De la rareté à la dispersion… Comment les choix de communication de François Hollande achèvent de désacraliser la fonction présidentielle<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande veut renouer avec le peuple français.
François Hollande veut renouer avec le peuple français.
©Reuters

Monologue de sourd

En engageant un marathon médiatique pour "renouer" avec les Français, François Hollande tente de montrer qu'il comprend la colère de l'opinion face aux difficultés de la crise. Un exercice délicat qui pourrait bien ne réussir qu'à "normaliser" encore un peu plus l'image de la fonction présidentielle.

Atlantico : En souhaitant être "au plus près des Français", François Hollande ne contrevient-il pas à la logique de la "rareté" présidentielle développée sous Chirac et Mitterrand ? Sous des aspects premièrement séduisants, le fait de donner dans la proximité ne génère-t-il pas des effets pervers ?

Jacques-Charles Gaffiot : A en juger par les déclarations des chantres de son gouvernement et les premiers commentaires et reportages diffusés immédiatement dans les médias, François Hollande semble être parti à la rencontre des Français à la manière du sous-préfet allant aux champs d’Alphonse Daudet : ayant promis de bon matin de "parler vrai", "d’aller encore plus vite" au micro de Jean-Jacques Bourdin, le président est alors parti plaisanter et papillonner au milieu de jeunes apprentis de Villiers-le-Bel, puis se livrer à un bain de foule dans les quartiers, démonstrations parfaitement orchestrées par ses services de communication. Pas un seul sifflet, aucun lazzi ne sont cette fois venus troubler la mise en scène du déplacement organisé pour marquer la souveraine popularité présidentielle, marquant la seconde étape du quinquennat.

Métamorphosée en village Potemkine, la "paisible" commune du Val d’Oise pouvait apparaître à l’unisson du pays tout entier, célébrant, dans l’euphorie et ses débordements d’affection, l’anniversaire de l’élection présidentielle.

Les actuels conseillers du président sont-ils atteints d’une surdité à ce point incurable ?

Les Français sont las des continuels effets d’annonce, des gestes de familiarité feinte,  comme de tout l’arsenal de bonhomie développé par les services de communication du palais de l’Elysée ou de l’Hôtel Matignon.

En déclarant vouloir multiplier de la sorte ses déplacements pour mieux répondre à l’attente des Français, le chef de l’Etat risque, une fois encore, de s’éloigner du peuple qu’il cherche à (re)conquérir.

Bains de foule et contacts populaires, qui fusionnent l’adhésion au chef, ne fleurissent qu’à travers une authentique spontanéité, (pouvant être toutefois un tantinet organisée), mais ne se décrètent pas à coup de trompe et à grand renfort de troupes de journalistes, de laudateurs ou de féodaux du régime. François Mitterrand avait eu l’adresse de cultiver une certaine rareté dans ses apparitions.  Les multiplier tout azimut aurait ruiné les effets escomptés.

Une fois encore, la charrue est mise avant les bœufs : la visite organisée à Villiers-le-Bel et les déplacements qui doivent suivre ne peuvent être le moteur de la nouvelle politique  voulue par François Hollande. Il convient d’attendre la plus ou moins grande abondance de la récolte afin de recueillir les fruits d’une popularité  retrouvée.

Pour l’heure chacun attend que le chef de l’Etat s’empare du gouvernail et que paré de l’autorité qui revient à sa fonction, si contraire à la notion de "présidence normale", il s’emploie à redresser une situation économique dont il a nié sciemment la réelle gravité tout au long de sa campagne pour mieux affaiblir son compétiteur.

La conquête de cette autorité ne saurait être l’œuvre des seuls communicants  grassement nantis par la République et qui fourmillent, de près ou de loin, dans les allées du pouvoir.

Si le président de la République veut désormais "parler vrai" aux Français, qu’il renonce tout d’abord à leur mentir, à user de contre vérités, à dissimuler la cruelle réalité des chiffres et des situations ; qu’il reconnaisse les profonds mécomptes commis non seulement depuis son élection mais durant sa campagne.

Alors, devenu plus crédible, un renversement de tendance pourra s’opérer.

L’immémoriale notion d’autorité, que la gauche a pensé pulvériser en mai 68, n’a pas été abattue. Les faits sont têtus et plus encore les principes de civilisation.

Les gesticulations démagogiques n’y feront rien, c’est ce que les Français, pleins de bon sens, ont compris depuis longtemps !

