De la Syrie à l’Ukraine, les (nouvelles) prises de position du Président de la République suscitent la perplexité<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
De la Syrie à l’Ukraine, les (nouvelles) prises de position du Président de la République suscitent la perplexité
©Capture d'écran Dailymotion

Le monde selon Macron

Les récentes déclarations d'Emmanuel Macron concernant sa politique étrangère, et ses positionnements sur certains dossiers, ont surpris plusieurs observateurs.

Bruno Tertrais

Bruno Tertrais

Directeur-adjoint à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS).

Spécialiste des questions stratégiques

Dernier ouvrage paru : La revanche de l'Histoire, aux Editions Odile Jacob

 

Voir la bio »

Atlantico : A la veille de son premier Conseil Européen, Emmanuel Macron a délivré une longue interview à 7 hebdomadaires européens, dans l'objectif de préciser ses intentions, particulièrement en ce qui concerne les enjeux internationaux. Comment interpréter les positions prises dans cette interview par le nouveau Président Français ?

Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron n’avait donné ni grand discours de politique étrangère, ni grande tribune ou interview sur le sujet. C’est donc une forme de plate-forme dans laquelle il résume sous une forme systématique ses grands principes et ses grandes idées. L’ensemble est cohérent et assez consensuel. J’adhère totalement à ses projets européens. Quelques-unes des affirmations présidentielles m’ont toutefois fait sursauter.

Emmanuel Macron « ne pense pas que la Russie cherche à nous affaiblir » ? De la part de quelqu’un qui a été directement victime des manœuvres du Kremlin, c’est soit de l’aveuglement… soit une stratégie visant à donner des gages à Poutine pour en faire un partenaire fiable. Si c’est cela, c’est au mieux inutile, au pire contre-productif.

On est frappé aussi par ses propos sur la Syrie. D’abord sur le diagnostic : il ne veut pas de changement de régime à Damas car cela risquerait de créer un Etat failli où prospérerait le terrorisme ! Comment dire… Il va falloir que sa cellule diplomatique lui mette le nez sur le dossier : grâce à Bachar-el-Assad et à Daech, qui sont les deux faces d’une même pièce de monnaie, on a en effet l’Etat failli ET le terrorisme ! Comme quoi la non-intervention des Occidentaux peut être encore pire que leur intervention… 

En disant qu’il n’existe aujourd’hui pas de « successeur légitime » à M. Assad, il dit vrai. Mais cela légitime justement son pouvoir et désespère l’opposition, sans pour autant contribuer à la recherche d’une issue politique réaliste. Par ailleurs, il est faux de suggérer, comme le fait le président, que la France de Hollande avait fait du départ de M. Assad « un préalable à toute chose ». Paris estimait seulement – à mon sens à bon droit – qu’il ne pouvait plus être un élément de la solution politique à long terme.

Je ne suis pas à l’aise avec la manière dont il évoque la stratégie russe au Moyen-Orient. Un élément fondamental est omis : pour Moscou, damer le pion aux Etats-Unis et à l’Occident dans la région est un besoin, une raison tout à fait essentielle de l’intervention. 

Enfin, sa grille générale de lecture du débat français de politique extérieure est à mon sens erronée. Comme certains responsables politiques et experts, il continue de penser que la France a tourné casaque en 2007, et abandonné une politique traditionnelle – le soi-disant « gaullo-mitterrandisme », qui n’a jamais existé – pour céder aux charmes du « néo-conservatisme » - alors que dans les faits Paris, et c’est d’ailleurs heureux, n’a jamais véritablement adhéré à cette ligne américaine de « promotion de la démocratie par la force ». 

Sur la question du dossier syrien, le positionnement d'Emmanuel Macron semble avoir évolué. Comment interpréter cette "évolution" et que révèle-t-elle de la stratégie française, dans un sens plus global ?

Son positionnement n’a pas vraiment évolué. Il s’exprimait publiquement sur la Syrie, dès le mois de janvier, dans le même sens. Ici, l’expression est plus forte et plus élaborée. Pour autant, ce n’est pas un revirement de sa part. Le vrai changement c’est d’avoir affirmé, dès la visite de Poutine, que la France pourrait frapper seule si le régime syrien utilisait de nouveau des armes chimiques, et ce même si les Etats-Unis y renonçaient comme ce fut le cas en 2013. C’est un choix courageux et cohérent avec notre ligne d’indépendance stratégique vis-à-vis de Washington. Mais il ne serait pas facile à mettre en pratique. 

Dans cette interview, Emmanuel Macron reproche à Donald Trump son "imprévisibilité" en déclarant "La difficulté est qu'aujourd'hui il n'a pas encore élaboré le cadre conceptuel de sa politique internationale. Sa politique peut donc être imprévisible et c'est pour le monde une source d'inconfort.". La politique d'Emmanuel Macron est-elle prévisible ?

Tout le monde souhaite que la première puissance mondiale soit prévisible… C’est naturel. Mais une dose d’imprévisibilité peut avoir des vertus. Notamment vis-à-vis d’adversaires potentiels vis-à-vis desquels nous sommes, justement, trop prévisibles. Parce que transparents et démocratiques.

Il y a une certaine prévisibilité dans la ligne de Macron sur les fondamentaux de la politique étrangère. Dans ses interventions depuis fin 2016, il y a une cohérence idéologique. Mais aussi des éléments plus inattendus. Pour moi le principal est sa « sortie » sur la question de la ligne rouge en Syrie, au beau milieu de la conférence de presse avec Vladimir Poutine. En disant que non seulement il confirme la ligne fixée par Hollande en 2013, mais qu’il serait prêt – contrairement à son prédécesseur, à frapper seul, il affirme sa différence.

N’oublions jamais que les discours de politique extérieure sont d’abord jugés… à l’extérieur. Autrement dit : ce qui importe, c’est la manière dont cet entretien va être lu à l’étranger. Sur la Russie et la Syrie, je ne sais pas si c’est une stratégie ou si Emmanuel Macron croit tout ce qu’il dit. Mais ses déclarations risquent de nous faire perdre du crédit politique, en Europe et au Moyen-Orient, alors que les gains diplomatiques restent très incertains. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !