De Nicki Minaj à Kim Kardashian en passant par Beyonce : la revanche des gros culs (et pourquoi c’est un sujet politique)<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans le numéro hiver du magazine paper, Kim Kardashian révèle son postérieur nu au photographe Jean-Paul Goude.
Dans le numéro hiver du magazine paper, Kim Kardashian révèle son postérieur nu au photographe Jean-Paul Goude.
©Reuters

Et mon twerk, tu l’aimes mon twerk?

Les stars américaine exhibent à tout bout de champs les rondeurs de leurs fessiers : sur Instagram, dans leur vidéos clips... Mais il ne s'agit pas uniquement d'un effet de mode légèrement inspiré de la pornographie ; c'est également le moyen pour certaines minorités ethniques de revendiquer ses origines, trop longtemps délaissées aux Etats-Unis, au profit des blancs.

Christophe Colera

Christophe Colera

Christophe Colera est sociologue et anthropologue.

Il a écrit La nudité pratiques et significations, éditions du Cygnes 2008 et Les tubes des années 1980 (Cygnes, 2013)

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Dans le numéro hiver du magazine paper, Kim Kardashian révèle son postérieur nu au photographe Jean-Paul Goude. Nicki Minaj a elle aussi exposé ses fesses sur la pochette de son dernier album. Comment expliquer cette tendance a exposer ses fesses en particuliers les plus rebondies ?

Christophe Colera : C'est une évolution qui rompt avec certains modèles des années 1960-70 où l'idéal de l'actrice ou de la chanteuse correspondait à une silhouète longiligne (pensons à Jane Fonda, à Deborah Harry etc). C'était un héritage un peu "victorien", dans la mesure où la silhouète gracile au XIXe siècle en Europe comme aux Etats-Unis était associée à la délicatesse, à la spiritualité, tandis que le corps féminin généreux, voluptueux, était taxé de "vulgaire", car trop charnel, trop propice à un érotisme "spontané". Cette réhabilitation du "bas du corps" aux formes rebondies va de pair avec l'idée que la chair n'est pas vulgaire.

Dans le numéro hiver du magazine paper ci-dessus, Kim Kardashian révèle son postérieur nu au photographe Jean-Paul Goude.

Pendant de longues années, les gros fessiers étaient bannis des projecteurs. Les femmes cachaient leurs formes et aspiraient à avoir "le corps parfait".  Aujourd'hui, les stars américaines exhibent leurs fesses sur les réseaux sociaux ainsi que dans leurs vidéos clips. Comment peut-on interpréter cette mode des "grosses fesses": peut-on y voir une manière pour les stars d'assumer leur féminité ? Ou est-ce plutôt une manière de jouer avec les codes de la pornographie ?

D'abord ce ne sont pas n'importe quelle rondeur des fesses qui est valorisée. C'est une rondeur dynamique, musclée, et une rondeur "en mouvement" pas statique. On peut dire que c'est une façon d'assumer une féminité si, comme le remarquent les anthropologues évolutionnistes, la rondeur des hanches et des fesses est un indice de la fécondité féminine qui attire les mâles parce qu'elle incite à l'accouplement.

Mais les femmes minces d'il y a cinquante ans avaient tout autant le sentiment d'assumer leur féminité en défendant une féminité plus centrée sur les traits du visage ou l'ondulation des cheveux. Sans aucun doute le porno a contribué au regard bienveillant sur les fesses rondes, avec des séries comme "Big tits round asses". Comme l'a noté la sociologue américaine Laura Kipnis, le porno a présenté comme "dignes d'être filmés"toutes sortes de corps, et, du coup, assoupli les standards du corps désirable. Le porno étant omniprésent quoique clandestin, il forge largement le regard du public masculin. Et effectivement les artistes aiment jouer avec son statut ambigu (présent partout officieusement et nulle part officiellement).  Nicki Minaj en est l'illustration.

Derrière le retour des "gros fessiers" se cache-t-il en réalité une revendication identitaire des minorités américaines (telles que les latinas ou les afro-américaines)  dans l'univers de la mode ?

Je ne dirais pas que c'est "identitaire" de façon consciente. Il s'agit plus d'une imprégnation inconsciente des regards. La minceur était un attribut des White anglo-saxon protestant (WASP) pour qui les grosses fesses étaient celles des classes inférieures (des anciennes esclaves, ou des femmes de pays exotiques). Dans le film "Quoi ?" de Polanski, un italien reproche aux Américains de ne s'intéresser qu'à la rondeur des seins et pas à celle des fesses. Madonna (qui est d'origine italienne) fut une des premières à afficher sans complexe des formes dans la culture pop des années 1980 et on peut supposer que quand elle se faisait traiter de "fat legs" cela visait aussi les formes de son fessier.

Mais évidemment le développement de la RnB, du rap etc est allée dans le sens d'une meilleure acceptation par la culture pop "dominante" américaine non seulement de la minorité noire, mais aussi de la minorité latino. Au début des années 2000, on surnommait Jennifer Lopez "the butt" (le "derrière"), et cette "bomba latina" a beaucoup contribué à la  mise en place des palmarès des plus belles fesses dont les belfies (les autoportraits des fesses) sont aujourd'hui l'aboutissement.

Cette mode est-elle l'illustration une fois de plus que l'univers du glamour, et notamment du hip hop, s'inspire de la culture urbaine ?

Oui, sans doute. La culture dominante se vitalise au contact des milieux populaires, plus en prise avec un univers de mouvement, de désir et de transgression. Rappelez vous que le tango au début du XXe siècle était une danse de prostituées et le jazz une musique d'esclaves. La "culture urbaine" comme vous dites introduit dans l'imaginaire des corps dynamiques, audacieux, et une inversion des valeurs où les fesses remplacent le visage. Mais la difficulté est d'absorber cela sans verser dans la vulgarité, ce qui requiert souvent beaucoup d'artifices en termes de traitement de l'image, y compris le cas échéant des recours  à de la chirurgie esthétique

Pourquoi cette mode ne touche-t-elle pas les hommes ?

Les fesses des hommes (des fesses elles aussi dynamiques, musclées) sont parfois valorisées, dans le rap par exemple (et l'on sait combien les fesses masculines peuvent être appréciées par les femmes, notamment en tant qu'elles permettent de meilleurs performances sexuelles). Mais il y a une limite. Trop valoriser le derrière masculin peut faire basculer dans l'imagerie gay.

Or si un artiste veut continuer à s'adresser à un public hétéro, il ne peut pas s'offrir le luxe de trop proposer ses fesses comme objet de fantasme au risque d'être identifié à cette mouvance-là. Peut-être en cause de la prégnance d'un certain machisme, ou d'une cretaine culture patriarcale, des fesses masculines trop disponibles pour le fantasme sont des fesses qui deviennent passives, et qui acceptent, de ce fait, d'être féminisée, là où le musicien, l'acteur, le chanteur, garde un intérêt à conserver une image virile.

Propos recueillis par Sarah Pinard

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