Jacques Pilhan, ancien conseiller de Mitterrand, théorisait l'idée que "Dieu n'allait pas sur les marchés" pour promouvoir une certaine distanciation nécessaire à tout dirigeant. François Hollande, pourtant admirateur du personnage, ne fait-il pas une entorse à ce principe aujourd'hui ?

Florence Vielcanet : Les récents choix font effectivement une entorse à ces principes, mais il faut rappeler que Jacques Pilhan exerçait à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas et les chaînes d’information en continue commençaient tout juste à émerger (à la fin des années 1990 alors que Pilhan conseillait Alain Juppé, NDLR). Le poids des effets de mode et des séquences courtes était alors insignifiant, et si l’on peut affirmer que la logique de Jacques Pilhan reste d’actualité, elle ne l’est plus que partiellement face à la recomposition du paysage médiatique. Du temps de Mitterrand, un plan de communication se construisait sur plusieurs semaines, de façon extrêmement organisée, et les secrets se conservaient bien plus longtemps qu’actuellement. Aujourd’hui, l’objectif n’est plus tant de dissimuler un fait gênant mais de savoir quand il sortira pour pouvoir le gérer au mieux. Il est dans un tel contexte de plus en plus difficile de camper un personnage et de ne pas céder à la tentation de la "posture" temporaire qui collera le mieux à l’actualité.

En descendant dans l'arène dans une période aussi sensible, quel peut-être son objectif ?

Florence Vielcanet : Le but affiché est évidemment pour François Hollande de renouer avec les électeurs à un moment où il doit affirmer directement ses choix politiques plutôt que de les "suggérer" par différents interlocuteurs comme il a pu le faire par le passé. On a vu jusqu’ici fleurir plusieurs critiques, notamment dans la presse, contre le fait que le président ne communiquait pas assez avec les Français, qu’il laissait trop souvent dire aux autres ce qu’il avait en tête. Lors des premiers mois de son mandat, l’actuel locataire de l’Elysée avait effectivement souhaité se démarquer de la stratégie d’un prédécesseur qui était, comme chacun sait bien, plus actif en termes de visibilité médiatique. Nicolas Sarkozy avait su s’inspirer de la stratégie insufflée par Alastair Campbell, ancien et célèbre conseiller en communication de Tony Blair, qui préconisait de "faire la météo" médiatique en occupant en permanence l’actualité, le but étant de manipuler l’information pour la faire abonder dans son sens. Cette volonté d’être en permanence sous les feux de la rampe n’a pas été reprise dans un premier temps par François Hollande, ce dernier préférant choisir la parole discrète d’un Jean-Marc Ayrault très bridé dans son discours.

Néanmoins, face à un agenda très marqué par les difficultés de la situation économique et sociale du pays, François Hollande ne peut plus reposer autant qu’auparavant sur la collégialité qui l’avait jusqu’ici caractérisé, la "descente dans l’arène" étant devenue inévitable face aux enjeux qui sont posés. Cette mise au premier plan du président doit cependant rester du domaine de l’exception pour ne pas entamer la valeur du discours politique qui est déroulé en ce moment. Si certains peuvent penser qu’une telle opération médiatique, calée par définition sur un temps de plus en plus court, soit préjudiciable à l’action politique qui s’étale sur le long-terme, il s’agit d’une réalité difficilement contournable aujourd’hui

Le locataire de l'Elysée affirme ne pas vouloir se mêler des affaires courantes bien qu'il ait abordé des détails très précis du Plan Valls hier matin. En quoi cette "hyper-présidentialisation" qui ne dit pas son nom peut entamer la fonction présidentielle et brouiller les cartes ?

Florence Vielcanet : Il s’agit d’une décision prise entre Hollande, Valls et leurs communicants respectifs dont l’objectif est d’élargir l’empreinte du discours présidentiel sur l’opinion. Cette tactique ne doit toutefois pas s’éterniser pour ne pas être préjudiciable, son efficience étant dépendante de la clarté des choix politiques qui en découleront. Il peut s’agir d’un bon tremplin pour lancer un vaste chantier politique, mais à long-terme le risque d’épuisement est bien réel. Cette inversion s’était réalisée dans l’autre sens sous le quinquennat d’un Nicolas Sarkozy qui avait commencé par occuper la plus grande partie possible de l’espace médiatique avant de prendre de la hauteur sur les dernières années.

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