est pas très original d’ailleurs parmi les députés et sénateurs mais qui montre quand même qu’il a un sens certain de la famille… Les jeunes sympathisants de l’UMP, plus fougueux, plus « radicaux » que leurs ainés, plus enclins à en découdre avec la terre entière (et surtout les supporters des concurrents internes à l’UMP tels que par exemple les soutiens de Juppé et Juppé lui-même) trouvent certainement en Nicolas Sarkozy un leader plus conforme à leurs attentes. « Sarkozy II – Le Retour » c’est un peu la garantie d’un spectacle permanent où le héros revenu de l’enfer de la défaite dézingue tout ce qui bouge… à droite, à gauche, en haut et en bas.

On ne sait pas si « Rambo-Sarko » rasera gratis demain, ce qui est sûr c’est qu’il nous en donne largement pour notre argent en matière d’hémoglobine sur les écrans noirs de nos nuits blanches politiques. Quand on est jeune militant ou sympathisant, qu’on veut défendre ses idées et les faire progresser il est quand même plus logique (et « naturel ») de se rallier à « La fureur de vivre » d’un Sarko-James-Dean qu’au « Bonheur est dans le pré » d’un Le Maire-Eddy-Mitchell.

Quelle est leur vision du monde, comment voient-ils l'avenir, la mondialisation ? Quelle est leur position sur les questions sociétales clivantes ?

Les supporters de Bruno Le Maire sont à son image. Ils sont diplômés, ils s’inscrivent clairement dans la modernité et se projettent dans un avenir d’autant plus positif qu’il est fondé sur l’échange et la dynamique des flux et des fluides... Mais en même temps ce sont aussi des individus qui reconnaissent en Bruno Le Maire un homme du terroir. Ce qui « parle » à une autre frange de ses supporters, plus ruraux, plus enracinés dans la réalité française.

Il est député de l’Eure (circonscription tenue pendant deux décennies par Jean-Louis Debré) et a été un bon ministre de l’Agriculture qui « passait bien » auprès du monde rural. C’est d’ailleurs une vraie surprise. Né à Neuilly en 1969, fils d’une grande aristocrate très impliquée dans l’enseignement catholique sous contrat, époux d’une autre héritière « à particule », le « fort en thème » doué d’une plume littéraire plus qu’estimable, pur produit des « salons cultivés », se révèle être un vrai politique, assez madré au point d’être dangereux pour ses concurrents et assez subtil pour paraître rond alors qu’on pressent chez lui la fine-lame tranchante.

Il faut l’avoir vu, comme il m’a été donné de le voir, devant un amphithéâtre plein de 400 étudiants à Sciences Po Bordeaux, lors d’un « grand oral » des Rencontres Sciences Po / Sud Ouest, le 24 octobre 2013, pour comprendre que le « gendre idéal » est, de fait, un grand fauve politique en devenir, flattant comme il se doit un public réceptif aux thématiques dans « l’air du temps » chez de jeunes intellectuels tout acquis aux échanges internationaux, à une société française ouverte et tolérante, « open mind » sur tous et surtout sur le mariage pour tous par exemple… Il s’est lové dans ce public comme d’autres sur un canapé, en chaussettes sur l’accoudoir… Cool en somme !

Sur quelles positions exactement se différencient-ils de celles de l'UDI, et de la droite forte ?

Par rapport aux positions de l’UDI les différences sont assez ténues. Par rapport à la droite forte il est clair que sur l’immigration il est presque aux antipodes. Il tient une position radicalement différente sur l’Europe et, finalement, revendique par rapport à la présidence de l’UMP une position totalement opposée à celle de Nicolas Sarkozy. Il a martelé à plusieurs reprises ses derniers temps le caractère « incompatible » de la présidence de l’UMP avec la candidature aux primaires pour la présidentielle de 2017.

Avec une drôle de formule… : « le président de l’UMP, s’il lui prenait envie un matin (on ajouterait presque « en se rasant »…) de se présenter aux primaires pour la désignation du candidat de la droite et du centre (chaque mot compte ici..) ne devrait pas démissionner de la présidence de l’UMP dans six mois ou dans un an, mais le jour-même où il exprimerait ce souhait »…

On pourrait alors, dans ces conditions, considérer que Nicolas Sarkozy s’élimine de lui-même de la compétition pour la présidence de l’UMP… A quoi servirait-il d’être élu pour démissionner aussitôt ?... On peut aussi se demander si Bruno Le Maire n’est pas tant partisan de cette option qu’il n’a aucune chance de l’emporter face à Nicolas Sarkozy samedi soir prochain pour la présidence de l’UMP et qu’il serait peut-être moins « radical » dans cette position de principe s’il avait une fenêtre d’opportunité pour cette même présidence. On serait presque tenté de tenter l’expérience… Rien que pour voir. Même si cela ne ferait sans doute pas plaisir à Nicolas Sarkozy !

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